Résumé : Les actes terroristes ravivent en nous des anxiétés issues de notre enfance. Il nous appartient de les accueillir en conscience pour ne pas cautionner des dérives commises « en notre nom » sous couvert de sécurité nationale.
Au lendemain des derniers attentats de Paris, nous avons été nombreux à éprouver un soulagement en entendant le président Hollande déclarer l’état d’urgence et envoyer des avions pour éliminer Daech. Une réponse instinctive fut de nous rassembler derrière le drapeau français et les valeurs de la République, de nous rapprocher de nos dirigeants en quête de rassurance. Tandis que des critiques se font entendre face aux débordements de ce dispositif sécuritaire, sans doute est-il utile d’en rappeler les rouages inconscients.
Consciences « sidérées »
Lorsque nous sommes confrontés à un évènement qui dépasse provisoirement les capacités d’intégration de notre conscience réflexive, un mécanisme de dissociation intervient. Notre cerveau ne peut traiter l’information, ni accueillir les émotions profondes qui l’accompagnent. C’est la fameuse « sidération » souvent évoquée au soir du 13 novembre. Heureusement, le besoin de partager son vécu s’est vite imposé, comme celui d’exprimer son soutien grâce aux réseaux sociaux. Sur Twitter notamment, où le hashtag #PrayForParis a battu un record d’utilisation.
Cette réaction spontanée découle d’une angoisse ravivée par la férocité dont ont fait preuve les assaillants, qui nous enjoint à trouver du réconfort dans le sentiment d’être ensemble autour de quelques symboles forts. Plus qu’en janvier où les attaques visaient des cibles spécifiques, nous nous sommes identifiés aux victimes. Nous aimions la musique qui se jouait au Bataclan ; nous aurions pu être en terrasse, rue de Charonne.
Je vois au moins deux bonnes raisons de dépasser cet élan, bien naturel, pour accepter de pénétrer plus avant dans la compréhension des processus qui engendrent de telles horreurs. Tout d’abord la volonté de ne pas cautionner d’éventuels abus, commis « en notre nom » sous couvert de sécurité nationale. On sait que la France a récemment informé le Conseil de l’Europe qu’elle pourrait enfreindre les droits humains dans sa lutte contre le terrorisme. C’est de nos peurs que se nourriraient ces excès.
Travail sur soi
La seconde raison tient à notre intégrité personnelle, à la nécessité de nous libérer. Nous avons tous été terrorisés par nos éducateurs, mais sommes aujourd’hui dissociés de cette terreur. C’est pourtant elle que réactivent des évènements dramatiques comme ceux du 13 novembre. Faute d’être comprise, la peur s’impose à nous et réclame son lot de rassurance. Mais comment faire ce travail intérieur ?
En accueillant les sentiments qui nous traversent et en les reliant à leur cause première : le retournement violent du parent contre l’enfant. L’incrédulité tout d’abord, fugace mais bien réelle. On ne croit pas que cela soit possible. Il y avait la confiance, une relative sécurité et tout est bouleversé. La terreur prend une réalité particulière au travers de nos sensations corporelles : c’est le cœur qui s’emballe ou une sourde inquiétude dont on ne cerne pas l’origine.
L’émotion nous envahit, compréhensible au regard du drame qui vient de se jouer. Il faut comprendre, mais comment penser l’inconcevable, la haine ainsi manifestée ? La colère est là qui demande réparation pour l’impuissance vécue face à la violence aveugle. L’envie de frapper en retour, de faire mal pour que le Mal s’arrête, de provoquer chez l’agresseur un sursaut d’humanité. Peine perdue. Nous sommes devant le mur de l’inflexibilité parentale. Une sensation d’engourdissement nous submerge, accentuée sans doute par les déclarations péremptoires et l’inlassable rappel des crimes commis.
Dans les semaines suivantes, il se peut que ce cortège d’émotions nous saisisse à nouveau : une tristesse insondable, des accès de colère... et toujours ce sentiment d’impuissance qui donne envie de s’en prendre à l’autre, rageusement. Travailler sur soi permet de réaliser que ce tumulte intérieur est la rançon de longues années d’adaptation à la violence de nos éducateurs, une forme d’inhibition qui permit à l’enfant d’y survivre. Ce que nous éprouvons maintenant, ce sont les remontées émotionnelles de ce combat très inégal, les séquelles encore intactes des attentats commis jadis contre notre intégrité. Ne les laissons pas nous aveugler.
Marc-André Cotton
© M.A. Cotton 12.2015 / regardconscient.net
« Choc des civilisations » ou séquelles d’un rapport destructeur à l’enfant ?
Les récentes tueries de Paris et de Copenhague montrent que les conséquences délétères de la maltraitance doivent être mieux prises en compte dans nos sociétés multiculturelles et faire l’objet de mesures préventives auprès de toutes les communautés concernées.
(04/2015)