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L’attentat...

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 5 (juin 2002)


Résumé : À peine un mois après la victoire de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP) aux élections législatives de juin dernier, le chef de l’État français est la cible d’un attentat manqué. Un tel incident revêt une signification particulière lorsqu’on s’intéresse à la vie émotionnelle d’une nation.

 

Il est presque dix heures du matin, ce 14 juillet 2002. Le command-car présidentiel vient de faire le tour de l’Arc de Triomphe et s’engage sur les Champs-Élysées, lorsqu’un jeune homme empoigne la carabine 22 long rifle qu’il dissimule dans un étui à guitare et tire en direction de Jacques Chirac, sans l’atteindre. Rapidement maîtrisé par des badauds, le tireur avouera par la suite : « Je voulais tuer le président de la République et me suicider après. »

Paradoxalement, cette tentative d’assassinat intervient au moment où le chef de l’État concentre dans ses mains plus de pouvoirs que n’importe quel président de la République avant lui. Disposant d’une majorité absolue au parlement, ses partisans contrôlent également le Conseil constitutionnel et le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Pourquoi cette faille dans la protection du Président qui, au soir de ce même 14 juillet, allait annoncer 9 milliards d’euros de dépenses nouvelles pour la justice, la police et la gendarmerie ?


Mise à mort symbolique

Dans un livre qui vient de paraître, Lloyd deMause, psychohistorien, explique que le leader d’une nation a souvent pour mission inconsciente de soulager l’anxiété refoulée de ses concitoyens (1). Mais il ne peut y parvenir, puisque cette anxiété tire son origine du vécu traumatique de l’enfance. En conséquence, le groupe finit par retourner sa rage contre lui, exprimant parfois ouvertement son désir de le voir mis à mort. Des messages subliminaux, issus de l’inconscient collectif, commencent à circuler sur les principaux médias nationaux. Il se peut alors qu’un individu particulièrement déséquilibré s’investisse du rôle du bourreau.

 

Porté au pouvoir pour rassurer les peurs de la nation, le gouvernement Raffarin est perçu comme faible par l’inconscient collectif français. Un signe qui pourrait annoncer de vives tensions sociales. (Dessin paru dans Libération, 17.6.02)

 

Au soir de la victoire de l’UMP aux législatives, Serge July écrivait : « La tragédie pour Chirac commence aujourd’hui: il doit en effet réussir. » (2) Élu grâce aux voix de ses détracteurs de la gauche plurielle, Jacques Chirac se veut rassembleur car il doit démentir sa réputation d’impuissance. Il multiplie les déclarations musclées, mais déjà la «modestie» du premier ministre qu’il s’est choisi début mai exaspère (voir image ci-dessus). Le contexte est particulièrement difficile : la France vient d’être humiliée au Mondial et Jean-Marie Messier – le PDG prodigue de Vivendi Universal qui a hissé une entreprise française au rang de puissance médiatique mondiale – est destitué pour ses malversations comptables.

Fin juin, la bourse est le théâtre d’un véritable « jeu de massacre » (3) pour les valeurs françaises, au premier rang desquelles France Télécom et Vivendi Universal, justement. Des millions d’actionnaires particuliers font les frais d’une « chute vertigineuse » des titres. Une semaine avant l’attentat contre Jacques Chirac, l’Express résume ainsi la conjoncture boursière : « Plongeons et rebonds inexplicables se succèdent. Les marchés sont touchés par une crise de confiance exceptionnelle, et des mécanismes pervers de contagion alimentent le mouvement. » Selon certains analystes, une psychose s’est emparée des investisseurs, qui menace le capitalisme dans son essence (4).


Images publicitaires

Un sentiment collectif d’impuissance et d’humiliation est également perceptible dans les messages publicitaires, qui utilisent – autant qu’ils reflètent – le subconscient des consommateurs. Chez les concessionnaires d’automobiles, Superman abandonne sa cape – symbole de sa toute puissance – sur le capot de la Mini Cooper S (lancement le 13 juin). Une pub Peugeot 206 affiche une vamp en bas résille, guidant la plume d’un homme qui écrit docilement. En guise de rafraîchissement, Perrier montre une pin-up outrée jetant le contenu de son verre à la figure d’un prétendant. Ces images, choisies parmi d’autres du même genre, traduisent un profond désarroi. Certaines d’entre elles mettent en scène des figures féminines humiliantes, qui réactivent l’anxiété d’être symboliquement dévoré par une mère surpuissante.

Une figure charismatique pourrait peut-être tenir à distance la panique qui s’installe, mais Jacques Chirac n’a apparemment pas cette faculté. Certains de ses détracteurs le rendent déjà responsable du naufrage pressenti de la nation. Ainsi début juin, s’exprimant sur l’adoption probable d’une loi d’amnistie complaisante à l’égard des délits financiers, le député Arnaud Montebourg (PS) lançait cet avertissement aux élus de la majorité présidentielle : « [Si vous adoptez cette loi] ce n’est pas seulement le gouvernement Raffarin qui en périrait, c’est la République elle-même que vous aurez pris la responsabilité de faire chavirer, précipitant dans les bras de son pire ennemi des centaines de milliers de nos concitoyens, écœurés et révoltés. » (5)


Peur bleue

Dans ce climat d’incertitude, un étrange évènement survient le 3 juillet à l’Assemblée nationale. Un incident que L’Express juge «ahurissant» (6). Sous les caméras de télévision, un homme pénètre dans l’hémicycle avec un objet métallique (en l’occurence une coupe) et rejoint Jean-Pierre Raffarin à la tribune. Il est rapidement maîtrisé par les députés, soudain saisis d’une peur bleue. Et L’Express de conclure : « S’il s’était agi non pas d’un inoffensif illuminé mais d’un tueur déterminé, sans doute aurait-on assisté (...) à l’assassinat du Premier ministre et du président de l’Assemblée nationale, ainsi qu’à un carnage comparable à celui du conseil municipal de Nanterre le 27 mars. » Le tireur des Champs Élysées aurait-il entendu là un message ?


Aspirations populaires

Au soir du 5 mai, les Français ont confié à Jacques Chirac le rôle d’apaiser leur peur panique d’une société plus ouverte et plus juste. Crispés derrière les valeurs d’ordre de leurs propres parents, ils ont fermé les yeux sur les mensonges dans lesquels ils baignent et appelé de leurs vœux la « tolérance zéro » : moins de remise en cause, moins de liberté, moins d’espoir. Déjà, ce mode de refoulement compulsif de la souffrance donne quelques signes de faiblesse. La cuirasse craque. Pour s’épargner une longue et douloureuse période de transition, le gouvernement actuel ferait bien de réunir au plus vite une Assemblée constituante qui permette de jetter les bases d’une nouvelle République, plus proche des aspirations populaires.

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 06.2002 / www.regardconscient.net

Notes :

(1) Lloyd deMause, The Emotional Life of Nations, éd. Other Press, LLC, 2002. Lire également notre présentation.

(2) Serge July, Et la crise n’est pas finie, Libération, 17.6.2002.

(3) Le krach des télécoms, Le Figaro, 25.6.02.

(4) Pourquoi la bourse est devenue folle, L’Express, 11.7.2002.

(5) Arnaud Montebourg (PS), Débats de l’Assemblée nationale, 9.6.2002.

(6) Comme dans un moulin, L’Express, 11.7.2002.