> Accueil

> Rechercher

> Télécharger

>  

 

> Revue Regard
> conscient

> Copyrights



Le mythe de David et Goliath

par Bernard Giossi

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 17 (septembre 2004)


Résumé : Les mythes que les adultes racontent aux enfants transmettent l’interdit de remettre en cause la violence paternelle.


Le catéchisme de mon enfance était constitué d’histoires extraites de la Bible, choisies pour éduquer le sens moral et religieux d’enfants jugés sans conscience. Parmi les illustrations, celles du jeune David affrontant avec courage le géant Goliath, puissamment cuirassé et armé, et le terrassant d’une pierre nous touchait particulièrement. Nous étions tous menacés, giflés, fessés et humiliés par nos parents et éducateurs ; ce David nous rendait justice, nous restituait la sensation perdue d’une force et d’une estime bafouées.

Lorsque aujourd’hui, devenu adulte, je vois la colère et la froideur exprimée par le visage du David de Rubens s’apprêtant à décapiter un Goliath à terre, je ne retrouve ni mon émotion d’enfant, ni l’illusion que j’avais qu’un enfant puisse triompher d’un guerrier expérimenté. J’y reconnais par contre la volonté froide et déterminée de supprimer un « monstre » au nom de tous, l’existence de celui-ci ne semblant avoir d’autres sens et valeur que ceux d’être annihilée pour « la plus grande gloire » d’un futur roi israélite, David.


Pierre Paul Rubens, David tuant Goliath (1616), © The Norton Simon Foundation


Victime d’une manipulation de la part de mes aînés, je ne pouvais réaliser l’usage qui était fait de la juvénilité de David pour rendre Goliath plus grand, plus terrible et plus monstrueux qu’il ne l’était. Un tel décalage était nécessaire précisément parce que le monstre est celui qui montre ! (1)

Dans une société basée sur le déni des liens entre causes et conséquences, celui qui montre est jugé comme un danger pour l’autorité. Le Pouvoir doit le stigmatiser ou le supprimer pour empêcher toute remise en cause. Il doit donc travestir le sens de ce que fait le « monstre » et le désigner à tous comme devant être soumis ou éliminé.


Philistins et Israélites

Entre 1200  et 1000 avant J.C., les Philistins s’établirent dans les plaines maritimes du sud de la Palestine. Les Hébreux s’installèrent dans les montagnes après leur sortie d’Égypte. Selon toute vraisemblance, les Philistins étaient originaires de Crête. Pris en étau entre les Égyptiens, dont ils devinrent à plusieurs reprises les vassaux, et les Hébreux, contre lesquels ils étaient continuellement en guerre, ils fondèrent une puissante confédération de cinq cités, le Pentapole, comprenant l’actuelle Gaza, Aschdod, Ascalon, Gat et Eqron (2).

Goliath, lança un défi aux lignes d’Israël : « Donnez-moi un homme, et que nous nous mesurions en combat singulier! Quand [le roi] Saül et tout Israël entendirent ces paroles du Philistin, ils furent consternés et ils eurent très peur. » (1S 17 10-11) Par son impressionnante stature, Goliath devint un support inévitable pour les soldats de Saül. Mais tenter d’abattre le père symbolique réactive en chacun la terreur vécue enfant face à la fureur du père réel. Goliath représenta ce père qui, d’une claque, pouvait tuer son propre enfant. Il est pourtant, par le récit même et malgré les monstruosités dont les Philistins étaient aussi capables, celui qui défend sa cité, sa liberté, sa vie et ceux de son peuple, femmes et enfants compris. La torsion historique des Écritures profite à ceux qui veulent nous faire croire que David représente l’impétuosité de la jeunesse israélite, sa bravoure, son ingéniosité et même son innocence. Pourtant David n’avait que mépris pour les « gentils », qui plus est incirconcis (1S 17 26). Lorsque Saül, son tout récent beau-père, jaloux de ses succès guerriers, le contraignit à l’exil, il se réfugia sur le territoire des Philistins et y vécut de razzias. Devenu roi, ses expéditions furent des guerres d’extermination semblables à celles des Assyriens, dont on disait d’eux qu’ils infligeaient aux vaincus les plus affreux supplices. Il imposa de lourds tributs à ceux qu’il n’avait pas massacrés (3).


Transmission des mythes

Les parents, en racontant aux enfants des légendes, des mythes, des contes, des fables et même l’Histoire, leurs transmettent les limites de ce qu’ils peuvent réaliser, la forme de pensée qu’ils doivent intégrer et les supports sur lesquels ils doivent projeter les causes de leurs souffrances, réitérant ainsi les interdits millénaires.

Pour accéder au pouvoir, le jeune David a dû prouver qu’il savait faire régner l’ordre paternel. Dans une société qui mettait au-dessus de tout le respect de l’ancienneté et posait la sagesse dans la vieillesse, il devait montrer qu’il était prêt à sacrifier le support et à mutiler son cadavre plutôt que de remettre en cause les actes de son propre père et la façon de penser de sa communauté. Ainsi, l’aveuglement nécessaire à la pérennité de la hiérarchie est conservé en mettant en avant deux extrêmes contre-nature qui servent à cacher l’assemblée des hommes innocents et pourtant décidés à agir selon le seul refoulement de leurs souffrances et à compenser celles-ci sans se poser la question des conséquences sur les femmes, les enfants et les générations futures.

Bernard Giossi

© B. Giossi – 09.2004 / www.regardconscient.net

Notes :

(1) Monstrum est un terme religieux du latin classique qui désigne un prodige avertissant de la volonté des dieux, et son étymologie est la même que montrer.

(2) Lire Palestine, Préhistoire et Antiquité, Encyclopédie Hachette Multimédia, 1999.

(3) Albert Malet, Histoire de l’Antiquité, Librairie Hachette, 1926, p. 86.