En France, un déficit record de 12,4 milliards d’euro, prévu pour 2003, menace de banqueroute l’ensemble de l’édifice dit de protection sociale. Dans le même temps, la dette publique a dépassé le seuil critique de 60 % du Produit intérieur brut (PIB), fixé par le traité de Maastricht. Le seul paiement des intérêts de cette dette pourrait bientôt représenter le premier poste du budget de l’État, devant celui de l’Éducation nationale [1].
Ces chiffres traduisent la résistance de la classe politique, toutes tendances confondues, à redistribuer équitablement les fruits de la richesse commune, dans le respect de l’intégrité de chacun. Au nom d’idéologies variables et fluctuantes, nos élus s’acharnent au contraire à sacrifier l’intérêt collectif par fidélité à leurs convictions politiques. Le « contrat social » qui unit le peuple et ses dirigeants est périodiquement remis en cause et semble aujourd’hui sur le point de se rompre, en France comme ailleurs.
Il est d’autant plus urgent d’aborder l’actualité économique dans la perspective de ses enjeux relationnels. Telle que nous la connaissons aujourd’hui, l’économie est une structure collective qui a pour fonction inconsciente le refoulement de nos souffrances. À travers l’aliénation au travail et la consommation compensatoire, les agents économiques s’entendent pour dénier leur dimension d’être humain, au nom, notamment, de l’idéologie du Progrès. Chacun s’imagine pouvoir « fonctionner » à son poste en se coupant de son histoire personnelle, de son vécu émotionnel et affectif, sacrifiant ainsi sa conscience.
Cette schizophrénie collective entraîne la communauté humaine dans une spirale dépressive, dont l’actuelle récession économique est l’un des symptômes. Les sociétés industrielles se sont structurées sur un mode d’organisation – dont l’apogée fut la royauté – dans lequel le Père gère les hommes, les femmes et les enfants comme des propriétés personnelles (page 3). Parce qu’ils refoulent ce pénible héritage, les peuples délèguent à leurs dirigeants la responsabilité de solutionner les problèmes qui découlent de leur attachement à rester aveugle. Ils refusent d’accueillir l’émergence de sentiments profonds issus de l’enfance, notamment les humiliations infligées à l’expression de la souffrance chez l’enfant (page 4). En conséquence de ce refus, et pour tenter d’exorciser leur mal-être, les groupes humains procèdent périodiquement à de douloureux sacrifices expiatoires qui ne font que renforcer le déni collectif de la souffrance et les précipitent vers des mises en actes de plus en plus graves (pages 4 et 5).
Ce sont pourtant dans nos lignées familiales que réside la compréhension du sens de nos comportements présents. L’élite bourgeoise, par exemple, a édifié une structure complexe de refoulement de sa souffrance sur la base du déni de l’intégrité de ses enfants (page 6). Elle s’est imposée en modèle social de réussite pour masquer la profondeur de son vécu refoulé et la dangerosité de ses rejouements (page 8). Devant l’inconscience de nos représentants politiques et économiques, il nous appartient de mettre à jour le mensonge que constituent les doctrines économiques. Il nous revient d’accueillir notre propre histoire refoulée et celle de nos familles, libérant ainsi l’avenir du poids de notre passé.
M.Co.
[1] Lire Le Canard Enchaîné, 03.09.2003.