Édito No 6 (octobre 2002)

L’enfant devant l’école

par Marc-André Cotton

Depuis la victoire de l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle) aux dernières législatives, la classe politique française se raidit autour de la question scolaire. En juillet, le Parlement réintroduisait les « centres éducatifs fermés pour mineurs délinquants récidivistes »; en août, la loi Perben portait à six mois de prison ferme la sanction encourue pour les « délits d’outrage » à un professeur; en septembre, un avant-projet de loi pour la sécurité intérieure, proposé par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, envisage la création d’un « délit d’absentéisme scolaire », puni d’une amende de 2000 euros, parmi d’autres dispositions clairement liberticides [1].

Ce sursaut national de violence « éducative » – largement plébiscité – révèle au grand jour le mode relationnel qu’imposent les adultes aux jeunes générations. Effrayés par une remise en cause de leurs valeurs, une majorité de parents et de responsables éducatifs semblent s’en remettre à l’autoritarisme de leurs élus dans l’espoir d’une rassurance, mais sans se soucier des effets destructeurs des actions engagées.

Dans ce numéro de Regard conscient, nous voulons montrer comment l’institution scolaire participe à ce processus de reproduction de la violence. Dans une certaine conception républicaine de l’école, héritée de l’esprit colonial du XIXe siècle, l’enfant est une créature misérable qui ne doit son salut qu’à sa soumission docile à l’influence civilisatrice de ses maîtres (page 4). Pendant des siècles, les châtiments corporels ont d’ailleurs été justifiés par la volonté de plier l’enfant à ce dessein (page 2).

Depuis toujours, semble-t-il, les activités de l’enfant furent méprisées car incomprises des adultes, ce qui justifia qu’on lui confisque son temps et qu’on l’utilise contre son gré (page 7). L’humiliation de la présence consciente de l’enfant – notamment à l’école – détermine des pathologies individuelles, dont l’échec scolaire et la dépression (page 3). Elle a également des répercussions collectives dans la mesure où la répétition compulsive de cette souffrance engendre des phénomènes d’exclusion sociale (page 5).

Au cœur du système scolaire, on trouve en effet un mécanisme humiliant de conditionnement par la punition et la récompense qui, peu à peu, envahit l’ensemble des activités humaines. Même les gouvernements se comportent en élèves anxieux et sont soumis aux humeurs changeantes des agences de notations financières (page 6). Ce pouvoir exorbitant, détenu par une petite élite privée d’origine anglo-saxonne, peut mener à l’étranglement économique d’un pays et de ses habitants.

Pourtant, l’école pourrait être un lieu d’ouverture où l’on se penche sur l’origine de la violence humaine et les mécanismes de sa reproduction (page 8). Il faudrait pour cela qu’un nombre significatif de parents et de responsables éducatifs s’interrogent sincèrement sur leur passé et sur les humiliations subies à l’école. Toute initiative allant dans ce sens marquerait une volonté de s’affranchir d’un lourd héritage.

M.Co.

[1] Révélé par F. Chambon, A. Garcia et P. Smolar, « Le gouvernement élargit considérablement les pouvoirs de la police », Le Monde, 27.09.2002.


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