> Accueil

> Rechercher

> Télécharger

>  

 

> Revue Regard
> conscient

> Copyrights



Fessée et perversions sexuelles

par Tom Johnson et Marc-André Cotton

Cet article est paru en 2002 sur le site www.nospank.net.


Résumé : Les châtiments corporels jouent un rôle important dans la genèse du sado-masochisme et de la pédophilie. Une perspective systématiquement occultée des discours moralisateurs prônant le retour aux interdits.

 

Retour de bâton

Quoi de plus anodin qu’une « bonne » fessée ? À l’heure où certains politiciens, éducateurs et psychologues banalisent encore les conséquences de la violence éducative et réclament un retour aux interdits, n’est-il pas tentant d’avoir recours aux châtiments corporels pour faire respecter les règles parentales ? Ce serait non seulement une erreur de jugement, puisque les violences infligées engendrent immanquablement d’autres violences en retour, mais encore une irresponsabilité lourde de conséquence au regard de l’équilibre psycho-sexuel des générations à venir.

En effet, l’une des perspectives les plus occultés des punitions corporelles est leur rôle dans la genèse de certaines déviations sexuelles, particulièrement les tendances sado-masochistes ou pédophiles. Le texte de Tom Johnson, The Sexual Dangers of Spanking Children, dont vous trouverez la traduction ci-après, s’attache à le montrer. Tandis qu’ils s’indignent légitimement des abus perpétrés par certains pédophiles ou de la prolifération de sites pornographiques sur l’internet, de nombreux parents exigent en même temps de pouvoir recourir sans culpabilité à la fessée pour discipliner leurs enfants. Or, désensibilisés par la violence de leur propre éducation - et faute d’une information adéquate largement disponible -, ils se légitiment ainsi de reproduire les châtiments qu’ils ont subis dans leur enfance, avec pour effet prévisible de favoriser la persistance des perversions qu’ils prétendent dénoncer.

Dans l’Angleterre victorienne, les bastonnades routinières infligées aux enfants étaient ritualisées de manière à déculpabiliser les parents, mais aussi dans le but inavoué de sexualiser l’exercice du châtiment corporel. Parfois, les parents rémunéraient des fesseurs professionnels, aux tendances sexuelles ouvertement sadiques, pour administrer à leur progéniture une souffrance et une humiliation qui briserait toute velléité de désobéissance (1). De son côté, Jean-Jacques Rousseau raconte dans ses Confessions comment les fessées administrées par sa gouvernante, ont provoqué chez lui des fantasmes érotiques qui l’ont tourmenté pour le restant de ses jours. Aujourd’hui, il suffit d’introduire le mot « fessée » (ou l’anglais « spanking ») dans un moteur de recherche pour contempler le nombre impressionnant de sites internet consacrés aux fantasmes sexuels liés à la fessée.

En diffusant en français le texte de Tom Johnson, notre intention n’est pas de stigmatiser la culpabilité de l’adulte perverti, mais bien de contribuer à mettre à jour une longue chaîne de causalités. Les motivations qui nous poussent à remettre en scène nos souffrances sont en elles-mêmes douloureuses, voire honteuses, particulièrement lorsqu’elles impliquent des comportements condamnés publiquement. C’est pourquoi il est important que chacun s’interroge sur sa propre histoire et sur la responsabilité que nous partageons dans la genèse des perversions sexuelles par le biais, notamment, des châtiments corporels que nous infligeons ou acceptons de voir infliger.

Voici quelques extraits d’un témoignage émouvant, diffusé par l’association Parents and Teachers Against Violence in Education (2). Il s’agit d’une jeune femme dans la trentaine, ayant reçu une éducation chrétienne qualifiée d’exemplaire et à laquelle ses parents ont administré au moins une fessée par an environ, entre trois et dix ans, et certainement plus tôt, parce qu’ils croyaient aux vertus disciplinaires de ce châtiment : « Dès mon plus jeune âge, en conséquence de ces fessées aimantes, je commençai à ressentir une fascination malsaine pour ce sujet. Après les fessées, j’avais des fantasmes […]. Je lisais des autobiographies et des nouvelles qui contenaient des chapitres où des enfants étaient fessés […]. J’ai délibérément recherché ce sentiment d’excitation pendant des années. J’entrais dans une librairie et cherchais des livres sur l’éducation chrétienne (particulièrement les livres du Dr. Dobson), dont je lisais des extraits et atteignais alors un état d’excitation intense […]. Je n’aurai pas d’enfants, parce qu’avec ma déviation sexuelle, je ne peux me marier. Mais si j’en avais, je préfèrerais de loin les voir grandir avec une sexualité normale que d’obtenir une obéissance instantanée à mon autorité parentale […]. S’il vous plaît, s’il vous plaît, ne fessez pas vos enfants ! »

Marc-André Cotton

Notes :

(1) Lire Lloyd deMause, The Emotional Life of Nations, Karnac Books, New York, 2002, p. 334.

(2) Parents and Teachers Against Violence in Education (PTAVE), P. O. Box 1033, Alamo, CA 94507, U. S. A, tél.: (919) 831-1661. Site internet : www.nospank. net. Le texte intégral de ce témoignage est disponible en anglais, à l’adresse www.nospank.net/ann.htm

 

Les dangers sexuels de la fessée

par Tom Johnson*

 

C’est un traitement révoltant et tyrannique qui serait certainement considéré comme une insulte s’il était infligé aux adultes… De plus, la douleur et la crainte imposées aux victimes sont si humiliantes qu’elles constituent une dangereuse atteinte à la pudeur. Ce sentiment de honte mutile et dégrade l’âme, la faisant fuir et détester la lumière du jour. . .

Quintilien, 35-95

Mais ce que vous ne croiriez pas si facilement à m’entendre, c’est que certaines personnes sont encouragées à la luxure par les coups des verges, et que les bastonnades les font brûler d’une flamme lubrique… Un exemple singulier du pouvoir qu’a la violence éducative d’enraciner dans nos mœurs des comportements pervertis…

Johann Heinrich Meibom, médecin, 1629

 

La fessée – définie comme une série de coups donnés sur les fesses – est une manière de frapper, et donc une violence physique. Cela devrait suffire à rendre inacceptable la fessée administrée aux enfants, en fonction des mêmes règles qui protègent les adultes, pourtant moins vulnérables. Mais il s’ajoute à la fessée une autre dimension : ce châtiment viole l’une des régions du corps les plus intimes et les plus sensuelles, les fesses. Pour comprendre pleinement le tort que l’on fait aux enfants lorsqu’on les fesse, il ne faut pas seulement s’arrêter à la violence physique mais également considérer l’intrusion d’une zone sexuellement sensible.

Tandis que les dommages causés par la violence physique liée à la fessée ont été amplement démontrés au cours du siècle dernier par une vaste littérature académique, des recherches scientifiques, des traités légaux et, plus récemment, par les médias populaires, il est très rare que les conséquences sexuelles de la fessée aient été abordées ouvertement et sérieusement. Le présent article vise à attirer l’attention du public sur les aspects sexuels qui font de la fessée un moyen particulièrement inapproprié et même dangereux de discipliner les enfants, qu’elle soit le fait des parents, des éducateurs ou d’autres personnes qui ont la charge de ceux-ci. Bien que ce texte se concentre sur la fessée, en apparence la forme de punition corporelle la plus bénigne, les arguments ci-inclus s’appliquent également à l’action de battre ou de fouetter les fesses en utilisant une badine, une ceinture, une planche en bois, ou n’importe quel instrument.

 

Zone érogène

Comme les seins d’une femme, les fesses sont une zone sexuelle ou érogène de l’anatomie humaine, même si elles ne font pas partie des organes sexuels au sens strict. Pour cette raison, le fait de les exposer en public est généralement considéré comme indécent autant qu’illégal et leur exhibition dans les films ou à la télévision est synonyme de nudité. Pour la même raison, quelqu’un qui caresse sans invitation les fesses d’une autre personne est traité par la loi comme un agresseur sexuel. La nature érogène des fesses ne s’explique pas seulement par la proximité des organes génitaux mais aussi par le fait qu’elles contiennent de nombreuses terminaisons nerveuses conduisant directement aux centres nerveux sexuels. En conséquence, les fesses représentent une zone importante de stimulations et d’intérêt sexuels.

Les caractéristiques sensuelles des fesses valent non seulement pour les adultes, mais également pour les enfants. Alors même qu’ils sont sexuellement immatures et sans une libido active, les enfants naissent avec un système nerveux complètement développé et sont donc en mesure de ressentir une stimulation érogène dès la naissance. L’existence des pédophiles montre d’ailleurs qu’ils peuvent être la cible d’intentions sexuelles déplacées. Bien que nous puissions imaginer l’enfance comme un monde d’innocence et d’insouciance, préservé de l’influence de la sexualité, nous rendons aux enfants un mauvais service lorsque nous feignons d’ignorer qu’ils ont eux aussi une sensualité méritant considération et respect.


Violation sexuelle

Puisque les enfants ont une sensibilité pleinement active et que les fesses représentent une zone érogène du corps, il faut se demander quelles peuvent être les conséquences des coups reçus sur les fesses. Nous comprenons généralement que le fait de caresser les fesses d’un enfant puisse constituer un délit à caractère sexuel (même si l’enfant ne le perçoit pas comme tel). Nous savons aussi que le fait de frapper les fesses d’un adulte constitue un délit du même ordre (même si l’offenseur n’y trouve pas de plaisir sexuel).

Dès lors, pourquoi le fait de frapper les fesses d’un enfant n’est-il pas considéré comme un délit à caractère sexuel ? Est-ce parce que la fessée, à la différence des caresses, est physiquement douloureuse et est utilisée pour punir une mauvaise conduite ? Non, car dans ce cas le fait de fesser un adulte pour le punir tout aussi douloureusement ne serait pas considéré comme un délit à caractère sexuel. Est-ce parce que les enfants, contrairement aux adultes, ont moins de probabilité d’être les cibles de perversions sexuelles, sont moins enclins à se sentir violés et donc ont moins besoin d’une protection stricte ? Non, car dans ce cas le fait de caresser un adulte serait considéré comme un crime beaucoup plus sérieux que celui de caresser un enfant.

Une explication plus plausible à ces contradictions est que la plupart des gens sont incapables ou peu disposés à croire qu’il pourrait y avoir quelque chose d’indécent dans une pratique aussi ancienne, aussi communément acceptée que la fessée, que presque tout le monde a reçue, donnée ou vu infligée au moins une fois. Et comme les fessées sont généralement administrées par des représentants de l’autorité estimés voire aimés, il devient difficile de questionner cette conduite.

Quoi qu’il en soit, le droit d’être préservé de toute violation sexuelle constitue l’un des principes fondateurs de nos démocraties. Comme ce droit à l’intégrité sexuelle est valable pour les adultes, il devrait l’être également - et même tout particulièrement - pour les enfants, qui n’ont pas atteint l’âge légal de consentement. Fesser les enfants est peut-être une tradition consacrée par l’usage, mais une tradition qui viole leur intégrité d’une manière aussi lourde de conséquences doit être remise en cause.

Certains plaident que la fessée est justifiée ou même commandée par la Bible, en particulier par le livre de Proverbes. Cependant, les fondamentalistes devraient apprécier la différence qui existe entre la coutume de fouetter les hommes sur dos, qui existait à l’époque du roi Salomon, et l’habitude moderne de frapper les fesses : cette dernière n’est prescrite nulle part dans la Bible. De plus, l’Ancien Testament contient des passages qui pourraient être - et ont parfois été - interprétés comme des encouragements divins aux châtiments corporels des épouses, aux guerres raciales, à l’esclavage, à la lapidation des enfants rebelles et autres pratiques considérées comme inacceptables aujourd’hui. Comme l’écrivait Shakespeare : « Le diable cite les Écritures pour servir ses desseins. »

 

Perversions et abus sexuels

De nos jours comme par le passé, certaines personnes sont excitées sexuellement par la fessée. Cette particularité, souvent présente dans la pornographie et associée au sadomasochisme, porte le nom de flagellomanie, dans la littérature scientifique. Tandis que beaucoup de flagellants pratiquent la fessée entre adultes consentants, quelques-uns trouvent la fessée des mineurs plus stimulante, ou plus opportune.

Or, dans plusieurs pays au monde, les enfants peuvent encore être fessés légalement et de force par leurs parents, gardiens, enseignants, directeurs scolaires et autres professionnels, jusqu’à l’âge de dix-huit ans. En conséquence, il est souvent facile pour les flagellants d’obtenir des positions où ils peuvent abuser sexuellement des enfants sans guère craindre de retombées. Tant que la société considérera la fessée comme un acte légitime de discipline et tant que les jeunes fessés seront présumés l’avoir « mérité », les adeptes pervers de la fessée y trouveront un vernis moralisateur masquant leurs vraies motivations. Les documents historiques, les archives des tribunaux et les faits divers actuels relatent de nombreux cas d’abus sexuels flagellants infligés à des victimes sans défense, et personne n’est en mesure d’évaluer le nombre d’abus qui n’ont pas été rapportés.



Avec 569 millions de dollars de recettes au 7 mai 2015, le film 50 nuances de Grey banalise des pratiques fondées sur l’érotisation de la douleur et les jeux de domination/soumission. La France s’est classée au 4e rang mondial en termes de revenus générés, montrant que la violence se glisse aussi dans le lit des Français. Le Dr Muriel Salmona estime que ces pratiques ne sont pas anodines : « On peut paraître consentir à des pratiques violentes, qu’elles soient par contention ou par douleur, mais sans savoir la réalité de l’impact que ça a sur soi. » (www.lefigaro.fr/assets/50nuances/)

Illustration du livre Justine du Marquis de Sade en 1800.
© Mary Evans/Rue des Archives



Certains adultes diront probablement : « Comme mes intentions n’ont aucun caractère sexuel, il n’y a donc pas de mal quand je fesse un enfant. » Ce raisonnement manque singulièrement de considération envers tous les enfants qui sont à la merci d’autres adultes dont les intentions ne sont pas dépourvues d’ambiguïté. Chaque fessée contribue à légitimer les actes de ceux qui utilisent la fessée comme une stimulation sexuelle en affirmant : « Beaucoup des gens fessent leurs enfants. Alors, est-ce vraiment si grave ? »

 

Développement psycho-sexuel

Même sans motif sexuel de la part de celui qui l’inflige, la fessée perturbe le développement sexuel et psychologique normal d’un enfant. Parce que les fesses sont si près des organes génitaux et si intimement liées aux centres nerveux sexuels, les coups portés à cet endroit peuvent déclencher des sensations puissantes et involontaires de plaisir sexuel. Ceci peut arriver à de très jeunes enfants, en dépit d’une douleur intense et clairement désagréable.

Cette sorte de stimulation sexuelle, qui va à l’encontre de l’objectif disciplinaire escompté et ne peut en aucun cas être défendue comme étant profitable à l’enfant, peut faire que ce dernier associera sa sexualité à l’idée de fessée. Il est possible que cette fixation lui occasionne des problèmes dans sa vie adulte. Par ailleurs, l’enfant peut réagir contre ces sensations malséantes en réprimant sa sexualité au point qu’il ait, en tant qu’adulte, des difficultés à vivre le plaisir sexuel et à connaître l’intimité.

Un autre danger sera que le mélange déroutant du plaisir et de la douleur devienne la base de tendances sadomasochistes persistantes. Le sadomasochisme, dans lequel une personne ressent du plaisir à infliger ou à recevoir de la douleur, implique une conduite destructive de soi-même et des autres et donc de la société en général. Bien que l’intensité et les origines du sadomasochisme varient entre les individus, la grande majorité des cas étudiés indiquent une cause principale : les bastonnades dans l’enfance, habituellement sur les fesses.

Il serait difficile de calculer la probabilité avec laquelle une fessée conduira l’enfant à des désordres psycho-sexuels. Cependant, le simple fait qu’il y a un risque devrait être suffisant pour que cette pratique soit abandonnée (Il est important de noter que même les enfants qui ne sont jamais fessés peuvent être affectés négativement en voyant d’autres enfants subir ce châtiment). Au regard des risques encourus, la fessée est complètement injustifiable.

 

La fessée et la pudeur

Imaginez votre réaction si un représentant de l’autorité, ayant découvert quelque méfait de votre part, vous clouait en travers de ses genoux et commençait à vous frapper sur les fesses. Plus que la douleur, la plupart des gens considéraient cet acte comme une atteinte grossière et inexcusable à leur pudeur, peu importe ce qu’ils aient fait pour le « mériter ».



Dix-neuf États américains autorisent encore les enseignants à battre le derrière des enfants avec une palette de bois (image ci-contre). D’après les derniers chiffres publiés par le bureau des Droits civils du département de l’Éducation, au moins 223’190 élèves ont subi une ou plusieurs punitions corporelles dans les seules écoles publiques durant l’année scolaire 2006-2007 – dont 49’197 dans l’État du Texas qui totalise le plus de victimes.

Human Rights Watch, A Violent Education, Corporal Punishment of Children in US Public Schools, août 2008, p. 3, http://www.hrw.org/reports/2008/08/19/violent-education-0.



De nombreuses personnes considèrent que les enfants, surtout les plus jeunes, sont trop ignorants ou trop naïfs pour ressentir une telle ignominie, ou sont trop impressionnés par la douleur physique pour se préoccuper de quoique ce soit d’autre. La vérité, toutefois, est que la fessée peut léser sérieusement la perception qu’un enfant a de la pudeur. Quand un enfant est assez âgé pour comprendre qu’il doit se comporter avec pudeur (ce qui n’est pas seulement une exigence sociale, mais aussi une sage précaution contre les agresseurs potentiels), il est probable que cet enfant intègre et développe la pudeur comme une valeur personnelle qui s’affirmera avec l’âge. Cette valeur persiste même si l’enfant manifeste parfois des comportements immodestes, comme font la plupart des enfants. Par contre, l’enfant dont les fesses sont frappées peut ressentir une honte profonde et durable posée sur sa sexualité, particulièrement si la punition est infligée devant témoins ou si elle implique l’exhibition de sa nudité. De fait, certains adultes considèrent même cette humiliation comme faisant partie intégrante de la punition (à vrai dire, certaines personnes ne limitent pas la fessée aux plus jeunes enfants ni même aux préadolescents). Tout comme le fait d’infliger une telle humiliation à des adultes représente un outrage inacceptable dans une société dite civilisée, c’est assurément une manière choquante de traiter les enfants.

Il est d’ailleurs étrangement inconséquent que des adultes exhortent leurs enfants à la pudeur tandis qu’ils les punissent d’une manière qui les prive de leur pudeur naturelle et viole leur intimité de façon si agressive. De tels messages contradictoires tendent à dérouter les enfants et à les rendre méfiants à l’égard de l’autorité des adultes. Si les adultes ont fermement l’intention d’inculquer aux enfants les valeurs de pudeur, de respect de soi-même et des autres – valeurs qui prennent toute leur importance au moment de l’adolescence et de la puberté –, ils devraient prêcher par l’exemple et s’abstenir de pratiques irrespectueuses à leur égard, comme celle de leur frapper les fesses.

 

Conclusion

Il n’est pas discutable que la fessée ait une dimension sexuelle aussi bien que punitive. Cette connaissance existe dans notre culture et est même suggérée par les médias, d’une manière tacite ou explicite. Pourtant, notre société n’a pas encore été en mesure d’aborder franchement les conséquences alarmantes de cette double nature de la fessée. Si l’on considère la persistance des perversions d’ordre sexuel d’une part et la nature contraignante de la punition d’autre part, on ne peut qu’être alarmé par la seule idée d’exercer la discipline au moyen de la fessée, surtout si cette punition est infligée à une catégorie de la population aussi vulnérable et dépourvue de méfiance que les enfants.

Tom Johnson*

*Membre de l’association Parents and Teachers Against Violence in Education (PTAVE), P.O. Box 1033, Alamo CA 94507, U.S.A. / TEL: (919) 831-1661

© Traduction M. A. Cotton et Tom Johnson


Prises de position

(traduites de sources anglophones)

 « Un coup sur les fesses peut produire des sensations manifestement érotiques, pouvant aller jusqu’à l’orgasme chez certains enfants. On aurait même observé que certains de ces enfants favorisaient les conditions d’être fessés, en se conduisant mal à dessein et en feignant la douleur tandis qu’ils recevaient la « punition » escomptée. La fréquence avec laquelle ces situations se produisent n’est pas connue, mais cela ne serait pas rare […]. La fessée, dans ces cas, aurait été donnée pour satisfaire aux exigences perverses de l’adulte lui-même (sadisme) ; ou tout au moins l’adulte aurait-il eu l’intuition coupable de pouvoir tirer parti de la réaction sexuelle de l’enfant […]. Il y a encore quelques dizaines d’années, les pervers se faisant passer pour des gouvernants ou des précepteurs étaient loin d’être rares, disait-on dans certains pays européens. »

J. F. Oliven, médecin,
Sexual Hygiene and Pathology (1965)

« Dans plusieurs cas, la valeur disciplinaire attribuée à la flagellation dans les écoles et les universités n’était qu’un prétexte facile permettant aux pervers d’obtenir une stimulation sexuelle. »

George Ryley Scott,
historien, sociologue, anthropologue,
The History of Corporal Punishment (1938)

 

« Quand un enfant est frappé sur les fesses […], cette violente stimulation peut être sexualisée dans l’esprit de l’enfant non seulement du fait d’un réel afflux sanguin vers les organes génitaux, mais aussi du fait d’un manque d’intimité avec le parent : si le contact physique douloureux est la seule manière de combler ce manque, alors cela peut « faire du bien ». »

Shere Hite, sexologue,
sociopsychologue, The Hite Report on the Family (1995)

 

« Telles sont les réalités que la plupart d’entre nous nous efforçons de nier […]. Aussi longtemps que les enfants seront frappés par les adultes, l’obsession de la domination et de la soumission, du pouvoir et de l’autorité, de la honte et de l’humiliation, du plaisir douloureux - qui sont des marques du sadomasochisme - demeurera une conséquence de la violence et de la contrainte routinières infligées au nom de la discipline […]. Le sadomasochisme n’est pas une aberration ; il est inhérent au châtiment corporel. »

Philip Greven,
professeur d’histoire, Spare the Child (1990)

 

« J’ai constamment eu affaire avec des personnes névrosées chez qui des tendances sadiques avaient pour origine les châtiments corporels ; après que la pulsion sadique ainsi éveillée ait été refoulée, elle devient le point de départ de perversions latentes dont il serait difficile d’affirmer qu’elles eurent été agissantes sans un large usage de la verge […]. Le nombre de ceux qui sont affectés par les coups - surtout sur les fesses - est indiscutablement très grand […]. Même une personne qui réprouve toute expression de la sexualité niera difficilement que les châtiments corporels puissent provoquer des stimulations d’ordre sexuel, bien que la zone fessière ne fasse pas expressément partie des organes génitaux. »

Oskar Pfister,
médecin, psychanalyste,
Love in Children and its Aberrations (1924)

 

« De fréquentes fessées peuvent aussi avoir un impact négatif sur le développement sexuel. Du fait de la proximité des organes génitaux, un enfant peut être stimulé sexuellement lorsqu’il est fessé. Ou alors, il peut vivre un tel soulagement lors de la réconciliation qui suit la punition qu’il considérera la souffrance comme un prélude nécessaire à l’amour. De nombreux couples adultes semblent avoir besoin d’une bonne querelle pour passer une bonne nuit. »

Dr. Haim G. Ginott, pédopsychologue,
Between Parent and Child (1966)

 

« Les partisans des châtiments corporels à l’école devraient examiner avec attention la somme de connaissances disponibles actuellement et, particulièrement en regard de leur dimension pornographique, se demander s’ils peuvent justifier le maintien d’un système qui a une telle capacité à engendrer des penchants pervers. »

British Psychological Society,
Report on Corporal Punishment in Schools (1980)

 

« Le fait d’être fessé provoque une excitation d’ordre sexuel de par l’intense stimulation des zones érogènes de la peau des fesses et des muscles sous-cutanés. »

Otto Fenichel, médecin,
The Psychoanalytic Theory of Neurosis (1945)

 

« Depuis Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, il est connu de tous les éducateurs que la douloureuse stimulation de la peau des fesses est une des racines érotisantes de l’objet passif de la cruauté (masochisme). »

Sigmund Freud,
Three Essays on the Theory of Sexuality, VII (1905)

 

« Le fantasme adulte de flagellantisme découle toujours de son aspect infantile. Comme pour toutes les perversions sexuelles, nous sommes en présence d’une variété de stades interrompus […] que la puberté et les expériences ultérieures n’ont pu déloger […]. Il nous faut examiner ses racines dans l’enfance […]. »

Ian Gibson, historien,
The English Vice (1979)


Faits divers

(traduits de sources anglophones)

The New York Times (22/12/92) Le directeur d’une école secondaire publique de Manhattan pour enfants ayant des difficultés scolaires a été arrêté hier et inculpé d’abus sexuel sur un garçon de 14 ans, un élève de l’école. L’inspecteur Robert Viteretti a déclaré qu’à deux reprises, le directeur avait fait appeler le garçon dans son bureau, fermé la porte à clé et baissé le pantalon et les culottes du garçon. « Il a alors commencé à fesser le garçon pour sa propre satisfaction sexuelle, tout en se caressant le sexe », a-t-il ajouté.

The Sacramento Bee (26/3/95) PHOENIX - Le directeur d’une école privée a été arrêté et accusé de forcer une fille de 15 ans à se déshabiller et à s’agenouiller en position de prière pendant qu’il la frappait avec une palette de bois.

La mère de la fille a été témoin de la bastonnade, mais était trop effrayée pour faire quoique ce soit pour l’arrêter, selon la police de Phoenix […]. La sœur de l’adolescente, âgée de six ans, attendait dans la pièce voisine et a aussi entendu les cris de détresse de sa sœur, a dit la police.

Sa mère l’avait emmenée pour une éventuelle inscription en septembre.

D’après la police, le directeur Michael William Wetton aurait dit à cette fille, durant son supplice de 75 minutes, le 24 février, qu’il voulait qu’elle comprenne ce qu’était une punition corporelle, telles qu’elles sont pratiquées pour discipliner les élèves dans cette école […]. Après l’arrestation de Wetton, des parents se sont insurgés contre la police […]. « La Bible dit qu’il faut faire usage de la verge », a déclaré Rosemary Rice, membre de la direction, en ajoutant que l’arrestation « était une agression contre les croyances chrétiennes. »

The Plain Dealer (Cleveland) (19/8/97) ELYRIA - Raymond Boyle pourrait écoper de deux ans de prison après avoir été reconnu coupable, hier, d’abus sur ses filles pour les avoir fessées avec leurs pantalons baissés.

Pour Gary A. Crow, directeur des services sociaux du Lorain County, ce cas montre combien la frontière qui sépare la discipline de l’abus peut être difficile à tracer.

Les lois de l’Ohio autorisent un usage modéré du châtiment corporel, mais les autorités judiciaires affirment que la méthode de Boyle représente un risque pour la santé mentale de ses deux filles, âgées de 13 et 15 ans.

L’officier de police Alex Molnar affirme que Boyle, 39 ans, exigeait que ses filles se dénudent de la taille jusqu’au bas avant de les fesser.

The News-Times (Danbury, Conneticut)

(3/12/96) LITCHFIELD, Conneticut. (AP) - Un entraîneur de petite-ligue, accusé de fesser à plusieurs reprises une petite fille après avoir baissé son pantalon, a été inculpé d’agression sexuelle.

Ronald Ellis, âgé 30 ans, de New Hartford, était présent au Tribunal de Bantam lundi. Il a été remis en liberté, sur la base d’une promesse écrite d’apparaître à l’audience.

The Gazette (Montréal) (31/10/00) Amanda Green, 7 ans à l’époque, s’était mal comportée et l’avait fait exprès, ce jour où, treize ans auparavant, elle avait joué avec de l’eau et s’était hissée sur la cuvette des toilettes des filles, à l’école élémentaire Greendale de Pierrefonds.

Elle et son amie furent attrapées par leur enseignant et Amanda sut qu’on allait les punir lorsqu’on les envoya dans le bureau du directeur.

David Wadsworth, le directeur de l’école, leur dit d’entrée qu’il voulait les voir l’une après l’autre. Lorsque ce fut le tour d’Amanda, cette enfant de deuxième année entra nerveusement dans le bureau de Wadsworth.

Ce qu’elle avait fait était mal, lui dit Wadsworth, et maintenant il allait lui laisser choisir entre deux punitions : soit il dirait à ses parents et à ses enseignants ce qu’elle avait fait et la priverait de certains privilèges, tels que la récréation et la gym ; soit elle baisserait son pantalon et sa culotte et le laisserait la fesser comme il l’aurait fait à son propre enfant, et personne ne saurait jamais de ce qui s’était passé.

« Ne puis-je pas laisser ma culotte ? » demanda Amanda. Non, se rappelle-t-elle clairement avoir entendu, car la honte fait partie de la punition.

Amanda, une enfant décidée, savait qu’on ne pouvait pas exiger qu’elle se déshabille. Elle n’appréciait aucune des deux punitions, dit-elle au directeur avec aplomb. Peut-être déconcerté par une fillette disposée à lui tenir tête, Wadsworth lui dit de quitter le bureau et ne mentionna plus jamais l’incident.

L’amie d’Amanda choisit la fessée.

Wadsworth a été reconnu coupable de possession de matériel pornographique à caractère pédophile - des images et des vidéos d’enfants que l’on fessait -, d’agression sexuelle et d’indécence grave à l’encontre de huit anciens élèves de l’école élémentaire de Pincourt. Amanda Green, aujourd’hui étudiante à l’Université Concordia, est hantée à l’idée du nombre d’enfants qui ont dû, eux aussi, choisir la fessée déculottée, administrée par un homme dont chacun estimait qu’il était un directeur très aimable et un enseignant formidable.

Une lettre lue lors de l’émission de la BBC « Y a-t-il des questions ? » (4/84)

« Mon partenaire est un directeur retraité d’une école préparatoire où il avait l’autorité de battre de jeunes garçons. Il dépense aujourd’hui beaucoup de temps et d’énergie à contacter de jeunes hommes et femmes qui consentiraient à être battus, car c’est la seule façon qu’il a de ressentir une excitation sexuelle. »

The Philadelphia Inquirer (10/4/95) Il a 61 ans, est lourd et petit, sans signe distinctif particulier. Barbara, sa seconde femme depuis 15 ans, connaît bien sa dépendance et la difficulté d’en sortir. « S’il est en retard, je deviens nerveuse, dit-elle, non parce qu’il pourrait trouver une femme en chemin. J’ai peur qu’il se fasse attraper comme exhibitionniste. »

Son père aimait le fesser. C’était humiliant et ritualisé, son père disant toujours que sa main sur le cul de son fils « faisait le bruit d’un tambour ou d’une timbale. » Sa mère, de 15 ans plus jeune que son mari, restait silencieuse. Le résultat : « Je me suis constamment exhibé avec le fantasme d’être puni. » Ce qu’il cherchait, c’était la fessée. En fait, sa première arrestation a eu lieu parce qu’il demandait à deux filles de le fesser.


Lectures conseillées

Charles, Jeffrey, Sin, Sex and Spanking School-Aged Children (1994). En ligne à www.nospank.net/scharles.htm.

Freud, Sigmund, A Child is being Beaten: A Contribution to the Study of the Origin of Sexual Perversion (1919). Réimprimé dans la Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud (Consultez une bibliothèque universitaire)

Gibson, Ian, The English Vice, London: Duckworth, 1978.

Green, Gerald and Green, Caroline, S-M: The Last Taboo, New York: Grove Press, 1974.

Greven, Philip, Spare the Child: The Religious Roots of Punishment and the Psychological Impact of Physical Abuse, New York, Random House, 1991.

Hyman, I. A., Reading, Writing and the Hickory Stick: The Appalling Story of Physical and Psychological Violence in American Schools, Boston, Lexington Books, 1990.

Krafft-Ebing, Richard von, Psychopathia Sexualis (1886) (Traduit de l’allemand. Consultez une bibliothèque universitaire)

Maurel Olivier, La Fessée, 100 questions-réponses sur les châtiments corporels, éditions La Plage, 2001.

Maurer, Adah, Paddles Away: A Psychological Study of Physical Punishment in Schools, Palo Alto, R&E Research Associates, 1981.

Miller, Alice, Libres de savoir Ouvrir les yeux sur notre propre histoire, Paris,Flammarion, 2001/The Truth Will Set You Free : Overcoming Emotional Blindness and Finding Your True Adult Self, New York, Basic Book, 2001 ; C’est pour ton bien : Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, Paris, Aubier, 1984/For Your Own Good : Hidden Cruelty in Child Rearing and the Roots of Violence, New Yordk, Farrar, Straus and Giroux, 1983. L’association Parents and Teachers Against Violence in Education (PTAV) recommande l’ensemble des livres d’Alice Miller, qui sont tous disponibles en français.

Newell, Peter, Children are People Too: The Case Against Physical Punishment, London, Bedford Square Press, 1989.

Scott, George Ryley, The History of Corporal Punishment, London, T. Werner Laurie, Ltd., 1938, Réimpression, Detroit, Gale Research Co., 1974.

Spanking Can Be Sexual Abuse (Compilation). En ligne à www.nospank.net/101.htm

Straus, Murray A., Beating the Devil out of Them: Corporal Punishment in American Families, New York, Free Press, 1994.