Édito No 14 (février 2004)

Des liens qui
libèrent de la folie

par Marc-André Cotton

Mise en cause dans ses pratiques comme dans ses résultats, la psychiatrie française veut réaffirmer ses prérogatives sur la santé mentale, sous l’incitation des pouvoirs publics. Dans son Rapport d’étape, remis au ministre de la Santé en septembre dernier [1], la mission Cléry-Melin recommande la création d’une « Mission interministérielle de psychiatrie et de santé mentale ». Parmi 140 propositions, elle prévoit de quadriller la France en « territoires de santé » de 200 000 habitants environ, dotés chacun d’un « psychiatre coordinateur ». Ce responsable devrait superviser la conformité des intervenants en santé mentale et gérer un dispositif de dépistage permettant d’orienter précocement les personnes « à risque » vers les soins psychiatriques.

Le rapport Cléry-Melin veut aussi augmenter l’offre psychiatrique par des incitations financières comme l’octroi aux médecins psychiatres de rémunérations complémentaires ou d’une prime d’installation. Il propose de bâtir des campagnes médiatiques en vue de banaliser le recours à la psychiatrie dans l’opinion publique, et de créer une nomenclature d’actes psychothérapeutiques standardisés permettant leur prise en charge par l’assurance maladie. La réglementation visant à encadrer l’exercice des psychothérapies, récemment adoptée par le Sénat (page 2), trouve également son inspiration dans ce texte.

Le dispositif qui se dessine n’est pas sans rappeler la prétention impériale avec laquelle Napoléon Bonaparte imposa ses cinq Codes, au début de son règne. Parallèlement à ces décrets qui classifiaient tous les comportements jugés déviants, le despote se réservait le droit de faire interner sans jugement qui bon lui semblait. C’est sur cette base que fut fondée l’institution psychiatrique et la pratique – encore très actuelle – de l’internement administratif sur dénonciation de tiers (page 3). Aujourd’hui, la psychiatrie symbolise toujours l’enfermement duquel l’être séquestré ne peut s’extraire. C’est pourquoi ses théoriciens veulent nous la présenter sous un jour nouveau. Son objectif occulté reste de soulager les familles de ceux de leurs membres qui manifestent trop crûment les conséquences des aberrations relationnelles transmises de génération en génération (page 4 et 5).

Cette mouvance émane d’une volonté collective de « déculpabiliser les parents », qu’on détourne ainsi d’un processus naturel de résolution de la souffrance. C’est pourquoi le concept de « résilience » rencontre actuellement un tel écho médiatique (page 6). En réalité, l’enfant est terrifié par l’aveuglement parental et l’expression de sa sensibilité s’en trouve durablement perturbée. En grandissant, il apprend à se mentir en échange de compensations valorisant le refoulement de sa souffrance et, devenu adulte, participe au mensonge collectif (page 7).

Pourtant, ce n’est pas en se mentant sur la responsabilité des adultes, ni sur les conséquences du rapport de Pouvoir, que l’on résoudra les problèmes sociaux posés par le déni de la conscience enfantine, mais en retrouvant le sens des évidences.

M.Co.

[1] « Plan d'actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale », Rapport Cléry-Melin du 01.09.2003.


(Télécharger ce numéro)

(Retour à la revue)