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Brève histoire de la terreur

par Sylvie Vermeulen

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 5 (septembre 2002)

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : Nous avons la faculté de mettre en scène tous les rejouements liés à l'origine de nos aveuglements, afin de sauvegarder ou retrouver notre pleine faculté de vivre sensible et conscient. Analyse de l’évolution du concept de terreur.

 

L’histoire de la terreur que chacun porte en soi engendre les manifestations actuelles du terrorisme. Le mot terrorisme provient du latin classique terror: effroi, épouvante et, par métonymie, l’objet inspirant de l’effroi. La signification de terror recouvre: la personne, le sentiment qu’il éprouve et la cause qui catalyse ce sentiment.

Ce terme devient un concept lorsque les causes de la terreur suscitent un tel choc qu’elles sont escamotées par le refoulement. L’historique de ce concept révèle que ses causes originelles sont progressivement masquées par les formes destructrices des rejouements* successifs. Ces dernières formes impliquent des groupes sociaux de plus en plus larges, jusqu’à toucher la totalité de la société mondiale, comme l’illustrent les évènements du 11 septembre 2001.


*Rejouement
Processus qui consiste à recréer dans le présent des situations susceptibles de nous permettre de ressentir d’anciennes souffrances, refoulées dans notre inconscient mais toujours agissantes. Lorsque le rejouement est accueilli consciemment, il permet la libération de l’énergie traumatique parce que le lien entre le traumatisme initial et ses conséquences refoulées est alors reconnu.


Traumatisme

Considérons, comme point de départ de cette étude sur la terreur, l’apparition de la notion punitive d’enfer qui dépossède l’Homme de l’assurance du paradis. Cette notion, qui a évolué au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, manifeste le déni de l’Être car elle oblige chacun à incarner le Mal comme une réalité intrinsèque à l’homme. Elle discrédite le salut apporté par Jésus-Christ à l’humanité pécheresse (1). En effet, la Rédemption révélait l’existence d’un processus libérateur de conscience inhérent à la nature humaine. Avec l’enfer, l’homme est condamné à racheter son salut. La terreur suscitée par ces exigences (enfer/salut) inflige aux hommes un terrible traumatisme. Il n’est pas exagéré de considérer la Peste Noire (1347-1352) comme une somatisation collective de ce traumatisme commun à toute la chrétienté (2).

C’est en 1356 qu’apparaît en Provence le mot français terreur (3) emprunté au latin classique dans son sens originel d’effrayer. Ce mot est encore pleinement relié à la dimension humaine de vie et de mort physique et spirituelle que catalyse la Peste pour les individus. Lorsque nous sommes terrorisés, nous ne pouvons plus jouir pleinement de notre conscience. La terreur tétanise notre sensibilité dans un processus de refoulement et d’aveuglement dont le résultat est la paralysie partielle de notre conscience. C’est alors que nous recomposons les scènes de terreur non pas dans l’espoir d’exorciser leurs conséquences mais dans celui de saisir en conscience la situation traumatique et de nous libérer de ses effets inhibiteurs.

 

La terreur des coupables

Au Moyen âge, les hommes étaient inconscients des dynamiques qui les agissaient. La Peste fit alors pour eux office de support pour une réalité intérieure complètement ignorée. En ce sens, elle fut le détonateur d’une succession de mises en scènes collectives se déployant sur plusieurs siècles. Mais ces dernières restèrent des exutoires, puisque leur sens n’a pas été réalisé. C’est pourquoi, progressivement, les gens prirent de la distance vis à vis du traumatisme originel, en faisant de l’objet catalyseur la cause de leur malheur. Ils cherchaient ainsi à maîtriser un insupportable sentiment d’impuissance et à sortir d’une fatalité.

Aux XIV et XVème siècles, les ravages de la Guerre de Cent Ans peuvent être attribués à l’Homme. En effet, la croyance du Mal en l’Homme rend ce dernier pleinement responsable de ses rejouements, puisqu’il ignore ce processus. On peut ainsi s’éloigner de la fatalité et de l’impuissance en brandissant la responsabilité humaine et donc l’espoir d’un changement. À la Réforme, la remise en cause des valeurs fondatrices de la religion catholique, la traque des réformés à la suite de la révocation de l’Édit de Nantes en 1598, vont constituer le contexte d’une nouvelle évolution du sens du mot terreur. En 1625 apparaît l’association de la terreur à la panique: terreur panique. À cette évolution est rapidement associée la notion de culpabilité directement issue des tribunaux catholiques. La communauté humaine désigne les groupes coupables, qui endossent ainsi l’origine de la terreur. À ce moment là, le support devient humain et, en 1718, on utilise des désignations périphrastiques comme la terreur des coupables.

 

Louis XVI

La condamnation est le fruit amer du refus d’accueillir sa souffrance. Projetée sur l’autre, elle suscite en lui une honte qui est celle d’être un humain devant une telle ignominie. Et celui qui s’érige en juge s’approprie un rôle, en brandissant la culpabilité de l’autre, qui l’innocente. Les actes commis justifient la couronne d’épines, mais les enjeux humains ne sont toujours pas mis à jour.

Au XVIIIème siècle, dans la même mouvance d’individualisation qui introduit l’Humanisme des Lumières, le mot terreur définit une personne dès 1749: une terreur. L’Humanisme formalise la reconnaissance de la souveraineté de l’Homme. Son corollaire est le personnage qui consacre sa souveraineté à asservir les autres. Louis XVI (1754-1793) devient le catalyseur d’un sentiment national de trahison. Le peuple se rapproche inconsciemment de l’origine de sa souffrance et en rend responsable celui qui devient de plus en plus le représentant de la figure paternelle: le Roi.

 

Terrorisme

La Révolution de 1789 est associée aux notions de Liberté, d’Égalité et de Fraternité. Mais les rapports humains entre père et fils, parents et enfants, n’ont pas encore intégré ces valeurs. C’est donc par la force que les dirigeants du mouvement imposent l’idéal républicain. Ils veulent briser toutes les résistances à la République si bien qu’ils placent la plus dure des dictatures paternelles de cette époque au cœur de la Révolution.

En 1793 s’établit le régime de La Terreur, terme qui consacre l’avènement d’une dimension politique du mot terreur. La dictature politique est relayée par le peuple. Les comités révolutionnaires, institués dans chaque commune, sont chargés de délivrer des certificats de civisme, de dresser la liste des suspects et de procéder aux arrestations. La Terreur touche l’individu dans ses relations quotidiennes, ce qui fait émerger celle qu’il a déjà en lui et qui est remise en scène. En 1794, on utilise la notion de terrorisme imputée au régime. Puis celle de terroriste attribuée à ses partisans et à ses agents et enfin l’anti-terrorisme en réaction aux journées révolutionnaires du Thermidor et tout particulièrement aux Conventionnels du 27 juillet 1794. Par extension, les termes terrorisme et terroriste s’appliquent aujourd’hui à l’emploi systématique de mesures violentes dans un but politique et très couramment à des actes de violence exécutés pour créer un climat d’insécurité.

En 1960, apparaît la notion de contre-terrorisme qui utilise des moyens analogues à ceux des terroristes et qui s’applique au contexte national et international, en relation avec les valeurs nouvelles de mots comme otage, attentat. La notion de terrorisme est maintenant réduite aux actions qui suscitent la terreur. On ne s’intéresse pas aux hommes ni aux causes mais aux passages à l’acte, ce qui permet une condamnation totale de ces derniers et justifie le contre-terrorisme.


 

Accueillir le traumatisme

Cela nous montre à quel point nous nous focalisons sur les conséquences en omettant de découvrir les causes réelles des traumatismes à l’origine de tout terrorisme. Nous pouvons donc réaliser que l’évolution du non-accueil de ces traumatismes détermine celle du terrorisme.

La Vie a pourtant doté l’Homme d’une capacité de guérison qui ne se limite pas au corps. Nous sommes naturellement disposé à accueillir nos souffrances, nos traumatismes de telle sorte que cet accueil permette la libération de notre conscience. Je peux supposer qu’en ces temps reculés, l’Homme n’ayant pas, comme nous, réalisé l’existence de sa sensibilité et la nature de sa conscience, était tout aussi terrorisé par sa disposition à accueillir cette terreur que par la terreur elle-même. C’est alors qu’il lui oppose un refus considéré comme nécessaire à sa survie et instaure le refoulement.

Mais l’Homme ne peut pas accepter le handicap occasionné. Il cherche désespérément à se libérer de ses ténèbres. Il rejoue et est à nouveau terrorisé. Il refoule, renforce et justifie ses défenses puis rend les remises en scènes compulsives. Petit à petit, il intègre ce mécanisme comme inhérent à la vie humaine et les institutionnalise. La terreur posée sur l’accueil se structure, se transforme en interdit puis s’impose à tous les enfants dans l’éducation. Tous ceux qui tentent l’introspection sont traités d’hérétiques par les divers pouvoirs en place. Ainsi, ceux qui refusent de faire ce travail menacent ceux-là des maux qui les tourmentent.

Sylvie Vermeulen (collaboration Laurence Naeff)

© S. Vermeulen – 09.2002 / www.regardconscient.net

Notes :

(1) Définition de la Rédemption, Petit Larousse.

(2) Représentation poétique de la damnation réservée aux pécheurs, L’Enfer de Dante paraît quelque trente ans plus tôt, en 1314.

(3) L’étymologie et la filiation du mot terreur proviennent du Robert, Dictionnaire historique de la langue française.