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Les revers de la bienséance

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 20 (avril 2005)


Résumé : En entravant le développement naturel de l’enfant, l’éducation bourgeoise impose des rapports relationnels fondés sur le mépris et la violence.


L’éducation dite bourgeoise prétend s’imposer comme un modèle libre de toute référence sociale ou culturelle. Elle se caractérise pourtant par une détermination compulsive à interférer dans le développement naturel de l’enfant pour l’adapter aux critères de convenance propres à la classe dominante. Elle repose sur le déni de l’élan vital de l’enfant et sa réduction à un support de projections dont l’origine n’est pas dans la vie elle-même, mais dans la perversion de son expression spontanée. « Moi ! moi ! moi ! tel est le cœur de l’enfant, et son égoïsme n’est admirable et intéressant que parce qu’il est faible et manipulable », argue un magazine familial de l’époque victorienne (1). La généralisation d’un tel modèle éducatif a pour finalité la conformité du plus grand nombre à une structure relationnelle spécifiquement bourgeoise.

 

Éducation à la bienséance

En voulant éduquer le comportement spontané du nourrisson, les parents font une projection de cette sorte : dans son état naturel, l’enfant serait un petit animal insatiable qu’ils doivent élever pour lui permettre d’accéder à un statut d’être humain. Le pédiatre et psychanalyste anglais Donald Winnicott, fils d’un riche commerçant anobli, croyait discerner chez le bébé allaité une pulsion agressive s’exprimant « sous la forme d’une offensive impitoyable contre le sein, et en définitive contre la mère. » (2) C’est ainsi qu’il théorisa et généralisa ce que sa propre mère pensait de lui, bébé, pour ne pas ressentir l’immense souffrance qu’elle l’ait abandonné aux mains d’une nourrice, puis d’une gouvernante, comme c’était la règle dans les familles victoriennes aisées (3).

La bourgeoisie est aussi opiniâtre dans sa volonté de contrôler les fonctions d’excrétion des petits qu’elle l’est à discipliner la façon de manger des plus grands. La nature de l’enfant étant jugée sale, le harcèlement à la propreté s’exerce dès le plus jeune âge, alors que le bébé n’est pas même en mesure de réguler ses sphincters. Cette discipline obsessionnelle va jusqu’à l’usage de breuvages laxatifs, de suppositoires ou d’une poire à lavement introduits directement dans le rectum. « Je me souviens encore aujourd’hui de l’horrible sensation du suppositoire glacé et d’une extrême humiliation, rapporte une personne qui en fut victime, le sentiment de subir un viol de mon intimité était affreux. » (4)

 

Détresse relationnelle

Il n’est pas étonnant que ces enfants manifestent à l’âge adulte une fixation névrotique pour leurs fonctions intimes qui combine sexualisation, violence et rejouement d’humiliations. Les privations de besoins relationnels fondamentaux présence et accueil maternels, allaitement à la demande, sécurité affective et matérielle sont en effet aggravées par l’intention éducative qui leur a fait porter la culpabilité de leurs élans de vie, par le biais de projections terrorisantes. Quand le bébé sent dans le regard de sa mère qu’elle le perçoit comme agressif et insatiable, il doit réprimer la satisfaction d’un besoin essentiel qui le réduira plus tard au voyeurisme. L’attrait honteux qu’il pourra éprouver pour les poitrines et les fessiers une des composantes du fantasme flagellant notamment sera l’expression refoulée et déplacée de cette détresse.

 

Sado-masochisme

Dans la même perspective projective, la mère ou l’éducatrice obsédée par la propreté impose au tout petit un contrôle de ses sphincters qui irrite la région sensible de l’anus. L’enfant intériorise dans sa chair la relation de pouvoir qui lui est imposée, refoule l’expression de sa rage d’être humilié et développera des stratégies de compensation calquées sur les manipulations que l’adulte lui inflige. La perturbation de ses fonctions d’excrétion devient alors la source d’un chantage relationnel qui pervertit bientôt son rapport à autrui: donner ou retenir (ses fèces, tout d’abord), féliciter ou blâmer, récompenser ou punir, aduler ou mépriser. De manière significativement plus fréquente à mesure qu’on s’élève sur l’échelle sociale, la zone anale est l’objet d’obsessions ritualisées, à caractère sado-masochiste, qui témoigne d’un besoin compulsif de remettre en scène les humiliations refoulées dans l’enfance.

La résolution de cette problématique éducative entraînerait immanquablement celle de rapports sociaux fondés sur la même base. Et c’est pourquoi la bourgeoisie ne pourra résoudre ses perversions relationnelles sans remettre en cause la structure sociale qui en découle.

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton 04.2005 / www.regardconscient.net


« Non, pas la fessée ! »

Le 30 avril prochain, l’association La Maison de l’enfant organise une journée pour sensibiliser le public français aux conséquences des châtiments corporels. Aujourd’hui, un nombre croissant d’organisations (OMS, UNICEF, Conseil de l’Europe…) insistent sur la nécessité d’informer et de soutenir les parents, dans une optique de prévention. Plusieurs pays européens ont adopté des dispositions interdisant expressément le recours aux châtiments corporels dans les familles, à cause de leurs conséquences physiques et psychologiques, mais tel n’est pas encore le cas de la France.

« En sus du travail d’information, les parents ont avant tout besoin de soutien pour faire autrement », explique l’association qui propose des réflexions sur d’autres manières d’accompagner nos enfants, de partager sur les difficultés de tenir au quotidien cette « déclaration de paix », notamment à l’occasion de cette journée. La Maison de l’enfant anime un réseau bénévole de soutien aux parents et diffuse des informations sur les effets nocifs de la violence éducative.

Pour s’informer sur la journée ou participer aux groupes de réflexion : http://www.lamaisondelenfant.org.


Notes:

(1) Family Herald, 17.11.1849, cité par Ian Gibson, The English Vice, Duckworth, 1978, p. 51.

(2) Donald W. Winnicott, The Child, the Family and the Outside World, Penguin Books, 1975, p. 53.

(3) Informations biographiques tirées du Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, 1997, p. 1094.

(4) Cité par Jonathan Gathorne-Hardy, The Rise and Fall of the British Nanny, Arrow Books, 1974, p. 264.