L’Église naissante annexa le Nouveau Testament à l’Ancien alors que l’enseignement du Christ en est la résolution. L’avènement du Messie devint le repère central de l’histoire du Pouvoir religieux qui traditionnalise le passé pour engendrer un avenir qui légitime son emprise. Cette conception linéaire du temps est la marque de ce pouvoir qui manipule les hommes en leur faisant croire qu’ils sont en route vers un salut à venir.
Avant la sacralisation du commerce et de la consommation, le salut désignait le fait d’échapper à la damnation éternelle, grâce à la médiation du Christ. Cette conception chrétienne ôte à l’enseignement de Jésus sa faculté de libérer dans l’instant celui qui saisit sa parole.
L’Ancien Testament
L’enfance de Jésus se déroula dans la tradition juive, c’est donc cette tradition qui servit de base à son enseignement. Mais comme Jésus révèle la nature de l’Homme et celle du Pouvoir, il participe de façon déterminante à la libération de toutes les traditions.
Jésus disait que la Loi est vivante, qu’il ne fallait pas qu’elle reste pierre morte. Il disait de lui qu’il était « le Fils de l’homme » (Mt 8 20) ou « le Fils du Dieu vivant » (Mt 16 16). Ainsi nommait-il la conscience créatrice de la Vie qui nous habite tous. La hiérarchie judaïque, les scribes et les Pharisiens, ont fait de l’Ancien Testament un témoignage mort tant ils ont interdit dans leur propre maison et au sein du peuple la remise en cause des Patriarches, tant ils ont interdit de voir ces hommes dans leur détresse, dans leurs délires et leurs mises en scène pour sauver leur vie, leur pouvoir ou solutionner des problèmes engendrés par leur propre aveuglement.
C’est un témoignage capital, car il a été écrit par le premier peuple qui reconnut en son sein l’existence d’un principe de Vie. C’est ainsi le plus fort contraste entre un message d’amour et les murs d’une hiérarchie patriarcale qui dicte ses propres lois.
Une révélation
Le Nouveau testament est tout autre. La vie de Jésus nous montre le oui total d’une mère à la venue d’un fils qui ne s’incarne pas pour jouer un rôle dans ses rejouements et qui ne sera pas réduit à compenser ses frustrations personnelles. Elle nous montre ce qu’est un être humain, un fils, un homme et, par contraste, les conséquences de l’accumulation des perturbations relationnelles sur des générations.
L’uvre de Jésus libère du jugement et de la condamnation des anciens, révèle la nature du Pouvoir et reconnaît le chemin de libération inhérent à tout être. Il est l’incarnation de la conscience et de l’amour réalisés, c’est pourquoi il dit aux Juifs de cette époque : « Je ne suis pas venu abolir [la Loi ou les Prophètes] mais accomplir » (Mt 5 17) et encore « Pas un i, pas un point sur l’i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé » (Mt 5 18). En effet, la Loi ne peut pas être abolie car elle a une fonction dans la gestion de l’aveuglement collectif des hommes. La Loi a été faite pour l’homme et non l’homme pour la Loi.
Jésus reconnaît en chacun sa nature humaine et c’est à elle qu’il s’adresse. Par son sacrifice, il montre comment l’esprit sain de l’enfant, directement ordonné par la Vie, est détruit par l’autorité et l’aveuglement du père, et par celles de ses représentants. Il nous montre la puissance et la grandeur de la conscience ainsi que la prétention du pouvoir que nous exerçons contre notre véritable nature. Son message vivant guérit les conséquences de la souffrance refoulée qu’a occasionnées son perpétuel déni: l’humiliation de l’enfant qui voulait partager cette souffrance, le mensonge de l’adulte qui en rejette l’expression et la violence des générations conditionnées à la refouler. Il montre les causes de l’aveuglement des hommes qu’a occasionné la violence du père.
Qu’est-ce que Satan ?
La souffrance gérée par une conscience réduite au refoulement de celle-ci forme le malin, Satan, le démon. Mais dans l’esprit de ceux qui maintiennent et protègent le pouvoir, Satan devient tout ce qui remet en cause ce pouvoir.
Lorsque Simon-Pierre apprend qu’à Jérusalem, son Maître, le fils de l’Homme, sera rejeté par les anciens et les grands prêtres du temple, qu’on l’abreuvera d’outrages, et qu’on le fera mourir, sa souffrance est telle que dans sa détresse, il lui dit : « Dieu t’en préserve, Seigneur! Non, cela ne t’arrivera point! » (Mt 16 22)
Simon-Pierre refuse cette réalité. Il sait inconsciemment qu’en assistant au martyre de Jésus, il va revivre toutes les étapes qui édifièrent le pouvoir qu’il a encore sur lui-même, celui-là même qui édifia la hiérarchie judaïque et qui fut la cause de l’aveuglement des peuples. Il refuse l’émergence de tant de souffrances et raisonne comme raisonnent les hommes aux prises avec leur refoulé: leur esprit est sélectif à force d’adaptation, leur vérité et leur amour morcelés et leur conscience aveuglée. C’est pourquoi Jésus dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » (Mt 16 23)
Jésus brave l’impuissance, la réduction, l’identification, l’autorité aliénante des pères. Il montre l’inhumanité de leurs lois dont l’amour est exclu. Il ne les juge ni ne les condamne, car personne ne peut le faire sans se fourvoyer, chacun agissant en fonction de son passé.
Aime ton prochain
Le plus grand commandement de la Loi est : « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. Le second commandement lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Mt 22 37-39) Ces Lois font constamment appel à la faculté qu’a l’homme d’aimer et de le manifester dans toutes ses relations.
Je constate, au-delà des voix de mon éducation, que le peuple juif est bien le peuple élu mais non comme le pense son autorité religieuse. Il a eu une fonction déterminante au yeux du monde. Il a conservé en son sein la reconnaissance de la Loi de la Vie protégée par celle de Moïse : la Loi vivante transmise par l’ensemble du peuple, nommée par les prophètes et réalisée par Jésus. Pour aimer son prochain comme soi-même, il faut réaliser en conscience l’existence de cet amour et, dans son exercice, accepter d’accueillir la terrible souffrance d’avoir été, enfant, scandalisé.
Sylvie Vermeulen