par Marc-André Cotton
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Terreur
« La terreur m'étreignait de plus en plus. Une partie de moi commençait à pressentir ce qui allait se passer. » Riad Sattouf, Ma circoncision, |
Bien qu’il ne soit pas prescrit par le Coran, le rituel de la circoncision marque l’admission du garçon dans le clan des hommes et son appartenance à la communauté musulmane. Dans les pays du Maghreb, la mutilation est d’autant plus terrifiante pour l’enfant qu’elle est traditionnellement infligée en l’absence des parents et sans anesthésie. Certaines familles établies en France font encore circoncire leurs fils dans leur pays d’origine, selon la tradition. « C’était au bled, j’avais quatre ans. Comme par hasard, tout le monde était gentil avec moi. […] Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait en vérité, c’était comme un viol. En quelques secondes le hajjam [barbier circonciseur] de sa race m’a coupé ma fierté, tout ce que j’avais de beau à l’époque. J’ai crié comme un porc, je voulais le mordre. Mais voyant le sang, j’ai préféré la fermer…(8) »
Il serait tentant de penser que l’opération n’est pas traumatisante lorsqu’elle est pratiquée sous anesthésie, en milieu hospitalier ou chez un médecin. En réalité, bien que moins douloureuse physiquement, elle blesse profondément l’intégrité psychique de l’enfant. Une part importante de son énergie vitale sera désormais consacrée à gérer les séquelles de cet acte castrateur notamment au travers de conduites « à risques » et cette compulsion le détournera d’une mise en cause des violences subies dans la famille.
Autorités aveuglées
Sur ces atteintes flagrantes à l’intégrité de l’enfant, pourtant explicitement interdites par le Code civil français et passibles d’une condamnation pénale (9), les pouvoirs publics restent étrangement silencieux. La communauté médicale tolère également que des dizaines de milliers de posthectomies euphémisme scientifique désignant l’opération de circoncision masculine soient infligées chaque année à de très jeunes garçons, en cabinet ou en clinique, sans aucune nécessité thérapeutique (10). Bien que de nombreuses études confirment ses dangers (11), les autorités sanitaires s’abstiennent aussi d’informer le public des conséquences de cette opération pour l’équilibre des enfants qui la subissent.
Ces aveuglements contribuent à stigmatiser les jeunes issus de l’immigration et justifient les préjugés. Plutôt que de discerner dans leurs comportements illicites l’expression de souffrances profondément occultées, les pouvoirs publics condamnent le « communautarisme » populaire et légitiment une politique largement répressive. Ils accentuent ainsi le refoulement de notre propre terreur à prendre conscience des conséquences du déni infligé à la sensibilité de l’enfant.
Marc-André Cotton
© M.A. Cotton 01.2006 / www.regardconscient.net
Notes :
(1) « Dans l’esprit de l’enfant arabo-musulman, la représentation de l’image de Dieu se projette dans celle du père que la langue arabe qualifie, à dessein, de “Rab al âaila” ; c’est-à-dire “Dieu dans la famille”. » Abdel Serhane, L’Amour circoncis, éd. Eddif, 2000, p. 107.
(2) Sarkozy affirme : « Ce qui m’a le plus façonné, c’est la somme des humiliations d’enfance… Je n’ai pas la nostalgie de l’enfance parce qu’elle n’a pas été un moment particulièrement heureux. » Cité par Raphaëlle Bacqué, Nicolas Sarkozy, l’affamé de pouvoir, Le Monde, 6.10.2002. Lire également Libre comme Sarkozy ?, https://regardconscient.net/archi02/0212sarkozy.html.
(3) Olivier Toscer, L’énigme de Clichy-sous-Bois, Le Nouvel Observateur, 10.11.2005.
(4) Cités par Elsavigoureux, La guerre des mondes, Le Nouvel Observateur, 10.11.2005.
(6) 21’500 voitures ont été brûlées en 2003 (soit en moyenne 60 par nuit), le plus souvent en dehors de violences collectives. Lire Laurent Bonelli, Révolte des banlieues Les raisons d’une colère, Le Monde diplomatique, http://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/BONELLI/12993.
(7) Cité par Anne Fohr, « Cet embrasement, je ne m’y attendais pas », Le Nouvel Observateur, 10.11.2005.
(8) Témoignage d’un internaute cité par la Ligue pour l’abolition de la circoncision, https://web.archive.org/web/20050315085128/http://l.a.c.free.fr/paroles_hommes.html.
(9) L’article 16-3 du Code civil français stipule : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
(10) D’après la documentation médicale, la posthectomie s’envisage aussi « en cas de demande rituelle » à condition de « s'assurer des motivations réelles de la famille, privilégier si possible un âge prépubertaire avancé et vérifier l'absence de pathologie sous-jacente chez l'enfant. » https://web.archive.org/web/20180803033732/http://documentation.ledamed.org/IMG/html/doc-10578.html.
(11) Pour un aperçu de ces recherches, consulter la Circumcision Reference Library, http://www.cirp.org/library.