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Sommes-nous malades de refouler nos souffrances?

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 1 (avril 2002)


Résumé : Lorsque la réalité vécue est intolérable, des mécanismes psychiques de survie nous permettent de « fuir » la souffrance en la refoulant. Mais la mémoire des évènements traumatiques précoces reste parfaitement conservée et continue de nous tourmenter. Notes de lecture.


Pendant les premières années de notre développement, notre système nerveux est encore trop immature pour faire face à une douleur intense. La souffrance est alors « engrangée » dans l’attente d’une libération. Plus tard, les carences de notre enfance resurgissent lorsqu’une situation nous fait craindre que nos besoins ne soient pas satisfaits. Nous développons alors des stratégies pour nous permettre de supporter le stress de ces souvenirs. Un processus névrotique s’engage, qui nous prive peu à peu de notre capacité de ressentir.

« Une masse incroyable de sentiments refoulés pèse sur un individu névrosé, explique Arthur Janov, fondateur du Primal Center de Venice, en Californie. Celui-ci ne sait pas que cette souffrance l’emprisonne, et pourtant il est sous sa coupe toute la journée. Elle limite sa pensée, ses perceptions, son imagination et ses choix (?) et bloque le plein exercice de sa sensibilité d’être humain.» (1) La mémoire de ces expériences refoulées prend la forme d’empreintes*, des «moules» émotionnels qui colorent et déterminent une part importante de nos réactions quotidiennes.


*Empreinte
Souvenir refoulé de traumatisme précoce, toujours présent dans l’organisme, qui engendre une réactivité particulière à certains évènements quotidiens. Le décalage existant entre la réalité présente et l’émotion qu’elle suscite chez une personne peut désigner l’existence d’une empreinte traumatique.



Souffrance conservée

Notre cerveau comporte plusieurs niveaux de conscience, qui gèrent les mécanismes biochimiques du refoulement. Un premier niveau est constitué par le système nerveux primitif, qui gouverne la plupart de nos fonctions vitales. Imaginons le cas d’une femme enceinte abandonnée par son mari et songeant à avorter. Dans cette situation d’urgence, son organisme va produire une quantité importante d’hormones de stress qui affecteront le fœtus. En grandissant, ce dernier conservera des sensations cataclysmiques – liées à une angoisse de mort – qui seront très actives sur le plan physiologique.

Un second niveau de conscience est constitué par le cerveau limbique, siège de la conscience émotionnelle. Les opiacés naturels secrétés par le corps dans des circonstances traumatiques sont des agents de refoulement agissant directement sur le système limbique. Les personnes psychotiques ont un nombre anormalement élevé de récepteurs de dopamine dans cette région, ce qui suggère l’existence de très nombreux traumatismes précoces (lire ci-dessous). Comme ces émotions précèdent l’acquisition du langage, elles sont difficiles à mettre en mots, mais n’en sont pas moins agissantes, sous la forme d’un mal être indéfinissable qui affecte nos vies personnelles.


Justifier nos comportements

Un troisième niveau de conscience implique le néocortex, qui donne un sens à nos expériences et nous permet de continuer à fonctionner même si la souffrance bouillonne aux étages inférieurs. Dans ce but, le néocortex peut inventer des concepts, faire des projets ou déterminer des objectifs qui constituent eux-mêmes des stratégies de refoulement.

Ainsi, un bébé affamé qu’on laisse pleurer dans son berceau oubliera cette expérience en grandissant. Devenu adulte, il aura tendance à calmer cette terrible sensation de faim et de solitude en mangeant à l’excès, lors de fréquents dîners d’affaires par exemple. Il justifiera son comportement par l’importance des liens de convivialité qu’il tisse alors avec ses clients.

La composante douloureuse d’un traumatisme est détournée de la conscience, il se forme un clivage entre le «moi» qui éprouve cette souffrance bien réelle et le «moi» qui dépense une précieuse énergie psychique à refouler cette dernière. Du fait que l’empreinte traumatique continue d’affecter sa physiologie, l’individu perd contact avec la réalité et développe une structure névrotique à laquelle il finit par s’identifier.

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 04.2002 / www.regardconscient.net


Neurobiologie et maltraitance

« La société récolte ce qu’elle sème dans la manière dont elle éduque ses enfants. » Telle est la conclusion sans équivoque d’une étude portant sur les conséquences à long terme des maltraitances précoces, parue en mars 2002 dans Scientific American (2).

Analysant les effets du stress sur plusieurs zones profondes du cortex cérébral, une équipe de psychiatres du McLean Hospital du Massachusetts a mis en évidence une altération du fonctionnement du système limbique chez des sujets dont le passé traumatique était bien documenté. « Les abus semblent induire une cascade d’effets moléculaires et neurobiologiques qui modifient irréversiblement le développement neuronal ». précisent les chercheurs.

Les conséquences reconnues des maltraitances précoces sont innombrables: dépression, anxiété, suicide, mais aussi agressivité, hyperactivité ou abus de drogues. L’une des manifestations psychiatriques les plus troublantes concerne les formes de dissociation de la personnalité. Un patient souffrant de tels symptômes est sujet à des explosions volcaniques de colère, lorsqu’il se sent trahi. Il peut être victime d’hallucinations. Son système limbique, qui devrait réguler la mémoire émotionnelle des évènements, est alors mis en échec. Ces résultats sans appel suggèrent que de très larges efforts doivent être entrepris pour prévenir abus et négligences.

MCo


Notes :

(1) Arthur Janov, Le corps se souvient, guérir en revivant sa souffrance, éd. du Rocher, 1997. Il est aussi l'auteur de La biologie de l'amour, éd. du Rocher, 2001.

(2) Martin H. Teicher, The Neurobiology of Child Abuse, Scientific American, mars 2002.