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Introspection : le sens de notre vécu

par Sylvie Vermeulen et Bernard Giossi 

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 21 (juin 2005)

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : C’est souvent la sensation d’une vie dénuée de sens ou l’impuissance à comprendre nos actes qui nous poussent à entreprendre une « thérapie ». Mais ce sont nos enfants qui, par leur expression, nous montrent la voie de la libération.


Lorsque l’enfant interroge son parent du regard ou demande « pourquoi ? », il questionne le sens de ce qui se passe ou de ce qui fut fait, mais jamais il ne condamne. Il met spontanément en scène les condamnations qu’il subit et est ainsi en phase avec son processus de libération. L’adulte qui accueille les réponses se remet en cause et met en lumière le sens des actes commis. En nommant ces derniers et en reconnaissant sa participation dans la mise en place des rejouements, il sent les liens entre leurs conséquences et leurs causes réelles. Il réalise alors que ces causes ne sont pas les êtres ou les choses qui l’entourent et qu’il utilise comme support d’évitement, mais les exigences parentales. À défaut de réalisation, l’être se débat dans un nœud d’incompréhension. Il se sent trahir la conscience agissante qui le guide dans le processus de libération en restant fidèle aux schémas relationnels parentaux.


Prendre conscience

Les souffrances physiques et psychiques infligées aux enfants furent des moyens utilisés par les parents pour refouler leur propre vécu. Mais en déniant la réalité de ces mauvais traitements et en refusant de les reconnaître comme tels, les parents méprisent l’essence de la vie humaine, qui est de vivre pleinement conscient. Ce mépris intensifie leur insensibilité face aux manifestations de l’enfant et précipite celui-ci dans des manifestations extrêmes : maladies, accidents, handicaps ou suicide.

Quand les êtres refoulent leurs souffrances, ils diffèrent la possibilité d’une mise à jour. Mais lorsque, parents, ils se persuadent que cette dernière ne leur revient pas, ils interdisent à l’enfant de les reconnaître comme étant responsables de leur processus de libération, c’est-à-dire comme détenant les réponses à leurs questions et donc le sens de leur vécu. Ce faisant, ils déstabilisent gravement la connaissance naturelle que l’enfant a de cette réalité et mettent en danger la réalisation de sa conscience.

L’accueil des causes de notre vécu nous permet de réaliser l’existence et l’activité de notre processus naturel de libération et de nous reconnecter avec la réalité. Tout ce que nous sentons est la réalité. Le problème n’est donc pas de savoir ce qu’est cette réalité, puisque nous sommes tous à même de la sentir justement, mais réside dans notre construction d’un rapport à celle-ci. Quand nous sentons ce que nous voyons et vivons, nous témoignons de la réalité et en faisons partie intégrante. Mais lorsque nous sommes enfermés dans le refoulement de nos souffrances, nous sélectionnons des supports tout en niant ce mécanisme par peur d’une condamnation. Nous attribuons à ces supports la cause de nos souffrances et exploitons ainsi la réalité présente: c’est la névrose, avec ses conséquences destructrices.


« Travail sur soi »

Le premier pas nécessaire pour sentir l’existence d’un processus de libération et nous laisser le vivre est de reconnaître que quelque chose ne va pas dans nos relations avec les autres, que cela dépend de nous-mêmes et non pas d’une fatalité, fût-elle divine. Il importe de reconnaître qu’il ne peut s’agir de détails comportementaux à régler ou de problèmes à solutionner. La conscience a été exploitée et l’être a été précipité dans la souffrance; il est donc nécessaire de dire «oui» aux remises en cause et à l’expression de cette souffrance. La vie ne nous a jamais lâchés; nous sommes encore vivants et toujours désireux de retrouver notre dextérité. Accepter ce que l’on nomme communément le « travail sur soi » c’est affirmer le sens de l’existence de l’homme dans l’ensemble des manifestations de la vie.

Même si les adultes entravent terriblement l’exercice de la conscience de l’enfant, celle-ci ne peut être anéantie ni même réduite, puisqu’elle est la vie. Dès lors, on comprend mieux que nous n’ayons rien à «travailler», mais tout à réaliser et à résoudre afin d’en retrouver la pleine jouissance. La sensation d’un «travail sur soi» est une résurgence de la souffrance intolérable que nous avons vécue lors de la torsion opérée sur nous-mêmes pour survivre et nous soumettre aux injonctions parentales. Le mouvement qui consiste à réaliser cette structuration du comportement humain afin de le discerner de notre expression naturelle est un mouvement de libération de l’exercice de la conscience.


Accueillir le sens du vécu

Les procédés thérapeutiques sont faits de méthodes de refoulement parce qu'ils nient la conscience spontanée à l’œuvre en nous. Malgré cela, chacun peut reconnaître les prises de conscience de leurs auteurs pour retrouver son propre chemin de libération. En effet, les travaux de ces chercheurs ne peuvent pas être saisis comme des solutions qui nous inclineraient une fois de plus vers l’exploitation de notre conscience. Mais leur parcours peut être vécu comme un accompagnement dans la reconnaissance des structures naturelles de la vie.

La communauté humaine est reliée de manière immanente par la conscience dynamique qu’elle représente, il n’y a donc pas d’alternative au processus de libération, ni de compromis sans conséquences à l’exercice de la conscience. Il y a l’engagement dans le sens donné par la vie ou la résistance à ce sens. Il n’y a pas de choix. Les résistances qui entravent l’exercice de la conscience sont autant de manifestations de la terreur qui entraîna la soumission aux exigences éducatives, ce sont donc des conséquences dont nous pouvons nous libérer. Le concept de choix est également une résistance, car il pose sur un même niveau la conscience – qui est notre nature – et le refoulement occupant son exercice. Ce qu’on appelle «travail sur soi» est donc, le plus souvent, l’application de méthodes de refoulement au sein même de rejouements posés comme inhérents à la vie.

Sylvie Vermeulen et Bernard Giossi

 

Responsabilité et culpabilité

C’est précisément parce que l’enfant est un être présent et responsable que les adultes projettent sur lui qu’il est coupable de tous leurs maux. 


Contrairement à ce qui est projeté sur lui, l’enfant est un être responsable. Sa responsabilité réside essentiellement dans son engagement à accomplir une nature confirmée dans la relation intime à ses parents et vérifiée par une joie relationnelle qui demeure. Lorsque la mère n’accueille pas la nature de son enfant, elle refuse de répondre de la conscience qu’elle « déconfirme » ainsi.


Signal d’alarme

Impuissante à résoudre la terreur vécue face au déni de ses propres parents, elle se soumet, comme l’a fait sa propre mère, à la volonté de pouvoir des hommes. Désormais seule face aux exigences du mari/père, elle ne trouve pas en elle l’espace pour accueillir et reconnaître sa capacité d’être juste et de rester consciente, ce pour quoi agit en permanence l’enfant. Elle méprise la conscience et réprouve ses manifestations. La mère se condamne ainsi elle-même à perpétuer ce qui est devenu l’ignorance tragique de sa lignée. En effet, en se dressant contre le sens du flux de la vie qui l’habite, elle s’enlise dans les interprétations, se sent mal à l’aise et, au lieu d’accueillir cet état, elle le fige dans son mode de refoulement. Ce mal-être est pourtant la manifestation d’un impératif de conscience.

Le sentiment de ne pas être justement positionné est un signal d’alarme qui nous interpelle, afin que nous prenions conscience d’une situation relationnelle dont les conséquences sont déjà actives et qu’il faut impérativement résoudre. À l’origine de ce que nous appelons communément la culpabilité, il y a donc un avertissement désactivé de sa raison d’être par les jugements et les condamnations constants. La culpabilité implique alors pour la personne de porter ses actes, leurs causes et leurs conséquences, ainsi que l’interdit de révéler leur origine dans le comportement parental.

Ces actes, qui manifestaient une souffrance relationnelle, devaient être connectés à leur chaîne de causalité. Leur interprétation, puis leur condamnation, ont inhibé les prises de conscience et ont divisé durablement les êtres en les figeant dans les rôles avilissant de bourreau et de victime. Dès lors, la seule terreur d’être condamné active la structure de maintien du refoulement des souffrances engendrées par le déni et les reproches parentaux. Ce mouvement d’évitement est manipulé par la famille et la société et utilisé pour assurer leur domination.

C’est en perpétuant cette sensation d’inadéquation au contact des manifestations de conscience de l’enfant que le pouvoir patriarcal a fondé sa structure d’exploitation. Rester attaché à ces postures de pensée empêche la délivrance que procure le processus naturel de libération de l’exercice de la conscience.

B. G.


Mots et sens


« Travail »

Attesté en français vers 1080, le mot travailler est issu du latin populaire tripaliare, signifiant littéralement torturer avec le trepalium – ou « chevalet de torture » (1). Travailler garde aujourd’hui encore le sens originel de faire souffrir physiquement, c’est-à-dire de travailler sur le corps de l’autre. Au XIIe siècle, le sens fut augmenté de « souffrir moralement ». Un siècle plus tard, il devint réflexif et l’expression se travailler signifia « se tourmenter », notamment de remords, d’un péché commis.

Ainsi, après avoir désigné l’extrême souffrance, puis la fatigue et la peine prises à l’exercice d’une activité ou d’un métier, le mot travail fut appliqué à l’activité elle-même, comme source de revenu. La souffrance ayant été déniée, il finit par désigner le résultat du travail et devint, dès le XVe siècle, le synonyme neutre d’une activité productive.

Le processus de négation de l’origine réelle de la souffrance était ainsi bouclé et érigé en interdit de mettre à jour l’exploitation destructrice que l’éducation des classes dominantes faisait de cette souffrance. Cette exploitation est révélée par le sens même du chevalet – ou petit cheval – dressé comme l’enfant pour servir de support aux adultes. Le supplicié étant la manifestation du supplice qu’est, pour la conscience, le fait d’être dressée.


« Culpabilité »

Le terme coupable a été introduit en français vers 1172 et provient du latin ecclésiastique culpabilis – de culpa, « faute ». Il désignait « celui qui a commis une faute aux yeux de la loi ». Le concept de culpabilité s’imposa avec la Révolution française (vers 1791) et exprimait « l’état de celui qui est coupable ». De la même origine latine vient le mot coulpe, anciennement colpe, « état de faute, négligence » puis « péché », et par métonymie « aveu du péché ». Notons que les linguistes ne font pas le lien étymologique avec le mot coup, dont l’ancienne graphie est colp – du latin colpus, « taloche, coup de poing ». Coup prit le sens usuel de « mouvement par lequel un corps en heurte un autre » ainsi que «choc qui divise, sépare», d’où couper.

À l’origine, la culpabilité d’une personne dépendait de la non soumission aux lois de structuration du pouvoir et à celles du refoulement de la vérité. Le pouvoir étant présenté comme ce qui réunit et protège ceux qui s’y soumettent, la faute envers la loi était donc considérée comme un coup porté contre sa structure. Il lui était donc légitime de condamner ceux qui la mettaient en cause. En étendant l’« état de faute » à l’intimité des êtres et à l’expression des sentiments, la religion révéla son intention de dominer les hommes. Elle fit ensuite porter aux enfants, qui subissaient les coups et les interdits, le péché d’avoir mérités ces derniers, disculpant ainsi les adultes.


« Honte »

Introduit dans la langue française vers 1080, ce mot vient du francisque haunipa signifiant « mépris, raillerie », puis « affront, humiliation et déshonneur ». Il désigne donc la projection humiliante faite sur l’autre et nomme un schéma relationnel dominant, commun aux sociétés guerrières. Vers le XIIIe siècle, la locution boire honte (« toute honte bue ») est utilisée avec le sens de « inaccessible à la honte (pour avoir subi trop d’avanies», et donc d’une insensibilisé à la souffrance d’être humilié.

Dès le XVe siècle, le mot honte est utilisé pour pudeur et préfigure le retournement du sens. Nommant à l’origine l’acte d’humilier et donc d’agresser l’autre, le mot désigne dorénavant ce que ressent celui qui est humilié, « un sentiment pénible d’humiliation devant autrui, d’indignité devant sa conscience ». Peu à peu, le sens sera affaibli et empêchera la reconnaissance de la gravité des passages à l’acte qui rendent les êtres pudiques, timorés et timides.

B. G.

Note :

(1) Les définitions sont toutes extraites du Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998.