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Pour résoudre l’antisémitisme

par Sylvie Vermeulen

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 17 (août 2004)

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Résumé : Toute projection des causes de nos souffrances sur un support, en l’occurrence le comportement juif, manifeste l’interdit de prendre conscience de l’existence même de notre problématique.


Le mot « antisémite » apparaît en Allemagne à la fin du XIXème siècle. Il désigne la haine de l’esprit sémitique que l’on trouve dans le judaïsme. À cette époque, le journaliste Wilhelm Marr déclara, dans un pamphlet, que son pays « était la proie d’une race conquérante, celle des juifs, race possédant tout et voulant judaïser l’Allemagne[1]. » Cette sensation collective d’être envahi et dépossédé, projetée sur le comportement juif et rejouée jusqu’à la solution finale, révoquait radicalement la possibilité de mettre au jour les causes de la problématique juive et donc, but dissimulé, celles de l’esprit germanique.

 

Distribuer les rôles

En effet, tant qu’elle n’est pas reconnue comme émanant de nous-mêmes, de notre propre histoire, la projection est la manifestation de l’interdit de prendre conscience de l’existence même de notre problématique, et donc l’interdit de rentrer dans notre processus de résolution. Toute projection des causes de notre souffrance, de nos sentiments ou de leurs conséquences sur ce qui est alors réduit à un support, a le même effet de destitution.

Ce journaliste, se sentant menacé à l’instar d’un bon nombre de ses concitoyens, haïssait l’esprit juif, vécu comme irréductible, pour sentir vibrer en lui la supériorité de l’esprit germanique. Pour ce faire, il sépara l’inflexibilité et la dureté de l’éducation paternelle allemande du regard d’amour sans condition, de reconnaissance et de fierté qu’il devait porter sur son père et sur les hommes de sa communauté. En divisant et distribuant les rôles, il se privait de l’ensemble concordant nécessaire à la prise de conscience des dynamiques agissant l’homme. Son rapport à ceux à qui il faisait porter les causes de sa souffrance était empreint de l’insensibilité paternelle.

 

 

Fig. 1 : La dégradation d’Alfred Dreyfus, le 5 janvier 1895. Dessin d’Henri Meyer en couvertur du Petit Journal du 13 janvier 1895, légendé « Le traître ». (Wikimedia Commons)

 

Sentiments refoulés

L’antisémitisme est donc une attitude d’hostilité projetée sur une autorité quelque peu différente de celle subie dans l’enfance. Ce déplacement a été induit par le père qui désigna à ses enfants les acteurs de leurs futures remises en scène. En faisant cela, il détourna sur d’autres l’impératif de conscience manifesté à son égard par le fils. Ce dernier, en continuant de s’y soumettre à l’âge adulte, évite les réactions paternelles qui le paralysent encore de terreur. Par une simple sélection de gestes, de paroles ou d’attitudes, le frère, l’autre, l’être humain, lui-même pris dans une tentative de résolution de son histoire, devient le compagnon de lutte ou l’ennemi à éviter, à abattre. C’est, pour les hommes, une occasion de revivre des sentiments refoulés, comme la fureur que fit monter en eux l’impuissance à faire sentir au père ce qui est juste, et d’imputer à l’attitude de ceux qui deviennent les acteurs du présent toute la charge émotionnelle refoulée qui les envahit alors (fig. 1).

 

Innocence du Père

Les réactions communes que suscitèrent les communautés juives dans tous les pays – aussi divers soient-ils – révèlent la forme la plus sophistiquée et la plus présomptueuse des structures patriarcales édifiées dans le monde. Les rabbins avaient, durant des siècles, cultivé et fortifié une exégèse qui se révéla redoutable pour toutes les hiérarchies patriarcales. Leur dialectique était plus serrée, leur science apparaissait plus réelle, plus sérieuse et plus subtile. Elle semblait offerte sans contrepartie à des régimes de plus en plus dépendant de la sophistication de leurs privilèges et de l’évolution de leur technologie.

Mais leur dialectique était entièrement circonscrite dans le cadre de leur rejouement. Elle ne pouvait dépasser les combinaisons scéniques possibles et ne nommait que la logique inhérente à ce rejouement. À travers le jeu des représentations symboliques combinées à une interprétation sélective de la réalité, ils déterminèrent des scénarios dans lesquels ils pouvaient attribuer à Iahvé l’entière responsabilité de leurs actes. Créés comme fils, ils étaient libres de toutes responsabilités. Leur bonheur et celui de la nation juive dépendait uniquement de l’observance totale des Lois de Moïse – divines, éternelles, bonnes, justes – et de leur conformité au Talmud. Dans ce dernier, « le Juif trouvait tout prévu : les sentiments, les émotions, quels qu’ils fussent, étaient marqués ; des prières, des formules toutes faites permettaient de les manifester[2] ».

Dans leur croyance, le monde ne connaîtrait le bonheur que lorsqu’il serait soumis à l’emprise universelle de leurs lois. Ainsi les pères tiennent leurs enfants en servitude. Ces derniers n’ont droit que par pitié à la munificence paternelle. Ainsi les hommes réprouvent-ils toutes les dimensions de la vie qui leur signifient son superbe génie et son inépuisable disponibilité, pour affirmer des rôles de dominateurs dans leurs propres ghettos.

Remettre en cause son propre père, c’est découvrir le chemin de la résolution.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 08.2004 / regardconscient.net

 


Notes :

[1] Lire Bernard Lazare, « IX. L’antisémitisme moderne et sa littérature », in L’antisémitisme, son histoire et ses causes, Léon Chailley (éditeur), 1894, p. 241. L’ouvrage original est disponible sur Wikisource, https://fr.wikisource.org/wiki/L’Antisémitisme_(Lazare). Socialiste anarchiste issu d’une famille juive assimilée, Bernard Lazare fut à la pointe du combat pour la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Son ouvrage, qui témoigne d’une grande érudition sans toutefois être exempt de préjugés, fut par la suite applaudi par des auteurs antisémites comme Édouard Drumont ou Pierre Guillaume (plus récemment Alain Soral), parce qu’il laissait entendre que les Juifs avaient leur rôle dans la haine séculaire dont ils étaient les victimes. Dans son testament du 27 juin 1903, Lazare écrit à propos de ce livre : « Une édition peut en être refaite, on mettrait cependant en tête que sur beaucoup de points mon opinion s’était modifiée. » (N.D.L.R.)

[2] Bernard Lazare, « V. L’antijudaïsme du huitième siècle à la réforme », in L’antisémitisme, son histoire et ses causes, ibid. p. 117.