Résumé : Le discours psychologique dominant rend les adultes dépressifs responsables de leur état, alors que ce dernier est le résultat de leur éducation. Pour comprendre la dépression, il est nécessaire de reconnaître dans nos vies l’expression d’un processus de réalisation inhérent à notre nature consciente.
La dépression est un amalgame de souffrances déconnectées des circonstances qui les ont provoquées : sensations des situations, émotions suspendues, profonds sentiments flottants. Lors d’un traumatisme, la déconnexion protège l’organisme d’une trop forte décharge, dès lors toxique, d’adrénaline et de cortisol. Pour retrouver la cohérence d’un vécu, une succession de « pré-sentis » et de mises en scène permettent à l’enfant et à l’adolescent de « recoller les morceaux » et de cheminer vers la pleine réalisation de ce qui s’est passé. Mais les parents entravent ce processus de libération par des interprétations erronées posées sur les comportements des enfants. Pourtant, l’équilibre psychologique de ces derniers passe, encore et encore, par remettre en scène afin d’atténuer la charge émotionnelle et de dédramatiser l’empreinte de danger imminent. Le refus des parents de reconnaître les causes réelles des traumatismes et les maltraitances infligées, associé à leur obstination à rendre l’enfant responsable de ses comportements dans le présent, contraint ce dernier à endosser la responsabilité de leurs causes premières. Cependant, le besoin de se réaliser passe par la révélation et la pleine reconnaissance des véritables circonstances et responsabilités. La reconnaissance des causes réelles de toute souffrance est nécessaire au retour d’une relation juste avec soi-même et avec son entourage.
Au fil des années, la nécessité de prendre conscience devient de plus en plus pressante et les stress associés de plus en plus envahissants. Le déjouement systématique d’une possible reconnexion précipite l’adulte dans la dépression. Jusqu’à satisfaction, il aura besoin de se reconnecter aux circonstances, de les nommer et de laisser se faire la prise de conscience de ce qui s’est joué là. Cette mise au jour nécessite une écoute particulière de soi et de la part de l’accompagnant, une écoute rétablissant le comportement juste, raison d’être de l’ensemble du processus.
Le Mal en l’Homme
Écrire, comme j’ai pu le lire, que « la psychothérapie s’attaque à l’origine du mal, à savoir le comportement dépressiogène[1] » est une façon de réduire la dépression à une maladie, c’est-à-dire un état exogène n’ayant pas de sens pour la conscience humaine juste « un mal » qui s’attaque à l’Homme à travers « un ensemble d’attitudes qui, à l’insu du patient, vont le déprimer ou le maintenir dans cet état. » Force est de constater qu’aujourd’hui encore, la croyance dans « le Mal en l’Homme » est transmise comme ersatz au dévoilement des causes et des responsabilités dans les rapports humains.
L’activité incessante de la conscience humaine pour reconnecter les sensations et les émotions mémorisées aux circonstances traumatisantes, elles aussi mémorisées, utilise instinctivement la sélection dans le présent et la remise en scène pour atteindre son but, à savoir la justesse relationnelle des êtres sociaux que nous sommes.
Malheureusement, la maîtrise des émotions imposée par la terreur manque douloureux de réelle satisfaction, humiliations, menaces, coups… , et complexifiée par un refus générationnel de connecter causes réelles et conséquences, a scellé les comportements qui finissent par déprimer l’adulte et façonné les croyances qui le maintiennent dans cet état.
L’impossibilité de bon nombre de thérapeutes à conceptualiser ce processus les conduit à reprocher aux personnes dépressives les conditionnements de leur éducation à savoir des comportements standardisés et la maîtrise du refoulé.
Lorsqu’on évite compulsivement de parler des causes historiques et actuelles de maternages défaillants par exemple, les « explications » que l’on se donne passent inévitablement par les mêmes ornières qui commandent de faire porter à l’enfant une incapacité à gérer « correctement » les maltraitances subies. Une fois cet enfant devenu adulte, ces mêmes personnes donneront comme origine de la dépression « une tentative inadéquate de faire face aux vicissitudes de la vie. Une mauvaise stratégie de résolution des problèmes qui met le patient en échec et augmente sa propension à marquer des “auto-goals” » ce qui est la suite logique des « explications » posées comme base.
Se méconnaître, un objectif occulté de l’éducation
Par une suite d’interprétations déviantes, ces thérapeutes rendent donc les adultes dépressifs responsables de leur état alors que ce dernier est le résultat de leur éducation. La méconnaissance d’eux-mêmes et l’ignorance des processus actifs en eux résultent de l’ensemble des interprétations erronées posées et imposées sur les manifestations de l’enfant et sur celles des adultes en général. Des interprétations déplacées qui posent les conséquences de l’éducation à la maîtrise des émotions comme étant les causes premières d’autres conséquences de cette même éducation, notamment dans cet exemple où la maîtrise devient « une lutte incessante contre des sentiments dérivés des conflits inconscients non résolus remontant à l’enfance. »
En réalité, à l’origine, il n’y avait pas de conflits, juste une gestion tendue vers sa résolution. L’observation scientifique a ceci d’extraordinaire qu’elle autorise à considérer un fait en lui déniant tout ou partie de son histoire. Et d’en conclure : « L’individu a été confronté à des pertes réelles ou symboliques précoces dont il n’a pu faire le deuil. À l’âge adulte, ce vécu d’impuissance, de détresse et de rage continue à hanter son inconscient et à entraver ses capacités d’adaptation. » D’après ces auteurs, c’est le vécu qui hanterait et entraverait… et non pas l’éducation à la maîtrise qui, elle, a réellement entravé le processus de libération en exploitant les capacités d’adaptation du sujet. On ne peut pas s’adapter indéfiniment à la névrose des générations précédentes. La maîtrise des fonctions naturelles de l’être humain est ainsi souvent confondue avec l’adaptation à un environnement naturel changeant. L’adaptation à la vie familiale et sociale fait fi de la névrose, ce qui permet de la présenter comme étant normale, voire naturelle. C’est une chose d’observer, c’en est une autre d’être capable de poser ces observations à leur vraie place et de ne pas en faire une construction soumise aux diktats des pontes, dans le cas présent, ceux de la psychiatrie et de la psychologie.
Dans le discours courant, « faire le deuil » s’impose donc comme une solution à des conflits inconscients non résolus ne nécessitant dès lors plus aucune résolution. Le problème et sa résolution ont disparu, ce qui évite une remise en cause salvatrice des rapports parents/enfants, intellectuels/peuple, gouvernants/gouvernés dont les psys sont les nouveaux gardiens. Pour justifier « le deuil », il suffit d’affirmer l’adaptation à la névrose humaine comme étant naturelle.
Un adulte n’est pas plus hanté par des vécus « d’impuissance, de détresse et de rage » qu’un tableau de bord ne le serait par ses voyants lumineux. Quand le voyant du niveau d’huile clignote au rouge que fait un bon conducteur ? Il s’arrête. Lorsque la sensation de culpabilité est évidente que fait l’humain névrosé ? Il continue d’être en relation comme s’il en était encore capable. Cette exigence irréalisable de « faire le deuil » est un pas de plus dans l’éducation à la maîtrise de notre nature consciente. Il est impossible d’éteindre l’activité de la conscience humaine en quête de résolution. Bientôt, certains chercheront à annuler les émotions qui, selon eux, font tache dans la vie relationnelle.
Le « presque vrai »
La manipulation est consommée lorsqu’elle joue avec un « presque vrai » composé de différents niveaux de sensations et de compréhensions sortis de leur contexte et imbriqués les uns dans les autres. Le sens est alors reconstruit en fonction des priorités de l’auteur de la manipulation.
Par exemple, quand je lis que « le patient doit impérativement réaliser qu’il joue un rôle dans le maintien et la répétition de ses échecs » ou qu’il « doit désirer changer et participer activement à ce changement », cela peut me paraître vrai. Pourtant, l’intention sous-jacente est de continuer à dénier la responsabilité des parents dans l’état de dépression des enfants devenus adultes parce que le comportement névrotique des parents est le fondement des rapports sociaux actuels et de la hiérarchie. Le « patient » joue bien un rôle dans le maintien et la répétition de ses comportements, mais il ne s’agit pas d’échecs. Il a besoin de réaliser qu’il manifeste, ce qu’il manifeste, et pourquoi il le fait. La notion d’échec nie la nature consciente de l’être humain. Dans le domaine relationnel, son utilisation définit comme tel ce qui est de l’ordre des conséquences de la maîtrise de notre nature.
Il ne s’agit pas d’échecs, mais d’une parfaite réussite de l’adaptation à la névrose parentale. La compulsion de répétition est une conséquence du refus de prendre conscience des effets néfastes d’une éducation prônant le refoulement. Lorsqu’il manifeste ce qu’il vit et sent, l’enfant n’y est pas encore identifié, mais à travers le regard parental, il comprend qu’il doit se considérer comme étant responsable de ce qu’il montre. Il en va ainsi jusqu’à ce que l’enfant ne puisse plus prendre de distance vis-à-vis de ce qu’il manifeste et donc jusqu’à ce qu’il soit privé de la capacité d’en prendre conscience. Il est alors réduit au rôle qu’on lui a attribué et contraint de rejouer l’ensemble de ce qu’il a subi en le justifiant dans le présent. Il doit garder le lien à sa nature consciente tout en maîtrisant simultanément les conséquences du déni de cette nature. Un véritable casse-tête ! Il déprime parce qu’il est saturé par les rôles endossés, parce qu’il imagine devoir changer tout en continuant à répondre aux exigences parentales. En réalité, l’adulte n’a pas besoin de changer, il doit saisir ce qu’il vit, reconnaître les mécanismes qui agissent en lui afin de résoudre l’activité de tout ce qui est non résolu. Il a besoin de cesser de lutter contre son processus de réalisation. Il doit remettre les choses à leur place et non plus être balloté de jugements en interprétations.
Les mises au jour effectuées par les accompagnants sur leur propre histoire sont donc déterminantes et ne peuvent être remplacées par des études universitaires ou par des techniques, comme certains voudraient aujourd’hui nous le faire croire.
Sylvie Vermeulen
© S. Vermeulen 09.2013 / regardconscient.net
S’intégrer… ou se réaliser ? Comment se libérer du poids de l’histoire familiale
Ce qui nous préoccupe le plus est le besoin irrépressible de comprendre ce que nous vivons. Pour nous libérer du poids du passé, nous avons besoin d’un positionnement clair face à ce que nous avons subi. Notre réactivité face aux circonstances du présent doit donc être considérée avec tout le sérieux nécessaire à une prise de conscience.
(01/2013)
Note :
[1] S. Soumaille, « Compte rendu de Colloque : Médicaments et psychothérapies dans le traitement de la dépression », Médecine et Hygiène, 2010. Ce compte rendu a été choisi comme exemple des idées véhiculées dans les milieux de la psychiatrie et de la psychologie. Toutes les citations du présent texte en sont issues.