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Un chemin vers soi-même

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue PEPS No 31 (hiver 2020)

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Résumé : Disparue au printemps 2020, Sylvie Vermeulen nous a offert une perspective d’une rare cohérence : celle de la reconnaissance de l’être en chacun. La côtoyer au quotidien a bouleversé ma perception du monde, des autres et surtout de moi-même. Bref retour sur un chemin de conscience de près d’un quart de siècle.

 

Lorsque j’ai rencontré Sylvie, au début des années 1990, elle offrait avec son compagnon des semaines d’écoute dans leur maison recluse de l’Aveyron. Ce qu’elle appelait alors « la thérapie » consistait simplement à s’allonger dans la pénombre, des heures durant, et à revenir – en sa présence – sur des moments de vie restés tapis dans les recoins de nos mémoires. Parfois une émotion affleurait et déposait sa charge sans crier gare. Dans ces moments de retrouvailles avec moi-même, je découvrais la joie d’être accueilli, aimé, que les rigueurs de mon éducation m’avaient contraint à abdiquer.


Communauté thérapeutique

L’expérience d’une communauté thérapeutique, dont Sylvie fut l’inspiratrice, présentait un défi d’un autre ordre. Il nous fallut comprendre les dynamiques d’un groupe, dénouer les tensions entre parents et enfants – et entre adultes, bien sûr – avec cette proposition fondatrice que chacun travaille son histoire. Dans son écoute, des certitudes ont alors émergé. Le fait que nous rejouons nos souffrances dans nos interactions par exemple, que nous sommes bien souvent pris dans des remontées émotionnelles ou que la sensibilité de nos enfants nous renvoie à la nécessité de mettre en cause nos propres parents. Autour de nous, la « chasse au sectes » nous offrait le spectacle effrayant de rejouements collectifs d’une autre ampleur.

Ce que Sylvie pressentait, c’est que nous sommes tous mus par un impératif en prise directe avec la réflexivité de notre nature consciente : nous sommes des êtres de vérité. Bien que dévoyés par nos éducations, nous n’avons de cesse de retrouver la jouissance de notre senti dans un processus de réalisation propre à chacun, mais qui nous rassemble tous. La profondeur de nos souffrances et l’épaisseur de nos structures d’adaptation rendent cependant nécessaire un long travail sur soi, un chemin vers soi-même pour lequel Sylvie proposait des outils de compréhension inédits.


La croyance du « Mal en l’Homme »

Dans les années 2000, nous avons commencé à coucher ces découvertes sur papier et créé le site Regard conscient. Chaque mois, nous éditions une publication électronique de huit pages, sur un thème donné : la mémoire et l’oubli, l’enfant miroir, la violence éducative[1].... Une formation en psychohistoire me permit de réaliser que nos recherches s’inscrivaient dans un courant de la pensée contemporaine reconnaissant la bienveillance fondamentale de l’être humain. C’est à cette époque que Sylvie écrivit son Génie de l’être dont la publication posthume est agendée pour le printemps prochain[2]. Elle remarquait que la croyance du « Mal en l’Homme », profondément enracinée dans notre mémoire collective, n’avait pas pénétré l’âme enfantine. « Les êtres qui naissent sont contraints au terrible apprentissage du refoulement de leur conscience, constatait-elle. L’aveuglement qui en résulte rend impossible la jouissance de notre véritable nature. »

Forte de ce constat, elle proposait à ses lecteurs de retrouver leur sensibilité par l’écoute des dissonances relationnelles qui, enfants, les en avaient détournés. Parmi celles-ci figuraient toutes les formes d’abus et de maltraitances, les violences éducatives ordinaires, mais aussi les torsions et manipulations infligées à la conscience enfantine au nom de l’éducation et de l’obéissance. « La sensibilité de nos enfants est la manifestation d’une conscience pleine et spontanée, poursuivait-elle. Elle est la plénitude, la présence, la vérité et l’amour que nous, adultes, semblons chercher désespérément. »


Sylvie Vermeulen dans les frimas de l’hiver jurassien, décembre 2017 (© photo M.A. Cotton)

Conscience et problématiques familiales

L’engagement politique de Sylvie avait aussi de quoi surprendre. Héritage d’une enfance dévouée au militantisme de son père communiste, il l’avait conduite à faire l’école du parti et à siéger brièvement comme conseillère municipale à la mairie d’Elbeuf (Seine-Maritime) à l’âge de vingt-cinq ans. Bien que s’étant distancée de ce père terrifiant, Sylvie gardait un point de vue avisé sur les enjeux sociaux, les dynamiques historiques et les conflits de classes. J’ai été stimulé par cette dialectique à laquelle mon milieu catholique ne m’avait pas préparé. Et lorsque nous avons recomposé ensemble le puzzle de nos histoires familiales, une évidence s’est imposée : nous ne sommes pas seulement façonnés par nos éducations, mais aussi légataires d’une problématique plus vaste incluant nos lignées. Tant de fantômes vivent en nous !

Sylvie a partagé des outils de conscience permettant de détendre ces emprises et de nous libérer des culpabilités que nous portons encore. Je pense aux dissonances relationnelles enregistrées par le tout-petit dont la mère fut indisponible ou par l’enfant contre lequel son père s’est parfois retourné. Quel parent n’a pas senti le malaise d’avoir ainsi « mal agi » ? Réaliser que nous remettons en scène l’indisponibilité de nos propres parents, alors aux prises avec leur mémoire traumatique, permet de rendre aux véritables destinataires la charge que nous destinons trop souvent à nos enfants ou à nos proches, de sortir du carcan de la culpabilité pour nous libérer de nos rejouements et retrouver la joie de vivre.


Processus de réalisation

Sur ce chemin d’introspection et d’expression émotionnelle, Sylvie fit œuvre de pionnière. Elle pressentait que la conscience intuitive de l’enfant est totale, fluide, intense. Que le langage qu’il apprend à l’école est empreint du déni imposé par les rigueurs d’une éducation visant l’adaptation et donc le refoulement. Elle a discerné l’existence d’un processus de réalisation agissant dans le sens de nos prises de conscience – fonctions premières de nos remises en scène. « Dans l’introspection, écrivait-elle, nous nous révélons à nous-mêmes, nous réalisons l’histoire des autres dans l’écoute et nous nous connectons avec la véritable histoire de notre humanité au travers de prises de conscience. »

Cette proposition de réconciliation avec nous-mêmes d’abord, avec les autres ensuite, Sylvie l’a portée comme elle a pu – jusque dans la maladie qui l’a emportée. C’est une perspective d’une brûlante actualité et j’aurai l’occasion d’y revenir, car ce chemin de conscience m’a profondément apaisé, m’a libéré d’une terreur de vivre qui ne m’appartenait pas. Auprès de Sylvie, j’ai retrouvé la confiance d’être aimé et la force d’aller vers le monde. Je lui en suis immensément reconnaissant !

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 12.2020 / www.regardconscient.net


Notes :

[1] Nous avons finalement publié vingt-quatre numéros de la revue Regard conscient, toujours disponibles sur https://regardconscient.net/revue/sommaires.html.

[2] Ce livre est paru depuis: Sylvie-Béatrice Vermeulen, Le Génie de l’être et autres écrits, éditions Le Hêtre-Myriadis, 2021.