Édito No 16 (juin 2004)

Sexualisation
des relations humaines

par l’équipe de rédaction

Dans une récente interview, le Dr Aldo Naouri, pédiatre et auteur renommé d’origine libyenne, lance un « cri d’alarme contre la toute puissance des mères ». Préconisant un retour au maternage des années 50, il déconseille l’allaitement maternel à la demande et suggère aux mères de nourrir leurs enfants à heures fixes : « Cela va les frustrer très tôt, or on s’habitue à la frustration précoce. Elle permet d’intégrer l’idée qu’on peut vivre des moments sans plaisir et sans risque d’en mourir. » D’après ce spécialiste, il faudrait protéger la mère de sa pulsion à « sursatisfaire son enfant » afin qu’elle puisse investir sa féminité dans la satisfaction des besoins de son partenaire sexuel, l’homme. « Être femme, conclut Aldo Naouri, c’est avoir envie d’aller au lit avec un mec. » [1]

D’où vient la prétention avec laquelle les hommes s’arrogent le droit de séparer l’enfant de sa mère pour disposer ainsi à leur guise du corps féminin ? Pour nombre d’entre eux, l’harmonie qui émane d’une scène de maternage est insupportable. Ils revendiquent de confisquer cette intimité à leur avantage, dans l’espoir inavoué de compenser la souffrance de ne pas avoir été pleinement accueillis par leur propre mère, et dénient à la femme la conscience de l’importance de sa présence aimante auprès de son bébé (page 3). L’ordre patriarcal qui impose ce mode relationnel sexualise les relations humaines au profit de ses compensations névrotiques et construit des théories interdisant toute remise en cause. La psychanalyse freudienne, en particulier, attribue au tout petit une « perversité sexuelle polymorphe » qui n’est autre que la manifestation des torsions relationnelles vécues et refoulées par son concepteur. La vulgarisation de telles idéologies dans le grand public cache une volonté de faire feu de tout bois pour garantir les prérogatives masculines (page 6).

Les rituels sanglants de circoncision – tant féminine que masculine – procèdent de la même volonté d’imposer à l’enfant une soumission durable aux exigences paternelles. L’impact traumatique d’une telle opération explique la répétition de ces pratiques, en dépit de leurs terribles conséquences, et la virulence que suscite leur mise en cause (pages 4 et 5). Leur abolition impliquerait l’accueil des souffrances qu’elles ont justement pour fonction de refouler par un violent passage à l’acte dont l’enfant fait les frais. De même, celles et ceux qui banalisent les fantasmes sexuels masculins et les imposent aux jeunes filles, notamment par le biais de la publicité et de la mode, sont fidèles à une hiérarchie phallocrate dont l’arrogance est aujourd’hui largement perceptible. L’accord tacite des femmes à jouer le rôle d’objet sexualisé, voire érotisé, participe à la diffusion de ce modèle de soumission (page 7).

En gardant le silence sur le mode relationnel que les pères refoulant leurs souffrances imposent dans la sphère familiale, femmes et hommes ne font qu’obéir aux injonctions muettes de leurs parents et grands parents, parce qu’ils ignorent la réalité consciente de l’être humain (page 8). S’ils reconnaissaient cette dernière, ils accueilleraient le regard et la parole de l’autre comme un éclairage et un accompagnement dans la réalisation de leur conscience commune.

L’équipe de rédaction

[1] Propos recueillis par Natacha Czerwinski et Jacqueline Remy, L’Express du 19.04.2004.


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