Résumé : Souvent à notre insu, nous transmettons à nos enfants des schémas de comportement qui conditionnent leur dépendance aux principes de l’économie marchande : compétition, quête de la réussite, consommation. L’écoute de leurs besoins émotionnels et affectifs peut leur permettre de prendre un recul salvateur.
Professeure de psychologie en Californie et mère de quatre enfants, Kristen s’est demandé comment modérer leur appétit pour les nouvelles technologies. Persuadée que ces dernières présentaient un réel intérêt pédagogique, elle était cependant soucieuse qu’ils n’y passent pas tout leur temps et continuent à interagir avec la famille.
Elle mit donc en place un système de « token economy » consistant à échanger un jeton un token en anglais contre une demie heure de télévision ou d’ordinateur. Chaque jeton, mais deux par jour au maximum, ayant été « gagné » la veille par un comportement jugé obéissant. « Pour les parents, fit remarquer Kristen, c’est une manière concrète d’avoir les choses en mains, et pour les enfants de comprendre les limites[1]. »
Éloges et incitations
Stimulée par les résultats obtenus, elle élabora une procédure similaire pour encourager la bonne conduite de ses enfants. Chaque soir, ils peuvent maintenant remporter jusqu’à cinq bâtonnets s’ils se conforment à certains objectifs comme « être respectueux » ou « ranger ses affaires ». Avec trente, ils reçoivent un « prix » sous la forme d’un objet que leur mère aurait acheté de toute façon un costume d’Halloween par exemple.
Outre-Atlantique, le conditionnement par la récompense fait le buzz auprès de parents et d’enseignants qui prétendent discipliner sans punir, et des spécialistes recommandent d’appliquer la « token economy » aux jeunes atteints de déficiences intellectuelles et/ou d’autisme. « Je pense qu’on sort ainsi du cercle vicieux des remontrances, affirme encore Kristen, et cela aide à consolider les exigences et les règles domestiques[2]. »
On sait que ces techniques de conditionnement découlent d’expérimentations menées sur des animaux de laboratoire et s’apparentent à un dressage[3]. Mais il reste difficile de ne pas reproduire sur nos enfants des schémas de comportement qui ont jadis meurtri notre sensibilité. Surtout quand leur vitalité remet en cause des principes hérités de nos parents : partage des tâches domestiques, horaires familiaux, respect des consignes données…
Engagement vital
De quoi donc souffre l’enfant que l’on stimule par des éloges ou des incitations, même dans l’intention louable de lui éviter reproches et punitions ? Quelles empreintes émotionnelles en gardera-t-il et quel type de dépendance pourrait-il développer par la suite ?
S’il est respecté dans ses besoins, on sait que l’enfant démontre une curiosité que nous pourrions lui envier : parfois rien ne semble le détourner de ses jeux, par exemple. Il est aussi engagé que l’adulte dans la recherche de solutions et n’a guère de préjugés. À condition qu’il soit libre de ses choix, ses facultés d’apprentissage nous étonnent.
Lorsqu’il reçoit un compliment, qu’un adulte l’interrompt pour lui donner un conseil ou qu’une de ses actions se solde par une récompense, cet engagement vital est perturbé. L’enfant devient apparemment le centre d’attention de son éducateur, mais ce dernier le détourne d’un élan naturel. Comprenez qu’il proteste ! Il entend que ce qu’il fait ne « vaut » pas, que ses découvertes ne peuvent être partagées et même qu’une forme d’intimité lui est ravie. Une rupture affective douloureuse qui se grave comme une souffrance dans son psychisme.
Parentalité « performante »
Pour certains parents modernes comme Kristen, il semble plus important d’inculquer efficacement de « bonnes manières » que de nourrir ce lien de découverte avec leurs enfants. Ces derniers se résignent à ce que leurs « performances » aient plus de prix aux yeux de leurs parents qu’une relation authentique. Ils voudront désormais « faire plaisir » pour compenser ce manque et obtenir en échange une gratification. Maigre consolation !
Si ce mode de parentalité « performante » prédomine, ils finiront par penser que leur temps, leur créativité ou même leurs connaissances peuvent devenir des marchandises dont on fait commerce. Devenus dépendants d’une autorité extérieure, ils se mettront en quête d’approbation sociale et céderont aux sirènes de la consommation, reproduisant ainsi le schéma de leur enfance.
Ils intègreront aussi d’autres « valeurs » comme la priorité donnée au résultat plutôt qu’au cheminement pour y parvenir, la prévalence du profit sur la personne ou l’éloge de la réussite au détriment du vivre ensemble. Tels sont les faux-semblants de notre société marchande que par ailleurs nous réprouvons, mais auxquels, sans le vouloir, nous conditionnons nos enfants.
Marc-André Cotton
© M.A. Cotton 07.2015 / www.regardconscient.net
Isolement de l’enfant : que disent (vraiment) les recherches sur le « time-out » ? (2/2)
La question de l’efficacité, voire de la nocivité de cette mesure pour le développement psycho-affectif de l’enfant, ne cesse de faire débat. L’objectif du présent article est d’examiner concrètement les études dont cette discipline se réclame pour justifier le « time-out » et d’en préciser les bases théoriques et méthodologiques.
(12/2023)
Notes :
[1] Kristen Howerton, “How to Negotiate Screen Time with Kids”, Huffington Post, 29.11.2012.
[2] Kristen Howerton, “Using Token Economy to Encourage Good Behavior”, Rage Against the Minivan, novembre 2013.
[3] À ce propos, lire ma chronique « Mais pourquoi vouloir changer le comportement des enfants ? », Peps No 8, été 2014.