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Enfants « téflon » ou parents « tupperware » ?

par Sylvie Vermeulen

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : La métaphore de l’enfant « téflon » fait porter à l’enfant l’origine du cancer relationnel qui se développe entre générations. Or, les enfants ne peuvent que nous exprimer leur souffrance et nous refléter nos aveuglements. Faudrait-il appliquer aux parents les critères répertoriés dans le test comportemental mis au point par le psychologue Daniel Kemp ?


Le psychologue québécois Daniel Kemp a popularisé le terme d’enfant « téflon » pour décrire un enfant sur qui rien ne colle : ni les punitions, ni le chantage, ni la politesse, ni les récompenses. Ce dernier paraît sans cœur, égoïste, solitaire, « incassable », hyperactif et agressif. Un article de la revue Votre Santé précise : « Tous les enfants ‘téflon’ ne le sont pas de la même façon. Certains sont plus sans cœur que d’autres. Il y en a qui ne sont ‘téflon’ que par leur intelligence, tandis que d’autres causent des problèmes partout où ils vont. Certains sont affectueux, mais ne sont pas punissables. Il y en a qui sont gentils, adorables, et qui n’ont absolument pas le goût de poursuivre leurs études scolaires. »

Il est certes nécessaire de reconnaître les difficultés que peuvent rencontrer nombre de parents et d’éducateurs face à certains comportements de la jeunesse. Mais faut-il pour autant projeter sur celle-ci la responsabilité de l’éducation oppressive qu’elle subit ? C’est pourtant ce que propose finalement le concept d’enfant « téflon ».


Téflon cancérigène

En effet, c’est l’enfant qui est « téflon », c’est sur lui que les punitions, les chantages ou les récompenses ne « collent » pas. De plus, pour beaucoup, le téflon est cancérigène. L’objet revêtu de cette substance devient potentiellement dangereux pour ceux qui l’utilisent. La métaphore de l’enfant « téflon » contient donc un message terriblement destructeur. Elle fait porter à l’enfant l’origine du cancer relationnel qui se développe entre les générations et dans le tissu social.

Je suis mère de trois adolescents. Je sais d’expérience que les enfants n’ont pas besoin d’être raisonnés, policés, pas plus qu’ils n’ont besoin de subir de punitions, de chantages et/ou de récompenses pour devenir des enfants dits raisonnables et polis. Ils ont besoin de conscience, de notre conscience.

Il se trouve que pour devenir des parents conscients, nous ne pouvons pas faire autrement que de réaliser l’aveuglement parental et social dans lequel nous avons baigné. Sans cette mise à jour, nous rejouons cet aveuglement et, de plus, tentons de donner aux enfants une image positive de nous-mêmes. Mais les enfants sont vrais. Ils ne peuvent rien faire d’autre que de nous exprimer leur souffrance et de nous refléter nos aveuglements.

La prise de conscience des dynamiques qui régissent notre monde relationnel est indispensable. C’est absolument libérateur de réaliser, par exemple, que le refoulement de nos sentiments brise l’intégrité de notre sensibilité. Et que, dès lors, nous nous conformons à des règles de conduites qui viennent compenser un manque de cohésion intérieure.


L’infinie sensibilité de l’enfant

L’enfant est entièrement pris dans nos rejouements. Il ne peut faire autre chose que d’y jouer le rôle qu’on lui assigne. Et à l’expression de sa souffrance, nous lui opposons toutes les justifications, toute l’éducation, toute la morale et toutes les valeurs parentales et sociales auxquelles nous nous sommes identifiés.

À travers leurs recherches, Daniel Kemp et d’autres chercheurs sincères pointent justement l’oppression et les restrictions que subit l’enfant, mais ne semblent pas réaliser l’infinie sensibilité qui habite tout enfant. Lorsqu’on est conscient de cela, on ne peut plus attribuer à l’enfant des comportements qui reflètent ceux des adultes et de leur société.

Je peux, sans risque de me tromper, ramener aux parents les facteurs répertoriés dans le test comportemental du psychologue québécois. Pour infliger leur éducation, ceux-ci utilisent toute leur intelligence, la maîtrise de leur culpabilité, leur puissance égotique, toutes leurs facultés au profit de leur rejouement. Ils mettent en place, dans la relation à l’enfant, la manipulation propre à leurs éducateurs, leur insensibilité à la souffrance de l’enfant, leur indifférence, leur agressivité, leur hyper-expressivité, leur solitude, leur égoïsme, leur absence de souffrance de ne pouvoir aimer, leur impolitesse, leur violence et surtout leur refus de se remettre en cause, etc.

Peut-être les vulgarisateurs du concept d’enfant « téflon » pourraient-ils entrevoir que l’éducation a pour base le refoulement de tous sentiments et de tous comportements qui mettraient en lumière l’infinie sensibilité de l’être, sa vérité sans faille, sa disponibilité sans relâche, son amour inconditionnel.


Parents « tupperware »

Aujourd’hui les rejouements des adultes sont compulsifs et sont vécus comme étant le propre de l’Homme. C’est ainsi que l’enfant dit « téflon » se retrouve scotché sur le mur des lamentations parentales et sociales par une série d’étiquettes le définissant comme tel. La présentation est faite dans un sentiment mélangé d’admiration et de fatalisme : « Va falloir faire avec! » Mais la trahison est constante. L’enfant est instantanément identifié à ce qu’il reflète spontanément. Et ce qu’il manifeste est toujours l’exact reflet de notre rapport à eux.

Je peux donc prendre les observations que l’auteur attribue à l’enfant « téflon » et définir après lui ses parents « tupperware » : « Ils semblent seuls, mais n’en souffrent pas. Ils ne ressentent jamais de culpabilité. Ils sont très bons manipulateurs et on peut difficilement les manipuler. Ils paraissent souvent sans cœur. Ils peuvent être agressifs, violents [avec leurs enfants] et ils ne sont pas raisonnables par les voies émotives. Ils sont portés à trouver [leurs enfants] stupides et ils ne s’empêchent pas de le [leur] faire savoir. Ils sont hautement égoïstes, etc... »

Les parents se sont identifiés à ce que leurs propres parents et enseignants ont projeté sur eux. Ils sont restés fidèles aux bases relationnelles établies par leurs parents. C’est ainsi qu’ils résistent à l’amour et à la vérité des enfants. Et ces derniers n’ont plus alors de raison de vivre.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 03.2002 / www.regardconscient.net