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Les jeunes, boucs-émissaires du sentiment d’insécurité

par Pascal Corniquet*

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 2 (mai 2002)


Résumé : Les responsables politiques ont fait de la sécurité l’axe majeur de la campagne des présidentielles. Les jeunes en situation de précarité font les frais d’un amalgame qui les rendent responsables du malaise ambiant. Pour se rassurer, le citoyen qui vit dans la crainte votera en faveur d’un "père« qui contrôle et normalise.

 

Si nous prenons du recul par rapport au discours médiatique, nous constatons que la précarité dans nos sociétés était présente tout au long de notre histoire, de façon plus au moins importante selon les époques. Les laissés-pour-compte se dénombraient alors par centaine de milliers dès lors qu’une crise éclatait. Mus par cet état de souffrance, certains d’entre eux manifestaient leur désespoir et leur colère par des actes de révolte dans l’espoir d’être entendus et secourus. Actuellement en France et contrairement à certaines périodes de notre histoire, les exclus rebelles en sont plus à exprimer un désaccord à travers des détériorations et déprédations que par une violence physique pouvant entraîner la mort d’autres citoyens.

Dans ce cas, comment peut-on expliquer la stigmatisation d’une partie des exclus, à laquelle nous assistons aujourd’hui ?


Hausse des dépôts de plainte.

Des jeunes habitant les zones urbaines sont catalogués en tant que « sauvages » ou « délinquant », jugés responsables des désordres régnant dans les villes et banlieues, et désignés comme étant à l’origine du sentiment d’insécurité. Pourtant, les dernières statistiques officielles, pour l’année 2001, indiquent que sur les 4.061.792 faits délictueux constatés en France par les services de police et les unités de gendarmerie, la part de la délinquance de voie publique représente 57,55%, soit une légère hausse par rapport à 2000 (56,70%) (1). Dans une récente intervention, le directeur de la police national, Patrice Bergougnoux, a expliqué l’augmentation de la délinquance constatée en zone police (+6,23%) par la hausse importante des dépôts de plaintes (2). S’il en est ainsi, l’appel au maintien de l’ordre ne servirait alors qu’à combler le déficit de légitimité dont souffrent les responsables politiques.

Déjà dans le passé, les jeunes qui manifestaient un besoin de changement étaient accusés, par leurs aînés, de provoquer le malaise ambiant. Au Vème siècle avant J.-C., Socrate disait déjà de la jeunesse : « Elle est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucun respect envers les anciens. Nos enfants aujourd’hui (...) sont simplement mauvais ». Ce genre de discours, que nous entendons de façon répétitive, contient une forte dose de violence verbale, qui est révélatrice des relations avec les nouvelles générations.


Prévention radicalisée.

Alors, la prévention est radicalisée au point de créer une nouvelle politique pénale publique instituant la contrainte, la sanction et l’usage de la prison comme outil de gestion de la misère. Cette volonté de la part de politiciens de gérer les conflits sans analyser le contexte et les causes profondes, d’utiliser comme prévention la répression, et de nier leur propre implication dans les processus d’exclusion consolide l’effet discriminatoire. Cette voie à plutôt tendance à exacerber l’incompréhension qu’à régler les problèmes en profondeur. Car comme le souligne Pierre Rimbert (3), les causes sont balayées par des « experts en sécurité » à la disposition des représentants des pouvoirs publics, et travaillant en réseau. Ils propagent une appréciation dramatisée (4) et des discours alarmistes sur les « cités interdites » tenues par des « armées de délinquants » multipliant les violences et les « incivilités ».

Il est intéressant de constater que les mesures de « lutte contre l’insécurité » de 1997 ont été suivies de la loi de lutte contre l’exclusion, en 1998, puis que l’intérêt porté à l’ensemble des exclus a été malheureusement utilisé dans la loi dite « sécurité au quotidien », votée en 2001. Certaines zones d’exclusion, où sévissent le chômage et la misère, ont été dénoncées comme des « cancers sociaux » et un fichier élargi des personnes « à risque » a été initié, pour commencer. Ces pratiques s’éloignent radicalement des objectifs fixés par le gouvernement pour les orientations de la politique de la ville, notamment le renforcement de la cohésion sociale et la construction d’un nouvel espace démocratique avec les habitants (5).


Amalgame.

Quant on sait que la sécurité, qui est la deuxième priorité de ce gouvernement, est l’un des axes majeurs pour gagner la future campagne présidentielle, on comprend mieux qu’il faille désigner des boucs émissaires. Déjà au XIX siècle, la bourgeoisie qui avait en aversion les quartiers populaires, zones insalubres de concentration de familles pauvres, projetait sur leurs habitants toutes les « fautes » de la société (6). Renforcer les sanctions, quitte à perdre certaines libertés, et faire l’amalgame entre les jeunes en difficulté et la délinquance, convaincra le citoyen qui vit dans la crainte de ces jeunes mal connus de voter pour l’autorité et de s’en remette à un « père » qui contrôle et normalise. Ainsi rassuré, certain de faire partie du bon lot, il oubliera de se poser une question essentielle : quel est l’impact des écarts de conditions de vie et privilèges entre les différentes couches de notre société ? D’autre part, lorsque les sentiments de peur des uns et des autres entrent en résonance autour d’actes dérangeants, la désignation immédiate d’un coupable est nécessaire pour occulter la responsabilité de ceux qui sont en partie à l’origine de ces situations d’exclusion. C’est ainsi que Christian Jelen (7) préfère chercher les racines de la violence dans les cultures d’origine : une façon de désigner les jeunes issus de l’immigration.


Interroger nos peurs.

Enfin, il est important de voir que c’est dans un climat d’impuissance que se structure l’exclusion. Dans son analyse de l’école en crise, Jackie Gil (8) constate que « les enseignants sont en grande souffrance, démunis devant la violence de jeunes qui se sentent eux-mêmes incompris dans une institution qui les rejette ». Nous devons interroger nos peurs pour comprendre celles de jeunes qui se sentent rejetés et qui refusent une relégation économique et sociale silencieuse.

Pascal Corniquet*

© P. Corniquet – 02.2002 / www.regardconscient.net

*Pascal Corniquet est responsable d'une structure d'inséertion en milieu professionnel.

Notes :

(1) Crimes et délits constatés en 2001, www.interieur.gouv.fr ( Pour complément d’information : ces taux seraient très inférieurs à certains de nos pays voisins européens).

(2) Intervention du directeur général de la police nationale, 28.01.2001, www.interieur.gouv.fr

Extraits : « (La catégorie des vols) représente en effet, à elle seule, près des deux tiers de cette augmentation ? j’ai souligné l’importance du nombre des vols de téléphones portables dans ce type d’infractions. C’est désormais un fléau dans toute l’Europe ».

« ...cette montée en puissance des dispositifs partenariaux encourage le dépôt des plaintes et facilite la mise à jour- révèle au sens photographique du terme- ce qui était jusqu’ici caché. Par un effet de vases communicants, ce qui était jusqu’ici non déclaré aux services devient fait révélé et donc, avéré. Faut-il pour autant l’interpréter comme une aggravation de la délinquance ? Ceci reste à démontrer ».

(3) Sociologue au Centre de sociologie européenne, Les managers de « l’insécurité ». Production et circulation d’un discours sécuritaire, La machine à punir, L’esprit frappeur n°95.

(4) Un sondage IPSOS, commandé par le Groupe caisse des dépôts sur le thème « Que trouve-t-on facilement dans son quartier » met en évidence le décalage entre la perception des « experts » et la réalité de ces quartiers.

(5) Circulaire du Premier Ministre, 31.12.1998, n°14, 153.

(6) Louis Chevalier, Classes laborieuses, classes dangereuses,1958

(7) La guerre des rues. La violence et les jeunes, Plon, Paris 1999.

(8) Secrétaire académique du SNUAS-FP/FSU (académie de Montpellier), La contamination pénale de l’Education nationale, La machine à punir, L’esprit frappeur n°95.