Édito No 13 (décembre 2003)

La médecine du pouvoir

par Marc-André Cotton

Lors d’une récente émission radiophonique, le député médecin Bernard Accoyer (UMP), auteur d’un amendement législatif visant à normaliser l’exercice de la psychothérapie, a clairement réaffirmé le pouvoir que s’octroient le Ministère et la Faculté de médecine sur la santé des citoyens : « En France, lorsqu’il s’agit de la santé publique, il y a lieu de se référer constamment à la puissance publique. C’est sa mission régalienne. » [1] Comme conséquence de cet état d’esprit, le corps médical ne tolère pas la mise en cause de l’exercice de cette souveraineté acquise, semble-t-il, de droit divin. Aujourd’hui, dans le combat qu’il mène contre les psychothérapeutes dont il prétend sécuriser les pratiques, le pouvoir médical ne fait que confirmer son arrogance et dévoile un visage inquiétant.

Il n’est guère étonnant que cette corporation résiste à la résolution de son histoire. Au fil des siècles, le médecin s’est peu à peu imposé comme une figure susceptible, dans l’exercice de son « art », de compenser les souffrances relationnelles des classes dominantes. Il se substitua aux femmes et aux mères, qui furent déniées dans leurs qualités d’écoute et de soin au profit d’une caste méritante, bientôt couverte d’honneurs (page 3). Au XIXe, devant les ravages causés par l’industrialisation et l’exploitation forcenée de l’homme au travail, la science médicale offrit au pouvoir républicain sa propagande la plus efficace. Louis Pasteur permit de promouvoir la vaccination comme un outil de cohésion sociale dans la lutte contre les épidémies, détournant la population des causes réelles de ses souffrances (page 6).

Face à une telle idéalisation, la figure du médecin remplaça bientôt celle du curé dans l’imaginaire collectif. Prescripteur d’ordonnances perçues comme salvatrices, le praticien fut chargé d’enrayer les conséquences du non accueil de la souffrance, dans un environnement relationnel où dominait un isolement psychologique insoutenable (page 4). Sa formation et la fidélité qu’il voue à ses maîtres lui interdisent de prendre en compte la sensibilité de l’enfant qui signale sa détresse à travers les maladies dites « infantiles ». Il diagnostique en spécialiste et terrorise par l’évocation ritualisée de symptômes inquiétants (page 5). C’est ainsi qu’il participe, de façon routinière, à la structuration collective du refoulement de la souffrance, soutenu en cela par l’errance de la recherche scientifique (page 7).

Aujourd’hui, l’ampleur de la tragédie sanitaire résultant de l’application aveugle des paradigmes de la médecine moderne fait frémir. En faisant de leur sensibilité leur ennemie, les hommes se coupent de leur vécu. Ils humilient les femmes pour leur aptitude à accueillir et à nourrir la vie (page 8). Ainsi, terrorisé par l’éventualité d’une mise au jour, le pouvoir masculin s’enfonce dans le mépris au lieu de libérer ses propres capacités de résolution, et se transforme en son propre ennemi.

M.Co.

[1] « Faut-il réglementer les psychothérapies ? », Le téléphone sonne, France-Inter, 25.11.2003. Sur la normalisation de la psychothérapie, lire également « La France a peur de ses souffrances ! » 


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