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Mode, prostitution et stérilité

par Bernard Giossi

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 16 (juin 2004)


Résumé : Les usages vestimentaires ont toujours été une façade derrière laquelle le pouvoir masculin imposait un code de conduite étroit et rigide. L’accord tacite et actif des femmes à jouer ces rôles devient le meilleur garant de la continuité de la soumission.


Depuis les règlements prohibant tels vêtements ou réservant l’usage de tels autres jusqu’à l’obligation de classe de porter des corsets ou autres instruments de contention, les hommes ont, de tout temps, instrumentalisés les costumes féminins et masculins dans le dessein d’imposer à chacun un rôle à tenir. Ce dernier a une fonction précise dans l’établissement et la hiérarchisation du pouvoir. Du carcan européen et de la cangue chinoise aux pièces de vêtement à la mode, il n’y a de réelle différence que dans la matière et surtout dans l’illusion d’être libre de choisir. Tous ces artifices ont pour but d’indiquer la place qui est assignée au porteur, ses comportements obligés et ses codes de reconnaissance dans le rejouement collectif.


Porno-chic : De nombreuses marques de haute couture utilisent certains symboles de l’esclavage et de la prostitution pour séduire leur clientèle. (Alternatives économiques No 202, avril 2002)


Banaliser l’humiliation

Ceux qui promeuvent et banalisent  certaines représentations des fantasmes masculins et les imposent aux femmes par le biais de l’école, de la TV, des magazines, de la publicité ou de la mode, sont fidèles à un pouvoir ancien et répressif dont les conséquences sont aujourd’hui directement perceptibles. Une femme en talons hauts, préoccupée par sa ligne, qui essaie de contenir son ventre pour convenir aux fantasmes d’un homme impuissant, ne peut être présente à sa joie de vivre, à son désir de réalisation et donc accueillante à son enfant. Cette prostitution de la féminité au profit du pouvoir de l’homme la rend progressivement inapte à porter son enfant, à l’accueillir, à l’accompagner et, finalement, la rend frigide et stérile.

Ce modèle destructeur, que l’on retrouve aujourd’hui dans la gym ventre plat ou certains soutiens-gorge, était manifeste dans les corsets. Soulevant et exposant la poitrine dont l’enfant a trop souvent été privé, ces derniers excitaient l’homme. Pour le fantasme d’une taille de guêpe, ils étaient destinés à écraser le dos, le ventre et les seins, détruisant ainsi la musculature féminine liée à la maternité. Ils infligeaient des douleurs terribles allant jusqu’à l’évanouissement, interdisaient tout mouvement, proscrivaient souplesse et liberté d’agir. La femme torturée était entièrement livrée et soumise à son maître et mari, figure projective du père. La belle était coupée en deux par la taille, subissant la négation de ses facultés naturelles à être créatrice de vie. Il lui était impossible - sinon interdit - d’allaiter ou simplement d’être avec son bébé. Son enfant était privé de sa mère et dès lors livré aux domestiques et précepteurs.


Nier la réalité et séparer

En donnant à la négation et à l’humiliation de la nature féminine le qualificatif de mode, de beauté et d’élégance, les hommes s’éduquèrent à trouver laid et disgracieux ce qui est naturel et harmonieux. En fabriquant une femme-objet silhouettée, apprêtée, parée et donc aisément identifiable, ils dénigrèrent et humilièrent les femmes du peuple, celles qui, se reconnaissant souffrantes, étaient encore proches de la réalité et de l’horreur quotidiennes découlant des conditions de vie imposées par l’aristocratie et la bourgeoisie. La soumission à cette base esthétique, vulgarisée par les médias, est toujours utilisée comme signe d’appartenance aux classes dominantes. Le but inavoué des gens de pouvoir se révèle dans les conséquences de leurs exigences: séparer les bébés et les enfants de leur mère, afin de les lier par la souffrance à leurs rejouements de classe.

Aujourd’hui, parce qu’ils ont supprimé ce genre de torture trop visible, les gens de mode se légitiment de transformer les femmes, les filles et même les fillettes en consommatrices sexy. Eux aussi utilisent et maltraitent le corps des femmes au profit du pouvoir et de ses fantasmes sado-masochistes: ils sont les héritiers aveugles des tortionnaires d’antan. Ce faisant, ils exposent devant les femmes elles-mêmes le mépris auquel elles sont priées de convenir et de prendre plaisir, sous peine d’être humiliées encore plus, croient-elles, et rejetées.

La prostitution et la pédocriminalité, toutes deux des problématiques de l’impuissance masculine à jouir consciemment de la vie, s’exportent et rapportent beaucoup d’argent. Des hommes livrent leurs femmes, leurs filles et leurs garçons aux gens de mode qui les décorent, aux gens d’image qui les exploitent, aux gens de médecine qui les remodèlent et, déjà, aux biologistes qui fabriquent leurs bébés en éprouvette et bientôt par clonage.

Bernard Giossi

© B. Giossi – 06.2004 / www.regardconscient.net


Soumission

La mode est une structure éducative de soumission au pouvoir. Elle semble quasiment irrésistible, puisqu’elle laisse entendre à l’enfant qui, en nous, manque d’un père conscient, que nous serons enfin désirés et aimés si nous nous conformons à ses injonctions. En effet, le père qui ne reconnaît ni n’accueille son enfant comme un être sensible et conscient –  et donc ne se reconnaît pas lui-même comme tel – est drastiquement réduit à un rôle. Or le rôle est une activité compensatrice du vide de sens, dans le rejouement du pouvoir. La mode est donc bien une formation à la prostitution dont la jouissance – jamais ressentie – serait la reconnaissance paternelle. Le prix touché est une brève illusion de liberté et l’enjeu, la soumission à l’ordre du père.