Résumé : Une naissance par césarienne a des conséquences durables sur le développement de l’enfant. Aux risques accrus d’affections somatiques telles que l’asthme s’ajoutent les troubles du comportement que le Dr Michel Odent définit par une « altération de la capacité d’aimer ».
Quel est l’effet d’une naissance par césarienne sur la santé globale d’un enfant ? Cette question n’est que rarement posée parce qu’elle met implicitement en cause le pouvoir que le corps médical s’octroie sur le processus naturel de l’accouchement et impose comme modèle de référence. Les travaux du Dr Michel Odent soulignent au contraire qu’une naissance naturelle est par elle-même la référence et qu’il nous revient de nous libérer de notre compulsion à en perturber la physiologie. Ses recherches en santé primale mettent en évidence certaines des corrélations existant entre les circonstances de la période de la vie qu’il nomme primale incluant la vie fœtale, la naissance et la première année de l’enfant et la santé globale des personnes parvenues à l’âge adulte. Son site Primal Health Research contient des sources et des résumés d’études publiées dans la littérature médicale qui font état de telles corrélations. Vu l’engouement que suscite aujourd’hui la césarienne dans certains milieux, il n’est guère surprenant qu’un nombre relativement faible de publications porte directement sur les effets à long terme de cette opération. Les données épidémiologiques les plus significatives concernent les affections respiratoires, en particulier l’asthme de l’enfance et de l’âge adulte.
Césarienne et asthme
Dans une étude finlandaise portant sur un groupe d’adultes âgés de 31 ans, les sujets nés par césarienne furent diagnostiqués comme asthmatiques trois fois plus fréquemment que les autres à l’âge adulte[1]. Les complications à la naissance en général et la césarienne en particulier sont apparues comme des facteurs de risques pour l’asthme infantile dans une autre étude réalisée par les mêmes chercheurs auprès d’enfants de 7 ans[2]. Une troisième, également finlandaise, portant sur les registres de naissance de 60’000 enfants nés en 1987, confirme que la naissance par césarienne peut être associée à une prévalence accrue d’asthme de l’enfance[3]. Il est par ailleurs établi que les difficultés respiratoires du nouveau-né sont plus fréquentes après une césarienne programmée, sans travail, qu’après une naissance par voie vaginale ou une césarienne en cours de travail. D’après certains travaux, les hormones libérées au cours de l’accouchement contribuent à achever la maturation des poumons. Il est donc concevable qu’un bébé né sans travail souffre de difficultés respiratoires par la suite.
Du fait notamment que la recherche en santé primale est une discipline récente, la plupart des protocoles d’études explorant les facteurs de risques qui entourent la naissance utilisent des concepts imprécis tels que « complications à la naissance ». Il est donc difficile de trouver une évaluation spécifique des risques associés à l’opération césarienne et a fortiori de ceux qui découlent plus directement d’une césarienne programmée. Dans une étude britannique par exemple, les enfants dont la mère a souffert d’une dépression après l’accouchement présentent plus de comportements qualifiés de violents à l’âge de 11 ans, mais les circonstances de l’accouchement ne sont pas rapportées[4].
Quelques recherches montrent par ailleurs que les femmes accouchant par césarienne souffrent plus de dépression que les autres[5]. Il est donc possible d’avancer que le contexte général d’une naissance par césarienne peut être mis en corrélation avec des symptômes par lesquels la société définit aujourd’hui la violence dite juvénile, mais aucun chercheur ne s’aventure à faire ce lien direct pour l’instant. À plus forte raison, il n’existe aucune évaluation des risques dans le cas précis d’une césarienne élective programmée.
Altération de la capacité d’aimer
Les conséquences d’une naissance par césarienne sur le développement global de la personnalité sont mieux comprises par ce que Michel Odent appelle une altération de la capacité d’aimer. Cette expression recouvre des troubles aussi variés que les difficultés à être en relation ou à s’aimer soi-même, les comportements autodestructeurs comme les toxicomanies ou les conduites suicidaires, l’anorexie mentale ou encore l’autisme. Cette dernière affection, objet des premières recherches menées dans une perspective de santé primale par l’éthologue Niko Tinbergen et sa femme, peut servir d’exemple pour comprendre quels facteurs altèrent notre capacité d’aimer.
Familiers de l’observation des comportements animaux, les Tinbergen se sont intéressés au langage non verbal des enfants autistes et ont identifié dans la période périnatale une liste de facteurs qui prédisposent à cette maladie : le déclenchement de l’accouchement, un accouchement sous anesthésie, le recours aux forceps ou encore une réanimation à la naissance[6]. Ces interventions avaient en commun de perturber l’établissement du lien entre l’enfant et sa mère dans la première heure qui suit la naissance. Il fallut attendre 2002 pour qu’une étude épidémiologique suédoise confirme que l’incidence de l’autisme était significativement plus importante parmi les enfants nés par césarienne et parmi ceux qui présentaient des symptômes de souffrances néonatales, sans toutefois différencier l’impact d’une césarienne d’urgence et celui d’une césarienne programmée sans travail[7]. Plus récemment, une étude australienne a pu déterminer qu’une césarienne programmée multipliait par plus de deux fois l’incidence de l’autisme et une césarienne d’urgence par une fois et demie. D’autres complications périnatales furent également corrélées avec une incidence accrue de l’autisme chez l’enfant[8].
Le lien mère-enfant
La capacité naturelle de la mère à être présente à son bébé au cours de l’accouchement et dans les instants qui suivent la naissance est déterminante pour l’équilibre de l’enfant, en particulier pour son aptitude future à établir des relations heureuses avec son entourage. À l’inverse, toute perturbation des processus physiologiques à l’œuvre pendant l’accouchement a des conséquences durables sur le développement de sa personnalité. Lors d’une césarienne, le choc opératoire et même la seule anesthésie qu’elle soit générale ou régionale altèrent brutalement le comportement maternel. Chez les singes utilisés en laboratoire, les femelles ne s’occupent guère de leurs petits après une césarienne et le personnel doit répandre des sécrétions vaginales sur le corps des nouveaux-nés pour tenter d’éveiller leurs instincts maternels[9]. L’aptitude de l’espèce humaine à élaborer des stratégies culturelles pour s’adapter aux perturbations infligées aux processus physiologiques ne peut que pallier la perte des repères naturels et non leur substituer de nouveaux modèles.
Lorsque le bébé vient au monde d’une façon naturelle, la flore intestinale maternelle colonise immédiatement le corps du nouveau-né et lui assure une protection immunitaire. Guidé par l’odeur de sa mère, elle-même particulièrement sensible à celle du bébé, l’enfant se dirige instinctivement vers le sein maternel. Les différentes hormones libérées pendant l’accouchement jouent un rôle spécifique dans l’initiation de la lactation et de la relation d’allaitement, si importante pour le développement harmonieux de l’enfant. Le nouveau-né peut alors demeurer sereinement au contact de sa mère, peau contre peau, dans la chaleur de la présence maternelle.
Difficultés d’allaitement
Une naissance par césarienne se présente de manière radicalement différente. Le nouveau-né entre directement en contact avec les microbes souvent pathogènes de l’environnement hospitalier et des membres de l’équipe médicale, contre lesquels lui sont administrés des antibiotiques. D’après une étude finlandaise datant de 1999, la flore intestinale des bébés nés par césarienne est toujours perturbée à l’âge de six mois, ce qui pourrait expliquer un risque accru d’allergie alimentaire[10]. Selon des recherches plus récentes, l’effet de ces perturbations est encore perceptible chez des enfants de 7 ans[11]. Jusqu’à une époque récente, l’enfant était presque systématiquement séparé de sa mère après une césarienne et cette dernière n’était pas encouragée à allaiter. Avec la généralisation des péridurales et des rachianesthésies, certaines femmes peuvent aujourd’hui donner le sein alors qu’elles sont encore sur la table d’opération. Mais les conséquences de l’intervention chirurgicale pour la mère et les traitements postopératoires infligés à l’enfant ne leur permettent pas de jouir longtemps de cette intimité[12]. Dans le cas d’une césarienne programmée, ni la mère, ni le bébé n’ont pas eu l’occasion de mettre en jeu les hormones qui sont impliquées à la fois dans l’accouchement et dans la lactation. C’est pourquoi une césarienne sans travail est associée à des risques accrus de difficultés d’allaitement.
Au Brésil où les taux de césariennes sont parmi les plus élevés du monde, la promotion de l’allaitement maternel a été institutionnalisée. Bien que ce programme soit remarquable par son ampleur, la durée moyenne de l’allaitement maternel exclusif et la durée moyenne totale de l’allaitement restent très en dessous des recommandations de l’OMS[12]. Une étude réalisée en 2004 dans une zone urbaine de l’état de Sao Paulo montre que les enfants nés par césarienne sont sevrés plus tôt que ceux qui naissent par voies naturelles[13]. Par contraste, dans une autre étude conduite en Arabie Saoudite où 40 % des bébés sont encore nourris au sein à douze mois, la césarienne apparaît comme le principal facteur associé à l’interruption précoce de l’allaitement[14]. Toutes ces données confirment qu’il est important de respecter le processus physiologique de l’accouchement, notamment dans la perspective d’un allaitement maternel exclusif prolongé.
Une physiologie perturbée
De nombreuses études démontrent que la physiologie du bébé est perturbée par la césarienne, particulièrement par une césarienne programmée sans travail. Le processus de l’accouchement est en lui-même bénéfique pour le système immunitaire, pour le bon fonctionnement de la respiration ou encore pour celui du cœur. Lorsque le nouveau-né en a été privé, ses réponses immunitaires sont déficientes. Comme ses bronches n’ont pas pu évacuer les sécrétions pulmonaires lors des contractions utérines, le personnel soignant doit aspirer ces liquides mécaniquement pour dégager les voies respiratoires. Une oxygénation artificielle est aussi pratiquée et, dans certains cas, le bébé doit être réanimé. Les interventions post-opératoires de routine comprennent le sondage de son estomac pour prévenir les risques d’infection et l’injection d’air pour vérifier la perméabilité de l’œsophage. Une palpation cardiaque régulière est aussi nécessaire.
Toutes ces manipulations sont destinées à pallier les multiples perturbations que le contexte de l’opération césarienne inflige à la physiologie de l’accouchement. Elles sont imposées à l’enfant dès son extraction du ventre maternel, alors qu’il est en pleine possession de sa sensibilité et qu’il vient d’être privé de sa capacité à naître par les voies naturelles. L’empreinte de ce traumatisme sur son développement psycho-affectif le conduira à remettre en scène ces souffrances d’une manière spécifique, dans les multiples situations symboliques de la naissance qui jalonneront sa croissance.
d’après le Dr Michel Odent
(adaptation et rédaction M.A. Cotton)
La césarienne : un déni de maternité
La chirurgie obstétricale résulte de mises en scène collectives dont les origines remontent à l’Inquisition. Elle est une conséquence des rapports établis depuis des siècles par les hommes au détriment des femmes et des enfants.
(10/2006)
*Le Dr Michel Odent est chirurgien et obstétricien. Il est le fondateur du Primal Health Research Centre de Londres et l’auteur de nombreuses publications. Les informations condensées dans le présent article sont pour une bonne part extraites de son récent livre Césariennes : questions, effets, enjeux Alerte face à la banalisation, éd. Le Souffle d’Or, 2005, particulièrement les chapitres 8 à 12.
Notes :
[1] Xu B. et al., “Caesarean section and risk of asthma and allergy in adulthood”, The Journal of Allergy and Clinical Immunology, April 2001, 107(4) : 732-3.
[2] Xu B. et al., “Obstetric complications and asthma in childhood”, The Journal of Asthma, 2000, 37(7) : 589-94.
[3] Kero J. et al., “Mode of delivery and asthma is there a connection ?”, Pediatric Research, July 2002, 52(1) : 6-11.
[4] Hay D. et al., “Pathways to violence in the children of mothers who were depressed postpartum”, Developmental Psychology, nov. 2003, 39(6), 1083-1094.
[5] D’après une étude australienne, le risque de dépression maternelle serait multiplié par 7 en cas de césarienne, mais le Dr Odent ne mentionne pas la source de cette étude. Césariennes : questions, effets, enjeux. Alerte face à la banalisation, éd. Le Souffle d’Or, 2005, p. 63.
[6] Tinbergen N. et Tinbergen A., Autistic Children, Allen and Unwin, London, 1983.
[7] Hultman C. M. et al., “Perinatal risk factors for infantile autism”, Epidemiology, 2002, 13 : 417-423.
[8] Glasson E. J. et al., “Perinatal factors and the development of autism : a population study”, Archives of General Psychiatry, June 2004, 61(6) : 618-27.
[9] Lundbland E. G. et al., “Induction of maternal-infant bonding in rhesus and cynomolgus monkeys after caesarian delivery”, Laboratory Animal Science, 1980, 30 : 913.
[10] Gronlund M. M. et al., “Fecal microflora in healthy infants born by different methods of delivery : permanent changes in intestinal flora after cesarean delivery”, Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, January 1999, 28(1) : 19-25.
[11] Salminen S. et al., “Influence of mode of delivery on gut microbiota composition in seven year old children”, Gut, 2004, 53 : 1388-1389.
[12] Marques N. M. et al., “Breastfeeding and early weaning practices in northeast Brazil : a longitudinal study”, Pediatrics, October 2001, 108(4) : E66.
[13] Figueiredo M. G. et al., “Rapid assessment of current infant feeding practices in Sao Jose do Rio Preto, Sao Paulo, Brazil”, Cadernos de Saude Publica, janvier-février 2004, 20(1) : 172-9.
[14] Shawky S., “Maternal factors associated with the duration of breastfeeding in Jeddah, Saudi Arabia”, Paediatric and Perinatal Epidemiology, January 2003, 17(1) : 91-6.