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Aux sources du contre-terrorisme américain

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 5 (septembre 2002)


Résumé : Depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis mènent une guerre totale contre le terrorisme et préparent aujourd’hui une nouvelle offensive militaire vers l’Irak. Pour saisir l’origine de cette logique destructrice, rejouée sur la scène mondiale, il faut pénétrer dans les arcanes de l’appareil de défense américain, une structure complexifiée de refoulement de la souffrance impliquant d’inévitables passages à l’acte. Survol.


Daniel O. Coulson est le père des Hostage Rescue Teams (HRT), les brigades spéciales d’intervention du Federal Bureau of Investigation (FBI) créées en 1982 pour intervenir dans les prises d’otages et autres situations extrêmes liées au terrorisme domestique. Aujourd’hui retraité, il a consacré sa vie à tenter de neutraliser l’expression de la violence terroriste par une stratégie non moins violente, s’inspirant des meilleurs experts du contre-terrorisme international. Dans cette entreprise, c’est sa propre histoire qu’il a mise en scène – et celle de son pays – en reprenant à son compte les valeurs de son éducation texane, un dressage au cours duquel l’autoritarisme parental viole systématiquement l’intégrité psychique et corporelle de l’enfant.

 

Terreur refoulée

Dans un livre paru récemment (1), Daniel O. Coulson explique comment son grand-père paternel Bernard faisait régner l’ordre d’une main de fer : « Lorsque je me battais avec mes cousins, il sortait dans la cour du ranch en hurlant, nous empoignait tous les trois et nous suspendait sur un piquet de clôture par le dos de la ceinture. » Les chevaux du grand-père venaient alors mordiller le jeans des enfants, tandis que ces derniers criaient pour être délivrés, les jambes douloureusement engourdies par l’effet de garrot. Lorsqu’un de ses fils désobéissait à ses commandements, la colère paternelle s’abattait sur lui comme une divine furie. La veille du mariage de son aîné âgé de vingt ans, Bernard l’étendit d’un coup de poing parce qu’il était rentré tard et n’entendait plus se plier à ses règles. Le père de Daniel, Morris O. Coulson alors adolescent, assistait à la scène (2).

La terreur refoulée par l’enfant dans de telles circonstances installe en lui une série de nœuds émotionnels qui vont bientôt mobiliser l’ensemble de ses facultés affectives et cognitives. Sous les injonctions parentales et sociales, le jeune idéalise peu à peu la violence qu’il subit et localise à l’extérieur une figure diabolique symbolisant la terreur qu’il refoule. Lorsqu’une telle terreur est partagée par des millions de gens ayant vécu, enfants, un calvaire similaire, elle dynamise une logique collective de refoulement qui, à son tour, détermine les choix politiques d’une nation et les ennemis que celle-ci se choisit pour remettre en scène la terreur commune.

 

Axe du Mal

Bien avant que George W. Bush – lui aussi texan – ait popularisé l’idée qu’un « Axe du Mal » menaçait la sécurité nationale, le FBI et l’appareil de défense américain ont conçu une liste impressionnante d’ennemis, contre lesquels il semblait naturel d’exercer une répression brutale. Pendant la période d’Edgard J. Hoover (3), le FBI élimina les communistes, puis les membres des Black Panthers (4). Quelques années plus tard, il s’en prit aux milices chrétiennes fondamentalistes avec la même détermination à éradiquer le Mal.

Cette logique culmina avec le siège et la destruction de la communauté de Waco (Texas), le 19 avril 1994, au cours de laquelle périrent plus de 80 hommes, femmes et enfants (5). Exactement un an après, un militant d’extrême droite – Timothy Mc Veigh – fit exploser le siège du FBI à Oklahoma City, notamment pour « venger » le carnage de Waco, tuant à son tour cent soixante-huit personnes. Au début de l’enquête, Daniel O. Coulson nota alors cette réflexion : « Les gens qui ont fait cela sont purement diaboliques. Les mettre sous les verrous est pour moi la chose qui ressemble le plus à un appel de Dieu Tout Puissant. Je ne comprends toujours pas le Mal et ne le comprendrai probablement jamais. » (6)

 

Exorcisme suicidaire

Pourtant, Timothy Mc Veigh se révéla être un pur produit de cette Amérique profonde en lutte contre ses propres démons: vétéran de la guerre du Golfe, il avait été décoré pour sa bravoure puis enrôlé dans les Forces spéciales clandestines, une unité d’élite qui encadre secrètement diverses milices d’extrême droite et jouit de protections haut placées. Condamné à mort, il décida de révéler les complicités dont il avait bénéficié, mais le FBI fit disparaître les documents compromettant et Mc Veigh fut exécuté (7).

Ainsi, devant l’interdiction formelle de mettre en cause la violence de leur éducation, une majorité d’Américains continuent de fermer les yeux sur les conséquences de cette violence et préfèrent cautionner la désignation de boucs émissaires – domestiques ou étrangers – qui puissent porter la responsabilité de leurs souffrances. Avec les armes de destruction massive aujourd’hui à disposition des belligérants, cette manière d’exorcisme est devenue suicidaire.

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 09.2002 / www.regardconscient.net

Notes :

(1) Daniel O. Coulson et Elaine Shannon, No Heroes, Inside the FBI’s Secret Counter-Terror Force, éd. Pocket Books, 1999.

(2) Coulson, op. cit., pp. 25-26.

(3) Directeur du FBI de 1924 à 1972, Edgar J. Hoover mis sur pied le COINTELPRO, un programme de surveillance des militants communistes aujourd’hui controversé.

(4) Lire Marie-Agnès Combesque, Comment le FBI a liquidé les Panthères noires, Le Monde dipomatique, août 1995.

(5)Longtemps masquée par la thèse d’un « suicide collectif », la responsabilité du FBI dans le massacre des Davidiens est aujourd’hui officielle.

(6)Coulson, op. cit., p. 15.

(7) Lire Thierry Meyssan, Les Forces spéciales clandestines: une dissidence terroriste au cœur de l’appareil militaire atlantiste, Note d’information du Réseau Voltaire No 235-236, 27.09.2001.