Revue PEPS


De la difficulté d’être parents


par Marc-André Cotton


Cet article est paru dans la revue PEPS No 33 (été 2021).

 

 

Résumé : Depuis la parution du Génie de l’être, le livre-testament de Sylvie Vermeulen, de nouvelles clés de compréhension sont accessibles aux personnes désireuses d’accompagner leurs enfants sur un chemin de bienveillance. Quels enjeux de conscience se cachent donc derrière la parentalité ?

 

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Les ressources nous permettant de rester bienveillants existent, en nous et autour de nous : pratiquer le lâcher-prise ou la communication non-violente, mettre en place des temps de jeu-écoute ou de décharge émotionnelle, cultiver notre créativité en famille et j’en passe. Nos connaissances des lois naturelles régissant le développement du bébé et les modalités d’une parentalité proximale progressent elles aussi, ce dont témoigne par exemple l’engouement suscité par les neurosciences affectives.

Mais il n’empêche ! Ces « bonnes pratiques » ne sont pas toujours simples à mettre en œuvre et chaque situation familiale reflète une problématique particulière, difficile à saisir pour les acteurs concernés. Outre un profond sentiment de solitude, il se peut que nous éprouvions des angoisses ou de la colère parce que, souvent à notre insu, ces situations réactivent notre propre impuissance d’enfants. Alors comment y voir plus clair ?


Interactions subtiles

Rappelons tout d’abord que nous sommes tous porteurs d’une histoire, tant personnelle que familiale. C’est une mémoire de vies faites de compromissions, d’adaptations parfois traumatisantes aux injonctions de nos éducateurs, intériorisées d’une génération sur la suivante, d’expériences partagées avec plus ou moins de bonheur. Réaliser la force de ces empreintes en nous est sans doute l’un des grands enjeux de l’existence, et de la parentalité plus encore. Pourquoi cela ?

Parce que les relations parents/enfants sont le siège d’interactions subtiles, dont les tenants et les aboutissants peuvent défier le sens commun. Parfois l’on veut bien faire, mais notre enfant semble au contraire pointer le manque, l’incompétence. La tentation est alors grande de juger son comportement, voire de se retourner contre lui – bref, de ne pas saisir le potentiel de réalisation qui s’offre à nous. Que nous dit-il de son vécu à lui ? De quoi témoigne-t-il qu’il nous est difficile d’entendre ? Et comment nous ouvrir à la justesse de ce qu’il manifeste ?


Merveilleux guide

D’abord en nous souvenant que la joie de vivre et de découvrir caractérise la conscience intuitive de l’enfant, dès sa naissance. Chez lui, c’est un merveilleux guide qui détermine le sens de ses élans vers l’autre et vers le monde. Et nous, adultes, en sommes souvent si loin ! Le simple contact avec la spontanéité d’un jeune enfant peut nous plonger dans la détresse d’avoir dû sacrifier la nôtre aux dictats parentaux, à l’incessant déni de nos propres élans de vie.

Le message est d’autant plus inaudible que nous sommes convaincus de notre légitimité de parents, de la nécessité d’imposer certaines règles par exemple. Quand une confrontation se présente, on peut garder en tête qu’à moins de retrouver cette sensibilité perdue, nous sommes les porte-paroles de nos propres géniteurs, leurs fidèles obligés. Et que la réactivité de notre enfant, plus proche de sa nature profonde, nous montre une voie de sortie.


Une résolution décisive

Sur ce chemin de réconciliation avec nous-mêmes, l’introspection est notre meilleure alliée. Elle nous permet de mettre en cause nos convictions, d’interpeller notre propre vécu – de nous poser des questions ! Il ne faut pas sous-estimer la force résolutive de cet espace de réflexion propre à l’humain, ni craindre l’anxiété que cette perspective peut susciter en nous. Parfois l’écoute d’une personne de confiance se révèle nécessaire. Mais tout cela sur quelles bases ?

Le besoin de comprendre est au cœur même de la nature humaine, celui de se réaliser conscient l’est également. Là encore, l’infinie curiosité de l’enfant peut nous servir d’exemple. À la différence du tout-petit, nous sommes conditionnés par notre éducation, envahis par des peurs qui furent d’abord celles de nos parents. Poser comme base la volonté de retrouver la fluidité de la conscience qui nous anime n’est donc pas chose facile. Et pourtant ! L’introspection permet de discerner le présent du passé, de rendre à nos éducateurs la charge indue qu’ils nous ont fait porter. À condition de consentir à les remettre en cause.


Accueillir nos remontées émotionnelles

Dans les rapports avec nos enfants, il est fréquent que nous soyons saisis par de troublantes sensations, allant de l’anxiété de mal agir à la crainte d’être jugés, en passant par l’urgence à nous faire entendre d’eux. Dans ces cas-là, nous sommes parfois surpris par l’intensité de nos réactions : colères, violences verbales, voire passages à l’acte peuvent être au rendez-vous. La voix est sèche, la chaleur nous monte à la tête, notre rythme cardiaque s’accélère. Autant de signes physiologiques indiquant que nous sommes envahis par ce qu’on nomme une remontée émotionnelle.

Le caractère disproportionné, parfois répétitif, de ces émergences perturbantes peut être révélateur de maltraitances subies, dont la charge resurgit brusquement des tréfonds de notre mémoire traumatique à la faveur d’un déclencheur – souvent le comportement d’un enfant. Prendre un temps de recul pour accueillir nos remontées, verbaliser nos ressentis et laisser s’exprimer l’émotion sous-jacente peut nous permettre de nous en libérer, de restaurer un lien avec lui. Même un très jeune enfant peut d’ailleurs concevoir que son parent soit « pris » dans une souffrance, si l’adulte prend la peine d’expliquer son vécu simplement, sans intention de le lui faire porter.


Le message des remises en scène

On voit donc l’importance de faire une place aux émotions, de mettre des mots sur nos ressentis. Mais pas seulement. Les subtilités de nos interactions engendrent aussi leur lot de remises en scène. Cette expression désigne des circonstances souvent répétitives de la vie familiale, qui renvoient systématiquement à un vécu plus ancien, non reconnu. Des tensions autour du repas par exemple, ou pour l’accès aux écrans. En nous efforçant d’être honnêtes, nous pouvons reconnaître notre responsabilité d’adultes dans le déroulement de telles séquences : un agacement, une rigidité peut-être auxquelles réagissent les enfants.

Comme les remontées émotionnelles, ce sont des manifestations nous indiquant qu’un travail doit être fait « en amont » pour rendre à nos éducateurs des principes éducatifs qui nous ont fait souffrir, et que nous ne souhaitons plus reproduire. Elles impliquent de notre part un positionnement clair face à ce que nous avons subi de nos parents, allant dans le sens du bien-être de nos enfants, de la reconnaissance de leur conscience intuitive. Si l’on peut éviter d’interpréter leurs comportements, comme nous le faisons si fréquemment, la justesse de leurs retours ne manquera pas de nous émerveiller.


L’enjeu de conscience

Chaque configuration familiale est unique, mais les dynamiques qui président à nos prises de conscience se ressemblent : confrontation entre nos attentes et la réalité de l’enfant, réaction de refus, reconnexion possible avec notre propre vécu occulté, et enfin retrouvailles avec la joie de vivre dont nous sommes légataires. Ce que Sylvie nommait le processus de réalisation inhérent à notre nature profonde : « La vie que représente magnifiquement l’enfant propose aux parents de libérer cette tension qui envahit la maison et qui les empêche tous d’être bien ensemble, c’est-à-dire d’être présents, conscients et aimants. » (Le Génie de l’être, p. 78)

Il est alors possible de faire confiance à notre senti, de retrouver la créativité qui fait souvent défaut dans l’apparente dysharmonie – bref, de nous reconnecter au sens. En cherchant sincèrement de quoi une situation conflictuelle me parle, je peux m’en remettre à ce processus et goûter la saveur d’une parentalité consciente.

Marc-André Cotton

 

Des clés pour comprendre et grandir ensemble


 La conscience intuitive détermine la relation naturelle de l’être humain à lui-même et à son environnement. Chez l’enfant, elle est totale, donc fluide et intense.

 Le déclencheur désigne un élément du présent qui précipite un sujet dans son passé, lequel devient prioritaire dans son besoin de prise de conscience.

 L’émotion résulte de l’activité de la conscience humaine en quête de résolution. La gestion de nos émotions implique souvent de se retourner contre un proche, notamment un enfant.

 L’empreinte est un ensemble de perceptions enregistrées par l’infinie sensibilité de l’être dans ses interactions avec sa mère, ses proches, puis son environnement familial et social.

 L’interprétation est une torsion de la réalité posée par les parents ou autres adultes sur les comportements des enfants.

 La mise en cause est une démarche visant à reconnecter la souffrance à sa cause première.

 Le positionnement est une attitude naturelle de l’être humain tendant à préserver son intégrité, à assurer la satisfaction de ses besoins et à établir des relations harmonieuses avec ses semblables.

 Le processus de réalisation est une chronologie du déroulement menant à la prise de conscience, plus largement, la dynamique œuvrant dans ce sens.

 La réactivité de l’enfant est une réponse spontanée à une forme d’agression dirigée contre sa nature.

 La remise en scène est la manifestation d’une problématique individuelle ou collective utilisant le théâtre de l’existence pour son expression.

 La remontée émotionnelle désigne l’agitation qui nous envahit lorsqu’une charge émotionnelle refoulée ressurgit dans le présent à la faveur d’un déclencheur.

(Les expressions ci-dessus sont extraites du Lexique du Génie de l’être, pp. 253-304.)

 

En savoir plus

La parentalité positive culpabilise-t-elle les parents ?
Selon certaines critiques, la bienveillance éducative pourrait conduire à l’épuisement parental en s’imposant comme un nouveau modèle à suivre. Plus vraisemblablement, c’est le manque d’un positionnement libérateur face à leurs propres parents qui menace les jeunes couples désireux de mieux faire avec leurs enfants.
(10/2017)