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Le père, facteur d’insécurité

par Bernard Giossi

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 10 (juin 2003)


Résumé : Lorsque le père n’assure pas à la mère la sécurité et la paix nécessaires à sa pleine présence à l’enfant, il crée un climat d’insécurité et de tension qui la détourne de son nourrisson.

 

Elle doit dès lors veiller à l’extérieur et quitter son centre qui est la vie de l’enfant. Lorsque l’homme n’a ni reconnu, ni résolu sa propre insécurité – vécue avec ses propres père et mère – il va exiger que son foyer soit un lieu de rassurance et de compensation à son service. Il exige qu’en échange de tout ou partie des fruits de son travail, chacun soit soumis à son besoin de rassurance et de refoulement. Lorsque la mère quitte son petit et obtempère aux besoins de compensations de l’homme et aux siens propres – ce qui est irrésistible puisque elle-même n’a pas non plus reconnu ni résolu les souffrances vécues avec ses propres père et mère –, l’enfant, lâché, sent instantanément (bien qu’il ne puisse le formuler) que quelque chose ne va pas, que ce qui se passe est disharmonieux. Il souffre et le manifeste.

 

Élan retenu

L’élan naturel de la mère serait de répondre à ces appels, mais l’homme se sent abandonné et retient la femme. Il se met au même niveau, c’est-à-dire en concurrence avec son enfant et veut garder sa femme-mère près de lui, il n’est plus un adulte responsable, il est devenu un petit-garçon-souffrant-dans-un-corps-d’adulte. L’homme use de sa force physique pour retenir sa femme, que son propre père avait maltraitée et terrorisée. Le père abuse de sa force physique pour faire taire son enfant, il le terrorise de toute sa masse, de ses menaces. Le père déclare la guerre à son petit. Celui de qui sécurité, paix et rassurance dépendent, devient agresseur, destructeur et trop souvent tueur. Celui dont la force et la virilité sont sources de vie et devrait être siège de la conscience devient un danger pour cette même vie et réducteur de cette même conscience. Pour l’enfant, cette situation est insensée, incroyablement terrifiante et par conséquent à refouler de toute urgence : c’est la guerre.

 

Détournement

Le père retourne sa force physique contre ceux qu’il lui est naturel de protéger afin de les soumettre à sa problématique. Terreur, coups et blessures, handicap, punitions, soumission, déportation, maladie, obéissance aveugle, violences sexuelles, sont une énumération des violences faites aux Hommes par les hommes pendant les guerres : un rejouement des violences faites aux enfants par leur propre père. Les guerres semblent, pour beaucoup, inéluctables car ce qui a été vécu dans les lignées familiales reste refoulé et obscur. Elles semblent être inhérentes à l’humain car les débuts de l’enfance, comme ceux de l’humanité, furent terrifiants et insécures au plus haut point. Combien d’hommes et de pères reconnaissent que leurs comportements dominateurs et violents sont injustes et n’essayent-ils pas de les justifier par des prétendues nécessités éducatives ? Combien sont-ils à vouloir considérer avec virilité ce qu’ils ont subi et remis en scène plutôt que de le faire subir à leurs enfants ? Lorsqu’un nombre significatif d’hommes et de pères auront fait ce pas, l’humanité aura changé et les guerres n’existeront tout simplement plus.

 

Traumatisme récurrent

L’être humain qui a vécu dans son enfance ce pervertissement de la force virile en impuissance agressive sait, dans sa chair, qu’il a peu (ou rien) à attendre des hommes qui aille dans le sens de la reconnaissance de la vie. Il va naturellement – particulièrement le fils qui est lui-même dépositaire de cette force – mettre son énergie à comprendre pourquoi ce qu’il sent de lui ne correspond pas à ce qu’il sent de son père, sa référence absolue. L’enfant remet en scène les conditions du traumatisme avec ses frères et soeurs: cris, bagarres, insultes, humiliations et larmes se succèdent, excédant les parents qui jugent, punissent et frappent, aveugles et sourds à la représentation très précise que leurs enfants leur offrent des comportements dits adultes. Un cadeau pour la conscience, encore faut-il que l’adulte s’en reconnaisse une et qu’il l’exerce. Les membres de la fraterie, n’étant pas reconnu dans cet exercice de leur conscience qu’est la mise en scène des rejouements paternels, s’identifient irrémédiablement à ce qu’ils manifestent et fixent leur refoulement dans l’agression faite à l’autre. En grandissant, les causes premières de leur agressivité et de leur brutalité sont oubliées, puis ces dernières sont intégrées comme une force ou une faiblesse qui conditionneront désormais leurs relations sociales.

Le même aveuglement (presque) universellement imposée à tous les garçons crée un traumatisme commun, refoulé collectivement qu’il suffira de canaliser et d’activer pour en obtenir une réponse unanime et soumise : la guerre. Qu’elle soit de classe, civile, économique, de religion, sainte ou préventive (ces qualifications sont des conditions contextuelles du rejouement), la guerre est une réponse collective à un stimulus réactivant des souffrances d’enfance refoulées violentes et précoces.

Bernard Giossi

© B. Giossi – 06.2003 / www.regardconscient.net


Werra

Guerre est issu du mot francisque werra qui, au IXe siècle, suite à la germanisation des armées romaines puis à leur remplacement par l’organisation franque, supplante le terme latin bellum. Werra avait le sens de « querelle, désordre, scandale ». Au XIe siècle, le sens du mot guerre évolue en « lutte armée entre groupes humains ou entre états, tout conflit localisé dans l’espace et le temps, querelle, dissensions entre particuliers, inimitié ».

La société romaine était très civilisée, c’est-à-dire qu’elle avait fortement complexifié ses rejouements et donc déjà dissocié dans sa parole ce dont la révélation pouvait menacer le Pouvoir. Pour les conflits familiaux ou sociaux (même armés et sanglants), des termes autres que bellum étaient utilisés. Les Germains puis les Francs, ethnies barbares bien moins policées que les Latins, usaient du même mot pour désigner toutes les confrontations violentes. En intégrant les armées romaines, puis en les contrôlant, les hommes de ces peuples ont inconsciemment montré la similitude de nature de tout les actes de violence, qu’ils soient agis par le soldat, par le chef ou par le père.

B. G.