Violences sociales


Attentats de Paris : au cœur du traumatisme


par Sylvie Vermeulen


Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.

 

 

Résumé : Ce que nous ont montré ces jeunes Français d’origine arabe, c’est l’horreur du déni fait à leur conscience depuis leur conception même. Un regard, non pas fou, mais vidé de toute sensibilité humaine par des siècles de répression subie à travers les générations.

 

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La violence verbale et physique plonge l’être humain dans une intense et horrible sensation d’incompréhension. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Autant de questions qui portent la gestion du traumatisme à son niveau ultime : celui de la recherche de sa cause. Nous parlons ici de prises de conscience et de réalisation de cette conscience innée qui nous anime tous.

Les maltraitances subies de la part de nos propres parents dépassent largement leur vécu personnel. Il s’agit d’une transmission générationnelle des terreurs et de leurs gestions opérée dans une incompréhension générale. Au cours des siècles, certaines prises de conscience ont permis de faire évoluer la gestion collective jusqu’à notre forme de démocratie mais l’incompréhension des mécanismes qui ordonnent nos structures de pensée interdit toujours une vision globale de la situation. Dans les circonstances actuelles, il est dangereux de confondre causes et conséquences et plus encore, de confondre causes premières et conséquences extrêmes, c’est à dire, prendre l’islamisme radical pour une cause lorsqu’il est conséquence.


L’horreur faite à la conscience

La conscience humaine est constamment bafouée par l’ignorance de ce que nous sommes en réalité : des êtres conscients, sains de corps et d’esprit, saisis dans des gestions familiales qui nous réduisent à des rôles, à des utilités et à de vaines manifestations. Les gestions auxquelles, en tant qu’adultes, nous sommes identifiés et tellement attachés, ne sont en réalité que réactivations et compulsions. Nous aimerions penser que les méthodes des djihadistes, à l’instar de celles des parents de nos enfances respectives, ne sont pas déterminées par une sorte de folle réactivité et une sujétion compulsive, mais au contraire mûrement réfléchies afin de pouvoir les anticiper et ainsi gérer les terreurs qu’elles réactivent en nous.

Oui, la structure de la capacité à penser, qui ordonne les comportements des adultes est décodable car elle est tellement réduite et prévisible qu’elle ne peut dévier par elle-même de sa structure. Elle ne peut opérer des mises en scène qu’en fonction des limites dans lesquelles elle a été élaborée. Pour gérer la souffrance de ne pas être reconnu comme un être conscient et comme étant l’avenir générationnel de ses géniteurs, l’enfant va développer la croyance qu’il est plus « intelligent » que ses parents maltraitants alors qu’il est : premièrement, réduit à un rôle dans la gestion parentale, et deuxièmement, enfermé dans cette croyance qui accapare  l’esprit. Il en va de même pour tous les hommes enfermés dans l’idée d’ennemi. Ils ne peuvent pas réfléchir, seulement réagir.

Ce que nous ont montré ces jeunes Français d’origine arabe, c’est l’horreur du déni fait à leur conscience depuis leur conception même, un extrême qui ne pouvait pour eux qu’être manifesté de la sorte ; un regard, non pas fou, mais vidé de toute sensibilité humaine, équivalent à celui d’un père ou d’une mère se retournant avec violence contre son enfant ; un regard légitimé qui en dit long sur les années, les siècles de répression subie par les lignées successives ; un massacre de la vie consciente qui, à ce niveau-là, concerne chacun d’entre nous ; des parents devenus des machines à tuer certaines émotions, froids et méthodiques dans leur forme respective d’éducation sans aucune hésitation quant à la violence de leurs gestes parce qu’il ne s’agit plus que de réaction ; des parents en mission de purification complètement voués à la gestion de leur propre souffrance, croyant éradiquer les causes d’un mal-être qu’ils projettent partout où ils ne trouvent pas les éléments de leurs propres fantasmes.


Des siècles de traumatismes

Ce n’est pas parce que des gens perdus et furieux se regroupent et nous prennent comme cibles que nous sommes pour autant en guerre. Nous défendre d’une potentielle nouvelle attaque de ce type, c’est d’abord comprendre ce qu’il se passe. Fabriquer un ennemi est de l’ordre de la gestion névrotique, c’est donner au mal-être qui est actif en nous une vie à l’extérieur de nous. C’est créer une entité avec l’illusion de pouvoir la combattre afin de canaliser nos propres terreurs. La meilleur façon de libérer notre planète de ces manifestations extrêmes est d’en comprendre le sens en nous servant de nos propres vécus. Si nous-mêmes n’étions pas aux prises avec une structure similaire à celle qui dirige les pensées de Daesh, il nous serait évident que la notion d’« ennemi » n’a pas de réalité. Ces gens sont piégés dans des structures de pensée définies par des siècles de traumatismes assénées de génération en génération et dont ils sont les premières victimes.

Nos gouvernements occidentaux agissent en fonction d’urgences et d’intérêts économiques. C’est à nous Français de prendre conscience des enjeux de réalisation que nous imposent la situation. La fin de la guerre de 14/18 puis celle de la guerre de 39/45, pour ne nommer qu’elles, n’ont pas abouti à la prise de conscience de leurs causes réelles. Il serait temps d’ouvrir les yeux sur la globalité de nos vécus personnels pour enfin en épargner nos enfants.

Détruire l’un des opposants – peu importe lequel puisque les massacres sont déterminés par les intérêts de chaque protagoniste – pour faire cesser un conflit est une solution à court terme aussi inefficace qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Cela ne règle pas le problème de fond et induit toujours plus de traumatismes. Il est absolument faux de dire que « la nature est ainsi faite ». L’être humain cherche toujours à comprendre tant qu’il en a encore l’espace. Il ne provoque des mises en scène aussi radicales que dans un ultime espoir, non plus de comprendre, mais d’être enfin compris. L’un d’entre eux n’a-t-il pas crié : « C’est la faute à Hollande… ». Un espoir finalement transféré sur un paradis imaginaire, tellement les enfants qu’ils étaient durent continuellement faire face à l’aveuglement parental et communautaire. Adhérer à une idéologie est la manifestation de la perte de cet espoir de comprendre par soi-même.


Mettre des mots sur leurs maux

Malgré les apparences, les djihadistes ne visent pas notre style de vie. Ce dernier est le fruit de prises de conscience successives faites au fil des siècles. Des prises de conscience que leur style de vie ne leur ont pas permis de faire. À ce niveau, il y a chez les Français un espace de réflexion qu’ils n’ont pas et qui de façon irrépressible, les pousse à manifester leur problématique au sein même de notre capacité à la réfléchir. Nous sommes capables de comprendre les enjeux de conscience de cette situation malgré le fait que nous ne soyons de loin pas encore allés au bout de la réalisation. Nous sommes les seuls à pouvoir mettre des mots sur leurs maux, sur ce que vivaient les assaillants, sur ce que vivent les djihadistes, sur leurs traumatismes, leurs modes de gestion, leurs manifestations aussi extrêmes qu’elles soient. Des mots qu’ils ne peuvent prononcer ni même penser tellement ils furent et sont terrifiés, des mots qui ne peuvent être exprimés que par notre conscience personnelle.

Pour cela, cessons de protéger, de garder comme des reliques les images idéalisées des parents, des familles, des communautés dont nous avons eu tant besoin durant notre enfance. Regardons en face, le regard plein d’une intégrité retrouvée, les réalités de la vie relationnelle. De manière générale, l’éducation est toujours basée sur la peur, voire la terreur infligée aux enfants. Peur chez l’enfant d’un retournement toujours violent parce qu’incompréhensible. Nous sommes encore réactifs à tous les abandons, reproches et humiliations qui ont détruit l’harmonie de nos futurs, conditionné nos compensations et nos compulsions, structuré nos pensées en autant d’enfermements. Nous devons trouver la force de faire face à notre propre histoire.

Sylvie Vermeulen

 

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