Édito No 1 (avril 2002)

La mémoire et l’oubli

par Marc-André Cotton

Quelque part, nous partageons tous cette croyance qu’il vaut mieux oublier ce qui nous a fait souffrir. Ne dit-on pas que le temps nous aide en cela ? Il est alors difficile de ne pas idéaliser telle figure de notre enfance ou recomposer tel souvenir sous l’effet de l’impérieuse nécessité.

Cette tentation universelle de réécrire l’histoire est agissante dans tout groupe humain, avec d’effroyables conséquences : un récent rapport [1] circulant dans les couloirs de l’ONU révèle que les militaires américains ont largué un minimum de 500 tonnes d’uranium appauvri (UA) sur l’Afghanistan, au cours des récents bombardements. Selon le Pentagone, les radiations qui s’en dégagent seraient parfaitement inoffensives, alors que quelque 10 % des vétérans américains de la guerre du Golfe sont déjà morts des suites de l’exposition à l’UA.

Dans cet exemple, le groupe concerné se solidarise autour d’un mensonge, scellé par la loi du silence. C’est un exemple de « group think », une forme de pensée unique qui refuse toute autre version des évènements que la sienne et cherche à museler toute interrogation face aux contradictions.

Dans ce premier numéro de Regard conscient, vous lirez que cette logique prend naissance au sein de la famille, lorsque l’enfant est soumis au culte du secret (pages 4 et 5). Briser l’omerta familiale revient alors à ouvrir une véritable boîte de Pandore. Au niveau de la nation française, la Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes (MILS) fournit un exemple de réécriture de la mémoire collective à des fins de pouvoir (page 2). Dans ce cas, c’est une véritable milice de la pensée qui affirme sa volonté de faire taire toute remise en cause.

Mais d’autres dérives témoignent du rapport névrotique que l’homme moderne entretient avec sa propre mémoire. De gigantesques fichiers de données personnelles — ou plutôt impersonnelles — circulent désormais sur l’internet grâce aux efforts technologiques de firmes comme Microsoft (page 6), par exemple. L’existence de ces mémoires numériques, exploitables à des fins de profits réels ou supposés, inquiète les associations de défense de la vie privée.

De fait, le pouvoir que nous avons d’imposer le silence à nos souffrances se paye d’un prix exorbitant. Une masse incroyable de sentiments refoulés agissent à l’insu de notre conscience et constituent de véritables empreintes de comportement (page 3). Il est maintenant reconnu que les sévices infligés aux enfants dans leur jeune âge modifient le développement neuronal et provoquent diverses formes de dissociation de la personnalité.

C’est ici que le travail de mémoire, tant individuel que collectif, révèle son importance. Lever le voile sur nos souvenirs douloureux et accueillir les souffrances qui se présentent, telle semble être une voie de libération praticable ici et maintenant. C’est l’objectif que se donne un nouveau forum d’échange patronné par Alice Miller (page 8) et c’est aussi la raison d’être de ce journal.

Au fil des prochains mois, l’équipe de rédaction vous invitera à poursuivre ce voyage d’exploration de la mémoire humaine, et vous remercie d’ores et déjà de votre soutien et de votre présence.

M.Co.

[1] Ce rapport est disponible à l’adresse http://www.eoslifework.co.uk/du2012.htm


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