Résumé : Les violences parentales, dont la circoncision rituelle, font le lit des émeutes urbaines, au cours desquelles les jeunes mettent en scène le viol de leur intégrité. Sur cette mutilation condamnée par le Code civil, les autorités restent étrangement silencieuses.
Dans leurs analyses de l’embrasement des banlieues françaises de l’automne 2005, les médias et commentateurs de toutes tendances politiques ont obéi à l’interdit collectif de mettre en cause le rôle des violences parentales et familiales. Déplorant un « apartheid à la française », certains y virent une « crise des milieux populaires profondément sociale » (Le Monde diplomatique, 12.2005). D’autres dénoncèrent des « cités majoritairement musulmanes entrées en rébellion contre l’État » et posèrent « la question de la survie du modèle jacobin d’intégration » (Le Figaro, 18.11.2005). D’autres encore justifièrent que « l’État cherche à restaurer sa légitimité » en adoptant une attitude intransigeante et répressive (Courrier international, 17.11.2005).
Brutalités paternelles
Ces interprétations ne prennent pas en compte le fait que tous les protagonistes rejouent sur la scène sociale les schémas relationnels dont ils sont prisonniers. Dans les communautés issues de l’immigration, des traditions patriarcales et misogynes font obstacle à l’épanouissement de l’enfant et à l’expression de sa sensibilité. Humiliations, violences domestiques et rituelles sont des actes routiniers par lesquels les adultes lui imposent leur mode de vie et verrouillent toute mise en cause de la brutalité du père, qui s’investit d’une souveraineté quasi divine[1].
De son côté, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy est fidèle aux exigences répressives d’une éducation aristocratique qui fut particulièrement méprisante pour ses besoins d’enfant[2]. Pétrifiés à l’idée de mettre en cause l’éducation qui les opprime, les jeunes émeutiers peuvent projeter sur lui les sentiments qu’ils refoulent devant leurs propres parents. Par transfert, la figure du promoteur de la « tolérance zéro » est substituée au père réel qu’ils ne peuvent infléchir et cette rupture de cohérence légitime le rejouement sur la scène sociale des traumatismes subis dans la famille.
Colère déplacée
Un reportage consacré au décès accidentel de deux adolescents qui cherchaient à échapper à un contrôle de police révèle incidemment le degré de violence parentale auquel sont confrontés les enfants de ces banlieues. D’après son auteur, le père de l’un des garçons, d’origine tunisienne, représente « le genre de paternel qui ne plaisante pas avec la discipline [et] avait lui-même réclamé une mesure d’encadrement pour son fils[3] ». La terreur et les humiliations que fuyaient ces jeunes étaient donc d’abord celles qu’ils avaient vécues dans leurs foyers. Mais lorsqu’on les interroge sur les motifs de leur révolte, trois adolescents d’une autre cité affirment : « On crame pour se venger des mots de Sarko[4]. »
Contraint de construire une représentation idéalisée du père, l’enfant transfert la colère qu’il ressent à l’égard de son parent maltraitant sur les représentants du pouvoir politique. Le jeune adulte finit par s’identifier à ce mécanisme de survie et fait à son tour obstacle aux mises en cause qui pourraient le libérer de ces schémas relationnels. Un émeutier plus âgé renchérit, absolvant au passage le mépris que son propre père a manifesté envers lui : « Quand Sarko raconte qu’il veut passer les quartiers au Kärcher, comme si nous étions tous des rebuts de la société, c’est vraiment insultant. Dégueulasse[5]. »
Circoncision traumatisante
Les incendies de véhicules constituent une manifestation particulièrement visible de la colère des jeunes gens des banlieues, d’origine maghrébine, proche-orientale ou sub-saharienne. En dépit de leur récente couverture médiatique, ces pratiques ne datent pourtant pas de l’automne 2005[6] et sont porteuses d’une signification spécifique. Un enseignant de collège à Clichy-sous-Bois le confirme à sa manière : « [Nos élèves] sont toujours prêts à s’enflammer à la moindre erreur de comportement de notre part[7]. »
Du fait de la persistance de pratiques traditionnelles mutilantes, mais non reconnues comme telles, ces garçons ont en commun d’avoir subi, enfants, une circoncision physiquement douloureuse et psychologiquement terrifiante. Leur compulsion collective à incendier des voitures ou des conteneurs poubelles, ravivée par un contexte de déni social endémique, exprime la brûlure lancinante du couteau ou du scalpel, l’inflammation angoissante d’une cicatrisation hasardeuse et, plus encore, le viol cuisant de l’intégrité la plus intime par soumission au despotisme paternel.
Conduites « à risques »
Bien qu’il ne soit pas prescrit par le Coran, le rituel de la circoncision marque l’admission du garçon dans le clan des hommes et son appartenance à la communauté musulmane. Dans les pays du Maghreb, la mutilation est d’autant plus terrifiante pour l’enfant qu’elle est traditionnellement infligée en l’absence des parents et sans anesthésie. Certaines familles établies en France font encore circoncire leurs fils dans leur pays d’origine, selon la tradition. « C’était au bled, j’avais quatre ans. Comme par hasard, tout le monde était gentil avec moi. […] Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait en vérité, c’était comme un viol. En quelques secondes le hajjam [barbier circonciseur] de sa race m’a coupé ma fierté, tout ce que j’avais de beau à l’époque. J’ai crié comme un porc, je voulais le mordre. Mais voyant le sang, j’ai préféré la fermer[8]… »
Il serait tentant de penser que l’opération n’est pas traumatisante lorsqu’elle est pratiquée sous anesthésie, en milieu hospitalier ou chez un médecin. En réalité, bien que moins douloureuse physiquement, elle blesse profondément l’intégrité psychique de l’enfant. Une part importante de son énergie vitale sera désormais consacrée à gérer les séquelles de cet acte castrateur notamment au travers de conduites « à risques » et cette compulsion le détournera d’une mise en cause des violences subies dans la famille.
Autorités aveuglées
Sur ces atteintes flagrantes à l’intégrité de l’enfant, pourtant explicitement interdites par le Code civil français et passibles d’une condamnation pénale[9], les pouvoirs publics restent étrangement silencieux. La communauté médicale tolère également que des dizaines de milliers de posthectomies euphémisme scientifique désignant l’opération de circoncision masculine soient infligées chaque année à de très jeunes garçons, en cabinet ou en clinique, sans aucune nécessité thérapeutique[10]. Bien que de nombreuses études confirment ses dangers[11], les autorités sanitaires s’abstiennent aussi d’informer le public des conséquences de cette opération pour l’équilibre des enfants qui la subissent.
Ces aveuglements contribuent à stigmatiser les jeunes issus de l’immigration et justifient les préjugés. Plutôt que de discerner dans leurs comportements illicites l’expression de souffrances profondément occultées, les pouvoirs publics condamnent le « communautarisme » populaire et légitiment une politique largement répressive. Ils accentuent ainsi le refoulement de notre propre terreur à prendre conscience des conséquences du déni infligé à la sensibilité de l’enfant.
Marc-André Cotton
© M.A. Cotton 01.2006 / regardconscient.net
Circoncision : c’est aux parents de dire non !
Les pressions exercées par certains groupes d’influence favorables à la circoncision sont aujourd’hui manifestes. Les conséquences engendrées chez l’enfant par cette opération souvent banalisée doivent inciter les parents à plus de clairvoyance.
(01/2013)
Notes :
[1] « Dans l’esprit de l’enfant arabo-musulman, la représentation de l’image de Dieu se projette dans celle du père que la langue arabe qualifie, à dessein, de “Rab al âaila” ; c’est-à-dire “Dieu dans la famille”. » Abdel Serhane, L’Amour circoncis, éd. Eddif, 2000, p. 107.
[2] Sarkozy affirme : « Ce qui m’a le plus façonné, c’est la somme des humiliations d’enfance… Je n’ai pas la nostalgie de l’enfance parce qu’elle n’a pas été un moment particulièrement heureux. » Cité par Raphaëlle Bacqué, « Nicolas Sarkozy, l’affamé de pouvoir », Le Monde, 06.10.2002. Lire également « Libre comme Sarkozy ? », Revue Regard conscient, décembre 2002.
[3] Olivier Toscer, « L’énigme de Clichy-sous-Bois », Le Nouvel Observateur, 10.11.2005.
[4] Cités par Elsa Vigoureux, « La guerre des mondes », Le Nouvel Observateur, 10.11.2005.
[5] Ibid.
[6] 21’500 voitures ont été brûlées en 2003 (soit en moyenne 60 par nuit), le plus souvent en dehors de violences collectives. Lire Laurent Bonelli, « Révolte des banlieues Les raisons d’une colère », Le Monde diplomatique, décembre 2005.
[7] Cité par Anne Fohr, « Cet embrasement, je ne m’y attendais pas », Le Nouvel Observateur, 10.11.2005.
[8] Témoignage d’un internaute cité par la Ligue pour l’abolition de la circoncision.
[9] L’article 16-3 du Code civil français stipule : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
[10] D’après La documentation médicale, la posthectomie s’envisage aussi « en cas de demande rituelle » à condition de « s’assurer des motivations réelles de la famille, privilégier si possible un âge prépubertaire avancé et vérifier l’absence de pathologie sous-jacente chez l’enfant. »
[11] Pour un aperçu de ces recherches, consulter la Circumcision Reference Library.