par Marc-André Cotton |
Viol ritualisé
Qu’elle fut infligée pour une conduite jugée impertinente, un juron, une cigarette fumée en cachette ou un pipi au lit, la séance de flagellation rituelle visait à humilier l’enfant par le viol public de ses parties intimes, ruinant ainsi sa vie relationnelle. (Flagellomanie à Eton, illustration extraite de The English Vice, Ian Gibson, 1977, p. 181) |
Dans les pages des journaux destinés à la petite bourgeoisie victorienne, les rédacteurs étalèrent une correspondance dans laquelle les préoccupations disciplinaires des parents côtoyaient des amateurs anonymes à la recherche de sensations érotiques, associées aux châtiments corporels, tandis que la demande de matériel pornographique flagellant et la prostitution du même style progressaient. Dans les colonies et tout particulièrement aux Indes, les autorités militaires britanniques laissèrent libre cours à leur flagellomanie dans la répression des populations autochtones mises en servitude.
Dès 1847, les députés du Parlement également rompus par la discipline des public schools autorisèrent la justice à faire donner la verge aux délinquants de moins de quatorze ans pour des infractions mineures, sous le prétexte qu’une punition « considérée comme salutaire pour le fils d’un gentleman [le serait d’autant plus] pour celui d’un homme pauvre » (4). Entre 1900 et 1911, les magistrats britanniques infligèrent encore près de trente-cinq mille bastonnades déculottées à de jeunes contrevenants, parfois pour un simple chapardage, et il fallut attendre 1967 pour que le supplice du fouet disparaisse du règlement des prisons (5).
L’extrême souffrance physique qu’impliquent de telles tortures ne suffit pas à justifier l’attachement des élites anglaises à ce châtiment, qu’ils préférèrent par exemple à la peine de mort pour les attentats dirigés contre la Reine (6). Comme pour l’enfant soumis par la violence éducative de ses maîtres, c’est l’humiliation du condamné fouetté publiquement à l’endroit de ses parties intimes qui devait en garantir le caractère exemplaire, ce que confirme le correspondant d’un hebdomadaire de l’époque : « La bastonnade traditionnelle est redoutée, non pas tant pour la douleur que pour le sentiment de honte et d’humiliation qu’elle manque rarement de provoquer chez le coupable. » (Town Talk, 4.7.1885)
Cette honte de soi-même, intériorisée sous la terreur et interdite d’expression, oblige l’enfant à s’identifier désespérément aux valeurs artificielles de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Elle explique notamment le mépris des élites pour les classes populaires, sur lesquelles celles-ci projettent les humiliations de leur propre enfance. Le refoulement de telles souffrances structure l’ordre social en fonction des rejouements de la classe dominante qui, s’étant endurcie sous la férule de ses éducateurs, exige du peuple qu’il s’y soumette à son tour.
Marc-André Cotton
© M.A. Cotton 04.2005 / www.regardconscient.netNotes :
(1) Roger Fry, cité par Virginia Woolf in Roger Fry: A Biography, Hogarth Press, 1940, p. 32.
(2) Ian Gibson, The English Vice, Beating, Sex and Shame in Victorian England and After, Duckworth, 1978, p. 143. Un grand nombre de mots anglais désignent la bastonnade et témoignent de cette obsession : flogging, swishing, beating, whipping, birching, smacking, caning, castigation, kicking, licking, thrasing, lashing, …
(3) Ronald Persall, The Worm in the Bud: The World of Victorian Sexuality, Hodder and Stoughton, 1972, p. 412. Pour de nombreux témoignages sur cette question, consulter http://www.nospank.net, notamment How School Paddling Can Derail Sexual Development in Children (http://nospank.net/martin.htm) ou Fatherly Love (http://nospank.net/dwayne.htm).
(4) Visiting Justice E. J. Turner, cité par Ian Gibson, op. cit. p. 152.
(5) Ian Gibson, op. cit. pp. 152 et 167.
(6) Selon le Treason Act de 1842.