Conférence aux journées LDMT des 10 et 11 mars 2018.


Trump et nous, une approche psychohistorique


par Marc-André Cotton

 

 

Résumé : La personnalité de Trump irrite ou fascine, son caractère imprévisible génère l’anxiété. Peut-on comprendre ce qui le motive sur un plan personnel et les réactions qu’il suscite en nous ? Y a-t-il des raisons à son irascibilité ? En revenant sur son histoire, nous verrons l’importance des traumatismes de l’enfance et le poids des héritages familiaux. Nous tenterons de comprendre les origines profondes de sa misogynie et de son inextinguible quête de pouvoir.

 

 


Image 1 : Donald Trump et nous, une approche psychohistorique

Bonjour et merci à LDMT de me recevoir !

Comme vous le savez certainement, j’anime avec Sylvie Vermeulen le site Internet Regard conscient.

C’est un projet de recherche que nous avons initié il y a une quinzaine d’années, avec pour objectif de dévoiler l’impact des vécus de l’enfance sur nos vies d’adultes.

D’abord pour nous-mêmes puisque nous avons poursuivi en parallèle un travail d’introspection que j’aurai l’occasion d’aborder lors de mon atelier, cet après-midi.

Mais aussi pour la société dans son ensemble puisque nous sommes tous conditionnés par notre éducation et que nos comportements collectifs sont les miroirs de ces conditionnements.

Je suis également psychohistorien, porte-parole de l’IPA – un Institut fondé par Lloyd deMause en 1977 et basé à New York.

Dans cet exposé, vous pourrez découvrir l’approche particulière de cette discipline, puisqu’elle combine la rigueur des sciences humaines et ce que j’appellerai tout simplement le « travail sur soi ».

Cela m’amène à notre thème du jour, Donald Trump, dont nous allons tenter de comprendre la problématique en nous intéressant à son histoire et à celle de sa famille.

C’est un sujet « en or » – si je puis dire – puisque Trump nous interpelle par ses provocations incendiaires, son instabilité émotionnelle, son appétit pour le pouvoir et pour l’argent.

Comment peut-on être Donald Trump ? Jusqu’où tout cela peut-il aller ?

Récemment, vingt-sept psychiatres américains ont estimé qu’ils avaient un « devoir de mise en garde » et ont posé la question de sa dangerosité.

Ils estiment que la personnalité du président est incompatible avec les fonctions qu’il exerce et représente un défi pour la démocratie.

Mais Donald Trump n’est pas là par hasard, il est porté par une vague populaire enracinée dans l’histoire du pays.

C’est le président de cette Amérique blanche, souvent religieuse, qui a fait les frais de la crise économique et s’est sentie profondément trahie par la classe dirigeante.

C’est le porte-parole des sans-voix qui ne savent plus comment faire entendre leurs frustrations et se tournent vers un personnage qui extériorise sa colère, voire sa rage – souvent sans retenue !

Peut-être que cet homme providentiel va s’occuper de nos problèmes ? Nous rendre une dignité que nous sentons avoir perdue ?

Peut-être va-t-il rendre sa grandeur à l’Amérique ?

Le côté tragique de l’histoire, c’est que Trump gère sa propre vulnérabilité avec cette violence qu’il met en scène et revendique.

Il maintient à distance sa mémoire traumatique par ce qu’on nomme aujourd’hui un ensemble de conduites dissociantes.

Humilier pour ne pas revivre l’horrible sensation d’avoir été lui-même humilié – et cela de manière compulsive.

Pour comprendre la personnalité de Donald Trump et de ses supporters, il nous faut remonter à l’enfance et à la violence de son éducation.

À la manière dont il s’est adapté à une problématique familiale, aux traumatismes qui ont marqué ses jeunes années.

Voire remonter à ses aïeux qui ont quitté l’Europe pour des raisons particulières et transmis leurs souffrances à leurs enfants.

En bref, il nous faut faire de la psychohistoire…


Image 2 : Sommaire de la présentation

Nous commencerons par un regard sur les besoins naturels d’un tout petit et sur ce que nous considérons – à tort – comme l’enfance d’un privilégié.

Au mieux de ce que nous savons, à quels besoins essentiels ses parents n’ont-ils pas répondu – et quels conflits intérieurs ces manques ont-ils pu occasionner ?

Nous nous pencherons ensuite sur la problématique de la famille Trump et sur le rôle qu’endossa Donald John, quatrième né d’une fratrie de cinq enfants.

Nous verrons le rôle central qu’a joué la personnalité tyrannique de son père, un despote auquel Donald s’est très vite identifié.

Nous nous demanderons pourquoi les enfants Trump ont été tenus dans l’ignorance de leurs origines et du poids de cet héritage occulté.

Nous nous intéresserons aux notions de mises en scène et de rejouements – deux concepts qui éclairent certaines dynamiques collectives.

Enfin, nous nous attarderons sur quelques mises en scène pour illustrer ces mécanismes.

Pour terminer, nous poserons la question du sens de cette histoire du point de vue de la conscience collective, s’il y en a un – ce que je pense.

En quoi l’histoire des Trump nous concerne-t-elle ?

Cela nous ramènera au travail que nous pouvons tous faire pour nous libérer de l’emprise de schémas de comportement que nous transmettons le plus souvent sans réfléchir à nos enfants.

Je répondrai aussi bien sûr à vos questions.


Image 3 : 1. On ne naît pas Trump !

Commençons donc par le petit enfant que fut Donald John Trump.

Né le 14 juin 1946, il doit avoir trois ou quatre ans sur cette photo publiée par lui-même sur sa page Instagram avec ce commentaire : « Qui aurait cru que cet innocent bambin allait devenir un monstre ? »

Ces mots font écho à une remarque que fit sa mère bien des années plus tard : « Quel genre de fils est-ce que j’ai fabriqué ? »

Les frasques mondaines de Donald Trump faisaient alors la une des tabloïds.

On peut sentir dans son regard dubitatif qu’il s’est très tôt identifié aux projections que sa mère faisait sur lui :

« Je suis un garçon turbulent, je n’arrive pas à satisfaire ses exigences, quelque chose ne va pas chez moi… »

Donald a dû alors se construire en réaction à ces humiliations.

Il se vante par exemple d’avoir mis un coup de poing dans l’œil d’un professeur à l’école maternelle…

Si l’on met ce portrait en regard du petit être qui est né d’elle – ici une photographie tirée du livre de Leboyer, Pour une naissance sans violence – le contraste est frappant.

A-t-il pu jouir d’une relation intime avec sa mère et développer un sentiment de sécurité autour de cette relation ? Certainement pas.

Ses amis d’enfance en parlent comme d’une femme stricte et distante, rarement en interaction avec ses enfants : « On voyait plus souvent la bonne ! »

Certains pensent que son irritabilité et ses colères viennent de là : le manque d’une présence maternelle aimante et bienveillante.

En grandissant, Donald a toujours montré une distance face à sa mère. Sur son bureau de New York – et même aujourd’hui à Washington – il y a une photo de son père, pas de sa mère.

On a donc un enfant qui n’a jamais été écouté dans ses émotions.

Un enfant réactif, mais vulnérable qui ne demandait qu’à être aimé.

Il n’a pu développer aucune des qualités qui s’épanouissent dans l’intimité d’une mère : la confiance, l’empathie et un certain retour sur soi.

Le sens de sa propre valeur, de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas.

Aujourd’hui encore, s’il commet une erreur, il ne peut se permettre de le reconnaître et s’enfonce dans le mensonge.

Ce qui a de la valeur, c’est ce qu’il accomplit – bien que ses réussites ne compensent pas son désespoir.

D’où cette fuite en avant qui caractérise l’homme d’affaires et maintenant l’homme d’Etat.

Mais voyons l’univers dans lequel Trump a grandi.


Image 4 : 2. Une famille dysfonctionnelle

Pourquoi parler des Trump comme d’une famille dysfonctionnelle ?

Toutes les familles sont porteuses d’une problématique correspondant à l’héritage non résolu de leurs ascendants.

Elles dysfonctionnent dans la mesure où – sans le reconnaître – les parents chargent les enfants de ce fardeau d’autant plus lourd qu’il est tenu secret.

Inconsciemment, ils distribuent les rôles, comme le montre par exemple l’attribution des prénoms.

La première fille, née en 1937, reçoit le prénom de sa mère, Maryanne.

Le premier garçon, celui de son père, un promoteur immobilier très en vue dans le Queens : ce sera Fred Junior dit Freddy.

Aux yeux du père, les filles n’ont pas leur place dans ce métier.

C’est un homme inflexible, dur à la tâche, qui veut faire de Freddy son successeur – quel qu’en soit le prix.

Mais Freddy est un garçon sensible, ce n’est pas un « killer » – comme le voudrait son père – et il sera anéanti par les exigences paternelles.

Systématiquement dévalorisé par lui, il va mourir d’alcoolisme en 1981, à l’âge de 43 ans.

C’est la raison pour laquelle Donald Trump ne boit jamais d’alcool.

Elisabeth porte le prénom de sa grand-mère paternelle et Donald John, ceux de ses oncles. Seul Robert fait exception à la règle.

En 1948, la famille emménage dans une luxueuse demeure comprenant 23 chambres et 9 salles de bain, que le promoteur a construite dans le Queens.

Il y a de la place pour leur bonne, leur chauffeur et leurs deux limousines – des Cadillacs.

Les parents Fred et Mary Ann Trump y imposent la terreur.

« Si vous prononciez le moindre gros mot dans cette maison, on vous brisait la nuque ! » raconte un ami de Freddy.

Lorsque le père rentre à la maison, la mère lui rapporte les moindres gestes de ses enfants et il décide des mesures disciplinaires à appliquer.

Selon la gravité de la faute, les coupables sont privés de sortie pendant quelques jours ou fessés rituellement avec un instrument de bois.

Les enfants doivent éteindre la moindre ampoule, finir chaque bouchée de leur assiette et se souvenir qu’il y a dans le monde des gens qui meurent de faim – des enfants qui n’ont pas leur chance.

Lorsqu’il visite un chantier, Fred Trump ramasse les clous inutilisés et les retourne à ses charpentiers. Ses enfants doivent faire de même.

Nous verrons que ces exigences s’enracinent dans le passé occulté des deux parents.

Dans ce contexte d’insécurité relationnelle, les enfants deviennent hyperactifs et rivalisent pour obtenir l’attention parentale.

Ils sont extrêmement compétitifs, mais Donald les surclasse tous.

Témoin des humiliations subies par son frère, il veut être ce « killer » que son père admire tant. Il veut prendre la place de son aîné méprisé.

En résumé, nous avons là une famille dysfonctionnelle dans laquelle les parents imposent leur loi manière implacable derrière une façade d’honorabilité.

Il n’y a qu’un maître à bord, le père, et toute la famille gravite autour de son unique priorité : la progression de sa fortune immobilière qui doublait à l’époque chaque année.

De son côté, la mère s’épuise en mondanités et souffre d’une santé fragile : elle subit une ablation de l’utérus après la naissance de Robert, puis d’autres opérations chirurgicales qui manquent de l’emporter.

Ses enfants sont terrifiés à l’idée de la perdre, mais leur père les enjoint à se rendre à l’école – à faire comme si de rien n’était.

Elle aussi profite de ce statut social et joue les grandes dames. Elle a le goût de la mise en scène et un sens du spectacle dont Donald dit avoir hérité.

Même malade, elle organise de grandes fêtes autour d’elle.

« Et sous les feux des projecteurs, dira sa fille aînée Maryanne, tous les regards convergent vers elle. »

On voit bien là les stratégies compensatoires que les parents Trump ont adoptées pour fuir un désespoir hérité de leur enfance : richesse, prestige…

Ils ont imposé ce modèle à leurs propres enfants et l’un d’entre eux, Donald John, en est une caricature.

Voyons maintenant comment ce fils rebelle s’est s’identifié à son père.


Image 5 : Un fils identifié à son père

Donald Trump a dû rivaliser avec ses frères, pour obtenir les faveurs de leur père et lui succéder en affaires.

L’aîné était très vif d’esprit, mais les humiliations paternelles l’ont rendu vulnérable et tout ce qu’il entreprenait lui valait du mépris en retour.

Le troisième frère marchait dans l’ombre de Donald et finissait toujours par faire comme lui.

Donald au contraire tenait tête à leur père, une attitude que ce dernier valorisait.

Il fallait qu’il soit un « killer » dans tout ce qu’il entreprendrait.

« J’avais toujours un argument à lui opposer et il respectait cela, peut-on lire dans une autobiographie. Notre relation était quasi professionnelle. »

Mais le journaliste qui a co-écrit ce livre rapporte une autre version.

Pour survivre face à ce père intransigeant, Donald n’avait d’autre choix que dominer ou se soumettre – avec le triste exemple de son frère aîné.

C’était « tuer ou être tué » et ce schéma de comportement, inscrit dès son plus jeune âge au contact de la violence paternelle, n’a guère évolué depuis : sa vie est un combat sans cesse renouvelé.

Les psychanalystes appellent ce phénomène le mécanisme d’identification à l’agresseur.

Pour survivre psychologiquement, la victime reproduit sur autrui le comportement de son agresseur et devient par la suite dépendant de ce mode relationnel.

N’oublions pas que l’enfant n’a pas d’autre référent que ce père-là, il n’a pas d’autre modèle de comportement.

Le tout jeune Trump était d’ailleurs un bagarreur. Il lançait des pierres aux voisins, agressait ses camarades de classe.

Au base-ball, c’était un frappeur redouté qui ne supportait pas de perdre.

Et son père ne faisait aucun lien avec son propre comportement.

Pour dompter ce rebelle, Fred Trump l’envoie à 13 ans à la Military Academy de New York – l’internat le plus strict de la région.

Une vie de caserne, une discipline de fer.

Les pensionnaires – tous des garçons – étaient réveillés dès l’aube au son du clairon.

Ils partageaient un dortoir, un réfectoire et des douches communes – loin du confort auquel Donald était habitué.

Toute une série d’infractions leur valaient une punition : un uniforme taché, des chaussures mal cirées, un lit mal fait, et même une démarche inconvenante.

Il fallait les briser pour en faire des « hommes d’excellence » – comme l’indiquait la devise de l’école.

Donald y trouva un nouveau maître, un instructeur surnommé Doby.

C’était un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui avait vu le corps de Mussolini pendre au bout d’une corde.

Doby ne tolérait pas le moindre sarcasme, frappait les cadets désobéissants, et forçait les récalcitrants à se battre entre eux sur un ring de boxe.

On comprend que Trump soit devenu un fan de boxe et même de catch

« C’était un sacré connard, dira Donald Trump. Il vous tabassait littéralement. Vous deviez apprendre à survivre. »

Et c’est ce que Donald va faire.

Suivant le mécanisme d’identification à l’agresseur, il participe aux bizutages des cadets qui étaient insultés et roués de coups dès leur arrivée.

Un jour, il ordonne qu’on frappe l’un de ses cadets sur le postérieur avec un bâton pour avoir rompu les rangs.

Une autre fois, il manque de passer un cadet par la fenêtre lors d’une inspection des dortoirs.

À la suite d’une plainte, Trump sera réaffecté.

Si l’on résume l’évolution de cette identification au père, nous avons donc d’abord la violence du mépris pour l’enfant.

Le jeune Donald a senti chez son père une menace pour son intégrité : cet homme a anéanti son frère aîné sous ses yeux.

Derrière cette phrase qu’il a prononcée après la mort de Freddy, en 1981, on devine l’image terrifiante du père :

« L’homme est l’animal le plus vicieux et la vie une suite de batailles qui finissent par une victoire ou une défaite. Ne laissez personne faire de vous un pigeon ! »

Ce sera donc tuer pour ne pas être tué – non pas au pied de la lettre, mais comme un schéma récurrent dans sa relation aux autres.

Le fait que Donald ait survécu à la Military Academy, montre encore la fourberie de son père, adepte de la Pédagogie noire.

Là-bas, Donald a renforcé son schéma de survie : ce fut l’épreuve du feu.

Et le prétexte pour lequel son père l’y envoya est assez anodin.

Les samedis, le jeune adolescent avait pris l’habitude de se rendre secrètement à Manhattan, avec son meilleur ami.

De leur quartier huppé du Queens, ils prenaient le métro, passait un moment sur Times Square, puis revenaient avec des souvenirs.

C’était leur terrain d’aventure.

Lorsque le père découvrit qu’ils avaient acheté des couteaux, il prit peur et l’inscrivit dès la rentrée à la Military Academy.

Donald ne lui en fera jamais le reproche.

Au contraire, il va désormais témoigner à son père une indéfectible loyauté et refouler compulsivement ses souffrances par le mécanisme de la dissociation.

C’est ce Trump-là que nous avons aujourd’hui sous les yeux…


Image 6 : 4. Des origines passées sous silence

Mais voyons comment certains comportements se sont transmis de père en fils sur trois générations au moins.

On sait aujourd’hui que Donald Trump a des origines germaniques par son père, mais il ne l’a appris que tardivement.

Au siècle dernier, l’Allemagne c’était l’ennemi – et les immigrés allemands étaient considérés avec suspicion.

Fred Trump a donc menti sur ses origines et prétendu qu’il était suédois.

C’est tout une part de leur histoire dont les enfants Trump n’ont pas été enseignés.

Frederick Trump – le grand-père de Donald, ici en médaillon à l’âge de 18 ans – est né à Kallstadt, un petit village viticole du Palatinat, aux bords du Rhin.

Au XVIIIe siècle, la région avait été saccagée par les guerres et le hameau de Kallstadt réduit en cendres au moins cinq fois – ses habitants massacrés et ses paysages dévastés.

Le jeune Frederick Drumpf – leur nom de famille à l’époque – quitte sa terre natale à 16 ans parce qu’il n’y a pas de place pour lui : son père est mort et le vignoble familial trop exigu.

Cette obsession pour la terre va poursuivre la famille Trump du côté maternel également.

Frederick débarque à New York en 1885 et dit s’appeler Trumpf – la carte d’atout en allemand.

À l’époque, un immigré allemand découvrant l’île de Manhattan déclara : « Ça y est, nous sommes en Amérique ! Maintenant, je peux marcher dans les rues et ramasser de l’or ! »

C’est ce qu’a dû penser Trump, car il ne met pas long à rejoindre Seattle, dans l’Etat de Washington, où on a trouvé de l’or justement.

Il partira plus tard pour l’Alaska et le Klondike, au Canada.

Plutôt que de creuser lui-même, comme beaucoup de malheureux, il ouvre un restaurant, puis un autre – et nourrit une armée d’aventuriers qui piochent nuit et jour dans l’espoir de s’enrichir.

On raconte qu’il leur servait la viande des mules mortes d’épuisement sur le chemin du Klondike.

La biographe Gwenda Blair a cette formule parlante : « He was mining the miners. » – les mineurs étaient sa mine d’or, si vous voulez.

Et il s’enrichit au point d’envoyer lui aussi quelques pépites à sa famille restée en Allemagne.

Mais il offre également d’autres services à ses clients.

À l’arrière de son restaurant, l’Arctic, il y a de petites chambres séparées par des tentures où ces hommes esseulés retrouvent des prostituées.

Ce qui a enrichi le grand-père, c’est un modèle économique fondé sur la spéculation et l’exploitation de la misère des hommes – sur la valorisation monétaire de leurs fantasmes en quelque sorte.

Et l’on retrouve cette stratégie chez Donald Trump, qui vend des appartements hors de prix en disant à ses commerciaux : « Vous leur vendez du rêve! »

Du côté paternel, nous avons donc des origines allemandes.

Une terre qui ne peut pas nourrir ses fils – de très nombreux immigrants proviennent du Palatinat au XIXe siècle.

L’idée de Frederick Trump est de retourner s’installer à Kallstadt, où il épouse une villageoise en 1902.

Il rentre avec une bonne fortune qu’il est prêt à investir dans la région.

Mais il est déporté – ce mot restera dans les mémoires.

Il est déporté par le Haut ministère royal qui le dépouille de sa citoyenneté allemande parce qu’il n’a pas fait son service militaire.

Frederick se justifie, supplie, s’excuse mais rien n’y fait : il doit retourner aux Etats-Unis et s’y établit définitivement en 1905.

Cette humiliation va nourrir le désir inconscient d’une revanche familiale.

Non pas chez lui seulement, puisque le grand-père s’établit comme barbier et meurt de la grippe espagnole en 1918.

Mais chez son fils Fred – né à leur retour – puis chez Donald.

Un siècle plus tard, le nom de Trump sera publiquement associé à la richesse et à la réussite.

Une sorte de dédommagement pour les souffrances non résolues de la famille qui légitime d’exploiter la crédulité de leurs contemporains.

Et les Trump érigent ce modèle économique en véritable pompe à finance : spéculation immobilière, abus de biens sociaux, économie de casinos…

Plus largement, c’est une illustration magistrale de la manière dont les enfants s’identifient à la problématique non résolue de leurs parents.


Image 7 : 4bis. Des origines passées sous silence

Mais voyons ce qu’il en est de la lignée maternelle.

En janvier 1936, à l’âge de 31 ans, Fred Trump épouse Mary Anne MacLeod, de six ans sa cadette.

Fred est déjà à la tête d’une société qu’il vient de fonder avec sa mère – c’est un entrepreneur ambitieux.

Mary Anne, la future mère de Donald Trump, est une jeune immigrante d’origine écossaise qu’il rencontre lors d’une soirée.

Elle débarque à New York en février 1930, à l’âge de 18 ans, et travaille comme domestique.

C’est la dernière née d’une famille de dix enfants établie depuis des générations sur l’île de Lewis.

Située tout au nord de l’Ecosse, l’île de Lewis et plus proche de l’Islande que de Londres.

Plus un arbre n’y pousse depuis que les Vikings ont rasé la forêt pour en faire des drakkars – c’était au Xe siècle.

Depuis, les gens de Lewis ont survécu de pêche et de petite agriculture jusqu’au début du XXe siècle.

Les conditions de vie y étaient misérables.

Le moindre tronc flottant ramené par l’océan représentait un trésor dont ils se servaient pour soutenir leurs toits de chaume.

Beaucoup ont émigré au Canada, au milieu du XIXe siècle, puis vers New York après la Première Guerre mondiale.

Sur cette image datant des années 1920, une vieille tricote tout en portant un sac de tourbe – le seul combustible disponible sur l’île – remarquez qu’elle est pieds nus !

Ce pourrait être la grand-mère de Mary Anne.

Les parents étaient des crofters, c’est-à-dire de petits agriculteurs qui cultivaient une maigre terre de location.

Son père passait beaucoup de temps en mer – le reste de leur revenu provenant de la vente de tourbe ou d’algues dont on faisait de la potasse.

Les maisons abritaient hommes et bêtes dans une même pièce, avec des portes si basses qu’il fallait ramper pour en sortir.

Il n’était pas inhabituel que six enfants dorment dans le même lit.

L’une des causes historiques de cette misère, c’était la structure foncière de l’île qui appartenait depuis des siècles à des seigneurs anglais ou écossais.

Ses habitants étaient réduits en esclavage par des métayers despotiques.

Pour la moindre désobéissance, ces derniers leur disaient : « Je vais vous évincer ! » – et cette menace pesait constamment sur les familles.

En cas d’éviction, celles-ci prenaient leurs maigres possessions sur le dos et marchaient vers une nouvelle terre.

Tout était à reconstruire.

La famille maternelle de Mary Anne fut ainsi évincée en 1826.

En 1844, l’île fut achetée par un baron de l’opium, James Matheson qui y fit rapidement construire un château.

Il procéda lui aussi à l’éviction de milliers de crofters pour transformer leurs terres en fermes à moutons ou en réserve de chasse.

À Lewis, on se souvient encore des pleurs des enfants que ses hommes de main forçaient à quitter leur humble demeure.

Les habitants étaient si mécontents que plusieurs révoltes éclatèrent jusqu’en 1920.

On peut donc se demander avec quelle mémoire traumatique, avec quel passé non résolu la mère de Donald Trump a débarqué à New York quelques années plus tard.

La première chose qui vient à l’esprit est l’empreinte d’une extrême insécurité économique.

En épousant Fred Trump, en 1936, elle prendrait une revanche sur cette pauvreté et vivrait dans le luxe en dépit de ses racines modestes.

Elle était obsédée par l’exhibition de sa richesse, aimait se faire conduire en Rolls dans le quartier du Queens.

Et c’est une obsession que son fils portera comme une revanche – accumuler toujours plus de richesses.

Un autre aspect, c’est le conflit de classe.

Pendant des siècles, les gens de Lewis ont été asservis par les seigneurs locaux, les enfants MacLeod furent mis au travail dès leur plus jeune âge.

De son village, Mary Anne voyait le château du baron Matheson, elle rêvait d’appartenir à cette classe bourgeoise à qui tout était permis.

Si nous étions riches, toutes nos souffrances seraient abolies !

D’où cette aspiration maladive à l’ascension sociale qui la caractérise, cette soif de pouvoir qu’incarne son fils Donald et qui permet de tenir le passé familial à distance.

Trump n’a visité Lewis qu’une seule fois, parce qu’il voulait construire un golf dans la région et se prévaloir de ses racines écossaises.

Les journalistes qui l’accompagnaient ont chronométré le temps qu’il a passé dans la maison où vécut sa mère : quatre-vingt-dix-sept secondes.

Trump leur a dit : « Je me sens vraiment écossais » – mais s’est empressé d’ajouter : « J’ai maintenant beaucoup d’argent ! »

On retrouve cette mise à distance.

Un troisième élément qui me paraît important est le conflit de terre.

L’île de Lewis est la propriété d’un baron de l’opium – la terre est rare depuis des siècles et les paysans menacés d’éviction.

En épousant un promoteur immobilier, Mary Anne MacLeod passe de l’autre côté du miroir.

Son fils Donald, qui rêve de conquérir l’île de Manhattan, incarne ce baron tout puissant dont le seul nom fait trembler New York.

Il construit en hauteur et prétend que ses immeubles sont plus hauts que la réalité.

Ainsi, la Trump Tower a 58 étages, mais la suite habitée par Trump est au 68e étage.

Il en va de même pour la Trump World Tower, 70 étages réels et 90 étages prétendus.

Il faut toujours que ses immeubles soient les plus hauts du quartier – ne serait-ce que sur le papier – comme s’il cherchait compulsivement une solution au conflit de terre que connurent ses ancêtres.

Enfin, Mary Anne Trump souffre d’un terrible handicap relationnel.

C’est une mère exigeante, incapable d’établir un lien affectif avec ses enfants.

Sa priorité est la gestion de ses souffrances – et cela passe par une obsession pour le statut social, le luxe et l’apparence.

Donald Trump va refouler la souffrance de ne pas avoir été accueilli par sa mère en ignorant ses propres besoins émotionnels.

En préférant la relation « transactionnelle » que lui propose son père.

Il va devenir le roi des affaires.


Image 8 : 5. Mises en scène et rejouements

La perspective que je vous propose, c’est donc de voir la personnalité de Donald Trump comme le reflet d’une problématique familiale. Alors de quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un héritage de souffrances non résolues.

Nous avons vu que l’enfant doit s’adapter à la problématique de sa famille.

Ses besoins naturels ne sont pas satisfaits – un rôle lui est assigné.

Nous parlerons donc de la gestion d’une mémoire traumatique – familiale et bientôt personnelle.

Donald Trump est à la fois porteur des souffrances de sa mère, de celles de son père et des siennes propres, puisque ses besoins n’ont pas été entendus.

Cela se traduit concrètement par une série de comportements qui manifestent son adaptation à ces souffrances non résolues.

Au départ, l’enfant n’est pas identifié à son comportement.

Quand Donald lançait des pierres aux voisins, il ne faisait que refléter l’animosité de son père pour ces mêmes voisins.

Mais on l’a vu, il s’est identifié à l’agresseur qu’était son père.

Au point que leur patronyme – qui évoque une carte maîtresse – sera son ultime fonds de commerce : les Trump Towers, les Trump Hotels, les Trump Casinos…

Mais aussi les steaks, les chemises, les eaux minérales, la vodka !

Le seul nom de Trump évoque désormais la fuite vers la réussite et la promesse fallacieuse de compensations.

Concrètement, la problématique familiale se traduit par des mises en scènes – c’est-à-dire des représentations utilisant les circonstances de la vie courante pour donner forme à ce passé non résolu.

C’est le théâtre de la vie utilisé comme médiation dans l’expression de cette mémoire traumatique, si vous voulez.

Chez les Trump, ces mises en scène relèvent du grandiose vu la profondeur des souffrances accumulées et la rigueur de leur éducation.

La violence éducative subie est mise au service de ce but ultime : dominer et s’enrichir pour fuir ses souffrances.

Et bien sûr afficher cette réussite.

Enfin nous avons l’idée de rejouement qui implique une forme de reproduction de la souffrance.

Les Trump ont été profondément humiliés et humilient à leur tour, sous une forme qui ramène directement à ce qu’ils ont subi.

Pendant des années, Donald Trump a animé un reality show très populaire aux Etats-Unis, The Apprentice, dans lequel les candidats étaient invariablement congédiés par cette fameuse phrase : « You are fired ! »

Vous êtes virés – une phrase qui ramène à la menace des pauvres paysans de Lewis vivant constamment dans la peur d’être évincés.

Trump est désormais en position de force : c’est lui qui menace, c’est lui qui évince. À la télévision, comme dans les affaires.

Le rejouement implique donc une reproduction de la souffrance sur des cibles émissaires : par exemple les sans-papiers mexicains que Trump veut faire rentrer chez eux.

Mais aussi les milliers de petits investisseurs ruinés dans ses affaires douteuses et peut-être demain ses électeurs trahis par ses promesses.

Au fil des générations, les Trump ont changé de statut : ils se sentent d’autant plus légitimes à rejouer qu’ils ont été humiliés par le passé.

Et Donald Trump est le porte-drapeau de cette problématique.


Image 9 : 6. Le parcours d’un « killer »

Voyons maintenant quelques aspects des mises en scènes dont nous parlions.

L’idée, c’est de voir plus concrètement comment se traduit le rôle endossé par Donald Trump dès l’enfance.

Il ne s’agit que de quelques exemples.

En premier lieu, Trump est un promoteur immobilier qui suit les traces de son père – nous avons vu pourquoi.

Sa transgression sera de vouloir conquérir Manhattan où Fred Trump n’a jamais voulu investir.

On peut penser à ses premières escapades sur Times Square qui lui valurent d’être envoyé à la Military Academy.

Le voici en 1980 derrière la maquette de la Trump Tower, et le bâtiment achevé quatre ans plus tard sur la 5e avenue, avec une vue imprenable sur Central Park.

Mais ce qui oppose surtout le père et le fils, c’est le caractère ultra luxueux de la construction.

Fred construisait des immeubles pour la classe moyenne, Donald vise le haut du panier.

En visitant la Trump Tower, le père ne comprend pas pourquoi les façades sont tapissées de verre teinté hors de prix.

« Mets-y cinq ou six étages de verre, et le reste en brique bon marché ! De toute façon, personne ne va regarder en l’air ! »

Mais Donald a aussi hérité de la problématique maternelle et c’est sans doute cela qu’il manifeste par ce choix.

Nous avons vu que Manhattan peut être comprise une représentation symbolique de l’île de Lewis où a grandi sa mère.

Une compétition féroce pour la terre, un luxe indécent qui côtoie la misère la plus crasse.

Le comportement compulsif de Donald Trump, c’est de construire le plus haut possible – même virtuellement.

Cette carte compare le nombre d’étages prétendu des gratte-ciel construits par Trump sur la gauche, et leur nombre réel indiqué à droite.

Tous ont été virtuellement surélevés, avec un record pour la Trump World Tower qui affiche 90 étages au lieu de 70.

Des concurrents ont appelé cela la « numérotation créative » de Trump et se sont empressés de l’imiter.

Mais on peut voir ce comportement comme une mise en scène inconsciente.

De manière compulsive – et c’est la marque de l’inconscient – Trump cherche une « solution » au problème de sa lignée maternelle.

Rétroactivement, il veut offrir à sa mère l’espace de vie que sa famille n’a pas eu.

Lui offrir le statut social auquel elle aspire et qui pourrait – peut-être – la rendre plus disponible à lui.

C’est le désespoir d’un enfant.

Voici Trump dans sa suite du 68e étage de la Trump Tower – en réalité le 58e étage – avec sa troisième femme Melania et leur fils Barron.

On y retrouve des indices de cette souffrance.

L’accumulation de richesses compensatoires, sa compagne brandie comme un trophée et cet enfant qu’on devrait croire comblé.

Le prénom de Barron renvoie à la noblesse.

Remarquez qu’il n’y a que Trump qui sourit !

Peut-être parce qu’il a désormais le pouvoir d’un Matheson, le baron de l’opium qui fit la pluie et le beau temps sur l’île de Lewis et dont la mère de Trump convoitait le château.


Image 10 : 6bis. Le parcours d’un « killer »

Puisqu’il est question du rapport à la mère, voyons comment il se traduit dans son rapport aux femmes.

Son parcours de playboy remonte à la Military Academy où il fut identifié comme un « homme à femmes » dans l’album de sa promotion.

Il a fondé toute sa carrière sur ce que les féministes appellent la « culture du viol » – la sujétion du corps de la femme à des fins de compensation.

Au moins 24 femmes l’ont accusé de comportement sexuel inapproprié ces trente dernières années et plusieurs procès sont en cours.

Ses remarques dégradantes à l’égard des femmes ont fait le tour des réseaux sociaux.

Comme ce tweet de campagne disant qu’Hillary Clinton ne pouvait satisfaire l’Amérique puisqu’elle n’avait pas satisfait son mari.

Une référence à l’affaire Monica Lewinski – qui valut à Bill Clinton une tentative de destitution.

Le second tweet s’adresse à Arianne Huffington, fondatrice du Huffington Post, qualifiée de « peu attrayante ».

« Je comprends que son mari l’ait quitté pour un homme, il a pris la bonne décision. »

Ce qui me paraît important de relever, c’est que Trump parle de femmes insatisfaisantes pour leur partenaire.

Cela ramène à l’insatisfaction qu’il a vécue, enfant, au contact de sa mère et qu’il projette avec colère sur les femmes.

Manque de présence, de chaleur, d’allaitement et d’accueil inconditionnel.

Exigences démesurées qui lui furent imposées au nom d’une « bonne » éducation.

Il est riche et puissant, ce qui lui donne le droit de rejouer ses frustrations à grande échelle.

En 1996, alors que son second mariage bat de l’aile, Trump investit dans le concours de beauté Miss Universe.

Il favorise les candidates qui ont sa préférence – les autres sont humiliées publiquement.

Une ancienne Miss California a dit : « Il nous scrutait plus attentivement qu’aucun général n’a jamais inspecté ses troupes. »

Un rappel des humiliations vécues à la Military Academy.

Trump rejoue donc sur ces jeunes femmes les exigences qu’il a subies – et les humiliations qui vont avec.

Quant aux relations établies avec ses épouses successives, elles sont « transactionnelles » – c’est-à-dire fondées sur leur capacité à compenser ses frustrations.

Trump y met le prix : une bague de mariage valant 3 millions de dollars pour Melania Trump par exemple.

Répétition intéressante : toutes trois ont travaillé comme mannequin, ont immigré et parlent l’anglais avec un fort accent étranger.

Ce qui nous ramène à l’empreinte maternelle puisque Mary Anne MacLeod – qui elle aussi joue les grandes dames – parlait un anglais teinté de gaélique, sa langue maternelle.


Image 11 : 6ter. Le parcours d’un « killer »

J’aimerais terminer par un dernier exemple de rejouement : le modèle économique de Donald Trump et son goût pour la spéculation.

L’une des choses qui caractérise la personnalité de Trump, c’est son insécurité intérieure.

Pour Tony Schwartz, le journaliste qui a écrit la première autobiographie de Trump en 1987 : « C’est toujours un enfant terrifié. »

Derrière cette façade flamboyante, il y a le harcèlement de son père et l’insupportable distance de sa mère qui ne l’a pas accueilli et protégé.

La gestion de cette terreur l’occupe entièrement : il a peur d’être faible, déficient, critiqué et finalement rejeté.

Il a passé sa vie à tenir cette souffrance à distance en prétendant être un gagnant, voire un « killer ». Il a construit un mythe autour de cette nécessité.

Si la réalité vient contredire le mythe, il l’ignore ou parle de « fake news ».

Dans sa première année de présidence, il a tenu près de deux-mille propos mensongers ou trompeurs, soit plus de cinq par jour.

Cela suscite une forme d’hypnose chez les personnes qui gèrent les mêmes souffrances que lui : on ne fait plus la différence entre le mythe et la réalité.

Nous avons vu que le grand-père de Trump avait tiré profit de la ruée vers l’or du Klondike pour s’enrichir sur le dos des aventuriers.

Donald Trump va faire de même en investissant dans les casinos d’Atlantic City, dans le New Jersey.

En 1982, il achète un premier terrain et obtient une licence – ce sera le Trump Plaza, mais Trump n’assume presque aucun risque financier.

Ses partenaires investissent sur les seules promesses de son nom.

Il construit un second casino, puis un troisième : le Taj Mahal – un vrai coup de poker que Trump présenta comme la 8e merveille du monde.

Le complexe devait inclure 1200 chambres, plus de onze-mille mètres carrés de casino et près de 6000 employés.

Trump est le roi de l’illusion et parvient à convaincre une banque d’investissement d’émettre pour $675 millions de dollars d’obligations pourries – des junk bonds comme on dit.

L’opération lui coûtera $100 millions d’intérêts chaque année.

Côté recettes, il lui faut une masse de joueurs – pour la plupart de petites gens qui viennent par bus entiers pour vivre un bref frisson de richesse.

Des combats de boxe sont organisés dans ses casinos – avec Mike Tyson en 1988 par exemple.

Michael Jackson est invité à l’inauguration du Taj Mahal en avril 1990.

C’est la contrepartie du rêve américain – version Trump.

Mais le problème, c’est la dette !

Pour s’en sortir, il faudrait générer 1,3 millions de recettes par jour – aucun casino ne gagne autant d’argent.

Un analyste du Wall Street Journal parle du Taj Mahal comme d’un château de cartes – Trump le fait licencier.

En fait, son empire est au bord de la faillite : ses dettes sont estimées à 3,2 milliards de dollars.

Pour ne pas tout perdre, les actionnaires du Taj Mahal acceptent une faillite négociée.

Le casino poursuit ses activités, mais les entreprises ayant construit le Taj ne seront pas payées.

Trump s’en sort alors en vendant son nom : il crée une société anonyme – la DJT pour Donald John Trump – à laquelle il vend tous ses casinos, c’est-à-dire toutes ses dettes !

Ses actionnaires vont perdre 1,5 milliards de dollars en dix ans, tout en lui versant un salaire de PDG.

Le Trump Plaza fermera ses portes en 2014, le Taj Mahal en 2016.

Les retraites de milliers d’employés ne seront jamais honorées.

Qu’est-ce que cette aventure nous apprend du point de vue de la conscience ?

D’abord que la fuite en avant de Trump est dictée par ses terreurs d’enfant.

Il rejoue son histoire et celle de sa famille, compulsivement.

Comme l’a fait son père avec lui, Trump exploite la détresse de ses contemporains sans aucun état d’âme.

Trump leur vend un rêve auquel il a dû croire lui-même.

Il n’éprouve aucune honte à le faire et c’est bien là la marque de sa dissociation : Trump est coupé de sa sensibilité.

Ce qui lui importe, c’est de sauver sa peau – il est toujours en mode survie, comme dans l’enfance.

Le sens de ses entreprises, c’est de recréer l’insécurité qui a marqué ses jeunes années.

Pour lui, mais aussi pour les autres auxquels il inflige le même traitement par l’intermédiaire du mécanisme du rejouement.


Image 12 : 7. Sens et conscience

Au terme de cette présentation, on peut se demander pourquoi cet homme est à la tête de la première puissance mondiale.

Va-t-il remettre en scène cette problématique en politique ? Cela se voit déjà.

Mais plutôt que de prendre peur, essayons d’en tirer un enseignement pour nous-mêmes.

Trump est un exemple extrême, une caricature qui peut nous enseigner.

Le premier enseignement justement, c’est que comme Trump nous sommes très largement déterminés par nos empreintes.

Le rapport à la mère d’abord, puis au père.

Ce n’est pas une fatalité, mais une question de conscience.

À travers ces empreintes, nous manifestons le passé non résolu de nos lignées, de notre famille.

Ces empreintes se traduisent par des schémas de survie auxquels nous sommes identifiés – même s’ils ne reflètent pas notre vraie nature.

La violence du père est portée à l’extrême par Donald Trump – le fameux « tuer pour ne pas être tué ».

Mais la violence, moins visible, du rejet maternel est tout aussi fondamentale dans le sentiment d’insécurité vécu par Trump.

Chacun d’entre nous peut se demander quelles formes ont pris ces violences dans l’enfance et les schémas de comportement qui en ont résulté.

À cela, j’ajouterai que nous sommes guidés par nos rejouements – des mises en scène récurrentes que nous nous donnons de vivre au quotidien et qui nous font parfois penser à une fatalité.

Ceux de Trump menacent le monde, mais les nôtres mettent en péril nos relations et l’avenir de nos enfants.

Si nous acceptons d’interroger ces rejouements sans culpabiliser, ils peuvent nous guider vers une prise de conscience, puis une autre.

Ils peuvent nous permettre de cheminer vers la résolution de ce passé familial et personnel.

Comme le Petit Poucet qui retrouvait le chemin de sa maison en semant des cailloux.

Enfin, et je m’arrêterai là, tout cela nous montre un processus à l’œuvre collectivement.

Nous pouvons tous retrouver la jouissance de notre conscience réflexive et nous libérer de nos conditionnements.

Cela demande d’ouvrir les yeux, d’accueillir nos souffrances et de les mettre en lien avec les circonstances qui les ont occasionnées.

Souvent dans l’enfance.

C’est ce que je nous souhaite à tous !



Bibliographie sommaire

Gwenda Blair, The Trumps: Three Generations That Built an Empire, Simon & Schuster, 2000

Michael Kranish et Marc Fisher, Trump Revealed: An American Journey of Ambition, Ego Money and Power, Washington Post, 2016

Donald Mcdonald, Lewis: A History of the Island, Gordon Wright Publishing, 1978