Revue PEPS


Circoncision : c’est aux parents de dire non !


par Marc-André Cotton


Cet article est paru dans la revue PEPS No 2 (janvier 2013).

 

 

Résumé : Les pressions exercées par certains groupes d’influence favorables à la circoncision sont aujourd’hui manifestes. Les conséquences engendrées chez l’enfant par cette opération souvent banalisée doivent inciter les parents à plus de clairvoyance.

 

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La récente décision du Tribunal de Grande Instance de Cologne d’interdire la circoncision de mineurs pour des motifs religieux suscite une controverse révélatrice. Pour la première fois en effet, des juges ont fait valoir le droit de l’enfant « à une éducation excluant toute violence » – inscrit dans la loi allemande depuis l’an 2000 – pour condamner une pratique qui porte irrémédiablement atteinte à son intégrité[1].

Invoquant la liberté de culte et dans un rare élan d’indignation commune, les principaux dignitaires des trois grandes religions ont alors dénoncé une atteinte sans précédent à ce qu’ils considèrent comme leur droit – le grand rabbin de Moscou allant jusqu’à encourager la communauté juive d’Allemagne à défier l’interdiction.


La loi impuissante à protéger l’enfant

Craignant d’être confrontés à une décision similaire, des hôpitaux suisses et autrichiens ont décrété un moratoire sur les circoncisions religieuses dans l’attente d’une évaluation éthique et surtout juridique. Depuis, l’Hôpital des Enfants de Zürich pratique à nouveau ce rituel à la condition d’obtenir une autorisation écrite des deux parents.

En France, une atteinte à l’intégrité du corps humain n’est en principe permise qu’en cas de nécessité médicale, mais la circoncision religieuse fait l’objet d’une tolérance de nature coutumière. La jurisprudence avance même un motif d’hygiène publique ou encore son acceptation généralisée au sein de deux monothéismes.

Mais pourquoi un tel attachement à une pratique qui viole la Convention des droits de l’enfant, pourtant ratifiée par tous les pays européens ?

Remarquons tout d’abord que les plus virulents partisans de la circoncision sont aussi ceux qui l’ont jadis subie. Enfants, ils n’ont pas manqué d’éprouver dans leur chair la détermination avec laquelle leurs pères obéissaient ainsi à la hiérarchie religieuse. Et ils ont gardé l’empreinte de ce traumatisme.

La tradition si souvent invoquée comme justification dissimule donc une compulsion à reproduire sur leurs propres enfants les souffrances que ce rituel a engendrées en eux. La véhémence avec laquelle ces communautés refusent toute mise en cause de cette mutilation manifeste l’ampleur de la terreur vécue à ce moment-là.


Une opération traumatisante

La circoncision fait-elle mal ? La question peut sembler déplacée pour un rite traditionnellement imposé à l’enfant sans anesthésie. S’ils ne peuvent contester qu’une telle intervention infligée au garçon soit douloureuse, la plupart de promoteurs nient pourtant tout impact sur le nourrisson. Miriam Pollack, une mère juive qui milite aujourd’hui contre cette pratique explique ainsi sur YouTube : « On m’a dit que les bébés ne se rappelaient pas de la douleur et qu’il n’y avait pas de conséquences. C’est un gros mensonge ! »

Suffit-il alors d’anesthésier localement le nouveau-né pour éviter de le faire souffrir ? Le réveil et la cicatrisation de la plaie n’en sont pas moins insupportables pour le nourrisson. De plus et contrairement à une opinion répandue, le prépuce n’est pas un simple morceau de peau inutile. Ce tissu est richement innervé et joue un rôle important dans le plaisir sexuel de l’adulte. Sans prépuce, le gland devient sec et se couvre d’une kératine protectrice qui le rend moins sensible.

Lors d’une cérémonie juive traditionnelle, les mères sont écartées de la scène et doivent livrer leur bébé au sandak, un parrain qui immobilise l’enfant pendant l’ablation de son prépuce. En hôpital, la circoncision est aussi effectuée hors du regard de la mère qui pourrait prendre conscience du supplice enduré par son nouveau-né et s’y opposer vigoureusement.

Même après de longues années, des mères se souviennent de ce drame et de son impact irrémédiable sur la relation avec l’enfant. Le Centre américain de ressources sur la circoncision a recueilli des témoignages qui le montrent, dont celui-ci :

« Lorsqu’il naquit, il y avait ce lien avec mon tout petit, mon nouveau-né. Mais pour accepter la circoncision, j’ai dû couper ce lien. […] J’ai coupé pour refouler la souffrance et mon instinct naturel qui me dictait de m’opposer à la circoncision. »


Imposer la gestion de la souffrance du père

Si l’on en croit l’Ancien Testament, le rituel incarne « l’alliance perpétuelle » instaurée par Dieu avec son peuple en échange d’une multiple descendance (Genèse, 17). Mais un grand érudit du judaïsme – le philosophe et rabbin médiéval Maïmonide (1135-1204) – explique sans détour que l’ablation du prépuce a pour but de réduire le plaisir, considéré comme impur par toutes les religions.

Dans la culture arabe, la circoncision tant masculine que féminine était un préalable au mariage. Elle fut désignée par le terme khatana qui indique à la fois le fait de circoncire, le père ou le frère de l’épouse ou encore le mari de la fille – un vocable évoquant aussi le marquage par un sceau. Le rituel célébré publiquement consacrait ainsi la cohésion du groupe fondée sur la gestion d’un traumatisme commun.

D’une manière analogue, cette chirurgie fut d’abord introduite aux États-Unis lors de la croisade puritaine contre la masturbation. Des médecins la présentèrent ensuite comme une panacée traitant des affections aussi diverses que la paralysie infantile ou l’épilepsie. La circoncision néonatale s’est peu à peu répandue dans les cliniques américaines, au point de toucher 85 % des nouveau-nés masculins au début des années 1980.

Il faut attendre l’an 2000 pour que l’American Medical Association admette que la circoncision infantile n’a aucun caractère prophylactique ou thérapeutique. Elle n’en demeure pas moins l’opération chirurgicale la plus fréquemment pratiquée outre-Atlantique.


Retrouver la force de dire non !

Pour avoir la force de se positionner face à ce qui nous est présenté comme une tradition respectable, il est important d’en connaître l’enjeu. Dans le cas de la circoncision, il s’agit de conserver un modèle collectif de refoulement que le fils, par sa joie de vivre et sa capacité naturelle de jouissance, remet en cause spontanément.

Des enfants musulmans interrogés dans le cadre d’une étude ont déclaré avoir vécu leur circoncision rituelle comme « une attaque brutale contre leur corps » avec pour conséquence d’augmenter leur agressivité et d’affaiblir leur capacité à s’affirmer naturellement. Sigmund Freud en parlait comme d’un substitut à la castration.

Impuissant à diriger sa rage légitime contre son propre père pour avoir imposé une violente atteinte à son intégrité, le jeune homme pourrait s’engager dans des conduites à risque sans en comprendre la raison.

Nous savons aujourd’hui que le stress vécu par l’enfant lors de sa circoncision provoque un flux de cortisol qui reste gravé dans l’amygdale et altère durablement le fonctionnement du cerveau. Les désordres post-traumatiques induits par cette chirurgie comprennent notamment une moindre estime de soi et une agressivité compulsive comme réponse à un profond sentiment d’insécurité.

Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, la circoncision n’est pas une intervention banale. Alors qu’en France l’opération est fréquemment prescrite aux parents d’un bambin dont le sexe tarde à se décalotter, un aléa de croissance souvent diagnostiqué à tort comme un phimosis, il appartient à chacun de retrouver la force de dire non !

Marc-André Cotton

 

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(03/2016)

 


Note :

[1] Sur les considérants du jugement, lire Céline Ferco, « Circoncision pour motifs religieux : le prépuce de la discorde », Revue des Droits de l’Homme, 20.07.2012.