Dès lors, ils créent une situation qui réactive en eux les sentiments d’impuissance, de révolte, de colère, d’injustice, d’impatience qui colonisent leur présent. Dans ce contexte, la démocratie est interactive. Elle permet au peuple de se déresponsabiliser de son inconscience tout en devenant la bonne conscience d’une élite qui jongle avec l’humanisme pour conserver les rassurances que lui procure le Pouvoir. Il faut comprendre l’extrême importance qu’ont ces rassurances pour l’équilibre de son édifice psychologique. À la simple pensée d’en être privées, ses membres se sentent anéantis. L’ingéniosité et les monstruosités que ces derniers mettent en oeuvre pour conserver leurs compensations montrent l’emprise du piège relationnel dans lequel ils ont été enfermés, enfant, jusqu’à complète identification.
Responsabilité commune
Les dirigeants sont terrifiés par la puissance d’une vie qui les invite constamment à réaliser la teneur dramatique de leur histoire personnelle. Ils s’accrochent, avec la volonté du désespoir, à leur construction névrotique, car ils savent inconsciemment qu’elle est le seul édifice encore capable de maintenir refoulées leurs souffrances. Cette terreur nourrit leur refus de faire des liens de causes à effets entre l’exercice du Pouvoir, ce qu’ils ont vécu et la folie dans laquelle ils s’exécutent. C’est pourquoi ils vulgarisent à grands frais leur propre modèle fantasmatique du « bonheur ». Mais tous les adultes ont une responsabilité dans cette situation, car au lieu d’accueillir et d’écouter celui qui prétend être au-dessus des autres (celui qui brandit son statut social comme une valeur supérieure à la qualité d’être humain), bon nombre d’entre eux l’envient pour ses possessions, l’imitent pour ses manières, et les autres « changent de trottoir ». Ainsi, l’ensemble de la population conserve son support préféré, coupable de tous ses maux.
L’enjeu du rejouement
Le pouvoir est l’oeuvre de notre conscience. Il est engendré par le processus de libération de notre inconscient. Il gère nos rejouements et sa légitimité est déterminée par sa raison d’être. Les représentants du Pouvoir, qu’ils soient religieux, politiques ou économiques, installent leur hégémonie sur la capacité qu’a l’Homme de rejouer ses traumatismes. Leurs privilèges dépendent de l’usurpation qu’ils opèrent sur l’enjeu du rejouement. L’éducation est la forme la plus raffinée de la manipulation de cet enjeu. Plus l’enfant est déconnecté de sa réalité par les exigences des adultes et plus il est susceptible de devenir un bon représentant du pouvoir et un bon citoyen, aveugles, soumis et raisonnables. En conséquence, nos représentants ont perdu leur humanité pour avoir mis leur vitalité au service de cette représentation coupée de son sens. Ils ressassent les croyances, les règles, les lois, les valeurs, les calculs de leur classe sociale et luttent contre tout ce qui menace leur mise en scène, trouvant plus de sécurité dans la fabrication de clones humains que dans la fécondité de la vie. Ils justifient les guerres économiques au nom de leurs principes et exécutent périodiquement l’espoir de vivre un jour pleinement conscient et donc libre d’un passé totalement révélé.
L’économie libérale
Au World Economic Forum (WEF) réunit annuellement à Davos (Suisse), les représentants de l’économie mondiale peaufinent l’esprit du Pouvoir. Ils réajustent leur vision commune en fonction des évènements présents et la présente comme une avancée extraordinaire qui va permettre à tous d’être heureux.
Le maître à penser du WEF, le professeur Klaus Schwab, fils de pasteur, rappelle le lien familial : « Nous sommes tous membres d’une communauté de destin » (1). Puis il scande les nécessités du jour : « Il faut se concerter et définir avec le plus grand nombre de pays démocratiques des standards avec une forte légitimité. Il faut s’engager plus avant et définir des objectifs et des moyens d’action pour les atteindre » et présente la nouvelle uvre caritative intitulée « Global Health ».
Fidèle reflet de son propre père, son rôle est, comme il le dit lui-même, celui du pasteur au temple le dimanche : « Je parle avec ces dirigeants de bonne gouvernance, de responsabilité sociale et de citoyenneté de l’entreprise. » Ce paternalisme est essentiel car il encourage la poursuite sur la voie de l’économie libérale. Il canalise et unit ses représentants en réaffirmant les caractéristiques de leur rôle. Il s’agit en fait de stabiliser les rejouements, c’est-à-dire de les rendre inopérants pour la conscience mais rentables pour le commerce.
Les mondialistes de l’économie occidentale prétendent pouvoir compenser l’ultime sacrifice de chaque acteur de leur réussite: le sacrifice de sa conscience. Il est donc impératif que chacun croie que la société impose un équilibre salvateur et assure le bonheur au plus grand nombre. Celle-ci prétend même aujourd’hui pouvoir l’assurer à tous dans le cadre extrêmement réduit de l’épanouissement personnel à l’école puis dans le travail, de l’abondance des possessions matérielles et de la diversité des loisirs, ce qui manifeste un profond mépris de la nature humaine.
Impératifs névrotiques
Les grands patrons ignorent royalement l’ampleur de leur inconscience et ne connaissent la situation internationale qu’en fonction de leurs impératifs névrotiques. Pour éviter le « coup fatal » de la prise de conscience, ils se sermonnent eux-mêmes, évitant ainsi toutes les propositions de remise en cause. À Davos, cette année, il a fallu la présence de quarante chefs religieux pour assurer l’engagement des chefs d’entreprises dans la résolution des grands problèmes sociaux de notre temps : « Un mouvement massif pour s’assurer qu’il sera bien question de morale cette année. Il y va de l’intégrité personnelle des dirigeants. » À quand les quarante psychothérapeutes pour assurer les prises de conscience ?
Sylvie Vermeulen
© S. Vermeulen 09.2003 / www.regardconscient.net
Note :
(1) Interviewé par Stéphane Benoît-Godet, « Nous avons tous été victimes d’une euphorie coupable », Le Temps, 23.01.2003.