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Homophobie arabo-musulmane

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 17 (septembre 2004)


Résumé : Les persécutions qui visent les homosexuels mettent en évidence la virulence avec laquelle la société arabo-musulmane se dresse contre le dévoilement de la violence du père.

Pour le monde arabo-musulman, l’homosexualité serait une « perversion occidentale » et l’actuel débat sur le mariage gay une preuve supplémentaire de la décadence de l’Occident. Considérés comme des êtres sans morale et sans honneur, les homosexuels font l’objet de persécutions, de mauvais traitements et de tortures, et sont même passibles de la peine capitale en Arabie saoudite, au Yémen ou en Mauritanie (1). Ce « comportement sexuel immoral » - un euphémisme qui condamne l’homosexualité dans la loi égyptienne, par exemple - reflète pourtant la terreur relationnelle que les sociétés arabo-musulmanes imposent à leurs enfants. Et les exactions que subissent ceux qui en manifestent les conséquences extrêmes révèlent la profondeur de cette terreur.

 

Dressage agressif

La culture arabo-musulmane traditionnelle est caractérisée par la domination absolue de l’homme sur sa famille. Le Prophète avertit : « Ô croyants ! Vos épouses et vos enfants sont pour vous des ennemis ! Prenez garde ! » (Le Coran, sourate LXIV, verset 14) Dans l’imaginaire collectif, la femme serait constamment tentée par le diable, une projection d’affects refoulés non reconnus qui légitime la répression qu’elle subit. Humiliée, bafouée dès l’enfance, elle ne gagne de droit à l’existence qu’à travers le mariage et la maternité. Une « bonne mère » se doit de sacrifier son existence à sa progéniture et développe des comportements ambivalents à l’égard de ses enfants. Elle donne longtemps et abondamment de son lait, mais inflige un sevrage brutal lorsque survient une nouvelle grossesse, enduisant par exemple ses seins de piment fort. Dès cette séparation, l’éducation des enfants se caractérise par un dressage agressif, ceux-ci étant non seulement soumis à la violence de leurs pères et mères, mais encore à celle des autres adultes qui peuvent les « corriger » quand bon leur semble (2).

 

Sodomie

Pour le garçon, l’âge scolaire correspond généralement à son entrée à l’école coranique, un établissement où le F’qih - le maître d’école - exerce une autorité tyrannique dont l’enfant gardera de terribles souvenirs. En ce lieu, l’homme de Dieu a toute liberté pour frapper et humilier ses élèves, et même pour abuser d’eux sexuellement, encouragé par la croyance populaire selon laquelle celui qui veut apprendre « doit passer sous le maître ». L’acte de sodomie, accepté comme s’il s’agissait d’un rite de passage, est relaté par plusieurs écrivains maghrébins. « Tout le monde accepte les propositions du maître coranique ! écrit par exemple Rachid Boudjedra. Il nous caresse furtivement les cuisses et quelque chose de dur nous brûle le coccyx. C’est tout ! » (3)

 

Manque de père

Le cruel mépris relationnel que le père impose à ses fils est scellé par la circoncision, un rituel sacrificiel qui marque leur rejet définitif du cercle « impur » des femmes et installe en eux la compulsion à se prévaloir de leur virilité pour remettre en scène la violence paternelle. À la fois inaccessible et autoritaire, le père suscite terreur, vénération, mais aussi nostalgie, puisque c’est lui qui, dans la violence, a interdit la remise en cause de la rupture du lien entre l’enfant et sa mère. Ce drame intime, à l’origine d’une stricte séparation des sexes, explique l’importance que prennent les pratiques sodomites dans les sociétés arabo-musulmanes, y compris à l’égard de jeunes enfants, en dépit de l’interdit religieux qui les frappe. Le sentiment de dégoût qu’ils projettent sur la femme, pourtant plus réceptive à leurs souffrances, incite certains jeunes hommes à considérer la relation homosexuelle comme une alternative susceptible de compenser l’absence d’un père conscient et aimant. Impuissants à mettre en cause les violences qui leur furent infligées, ils revivent dans ces passages à l’acte les sentiments de honte et d’humiliation que leurs parents portèrent jadis sur leur conduite d’enfant : « Va ! Tu es maudit dans ce monde et dans l’autre monde ! » (2)

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 09.2004 / www.regardconscient.net

Notes :

(1) Lire le dossier Être gay dans le monde arabe, Courrier international No 712, 24-30.06.04.

(2) Les informations de cet article relatives à l’éducation arabo-musulmane sont tirées de Abdelhak Serhane, L’Amour circoncis, éd. Eddif, 2000.

(3) Rachid Boudjedra, La Répudiation, Denoël, 1969, p. 94.