Édito No 15 (avril 2004)

L’enjeu de la parole

par l’équipe de rédaction

D’après une étude réalisée par le Program on International Policy Attitudes (PIPA) de l’université du Maryland, les Américains avaient au moins trois convictions erronées justifiant à leurs yeux la guerre contre l’Irak : 48 % croyaient que ce régime était lié à Al-Qaida, 22 % pensaient qu’on y avait trouvé des armes de destruction massive, enfin, 25 % d’entre eux étaient sûrs que l’opinion mondiale approuvait cette guerre. Mais leur opinion variait en fonction de leurs sources d’information. Parmi les téléspectateurs de la chaîne commerciale et patriotique Fox News, 80 % des personnes interrogées partageaient au moins l’une de ces trois convictions, contre 23 % pour les téléspectateurs du Public Broadcasting Service (PBS), la chaîne de télévision publique américaine. Dans la première catégorie, celles qui regardaient le plus les informations télévisées confirmaient davantage leur soutien à la guerre [1].

Si des informations tendancieuses possèdent un tel pouvoir de fascination et de persuasion, ce n’est pourtant pas du seul fait d’une propagande efficacement orchestrée. Dans un contexte où les protagonistes ignorent les dynamiques qui régissent la vie et les poussent à remettre en scène les causes de leurs souffrances, les stratèges américains font à leur niveau ce que font la plupart des adultes : diviser et opposer. La vérité et le mensonge, le bien et le mal ; cette vision duelle de la vie est le résultat d’une sélection qui attribue à deux niveaux différents de discours une équivalence dont l’enjeu est l’exercice du pouvoir.

Les adultes interprètent faussement le comportement des enfants parce qu’ils ne voient pas en eux l’expression de la conscience. Ils refusent de reconnaître les liens existant entre la violence des passages à l’acte et celle qui est à l’origine de la soumission de leurs auteurs à l’ordre du père (page 2). En conséquence, désigner le régime irakien comme le Mal et prétendre que la guerre était inévitable s’inscrivait précisément dans le cadre de la violence éducative perpétrée dans la famille. Chacun pouvait retrouver dans ce discours une logique parentale construite sur des convictions erronées et subies dans l’enfance (page 3).

En s’enfermant dans des valeurs et des croyances bâties sur leur vécu refoulé, les adultes perturbent chez l’enfant le développement d’un langage harmonieux qui révèle la sensibilité et la conscience en chaque être humain (pages 4 et 5). Ainsi en va-t-il des « caprices » que l’on attribue fréquemment aux tous petits et qui dissimulent en réalité l’incapacité de l’adulte à accueillir la vérité de l’enfant. Celui-ci enregistre douloureusement que seule la soumission aux raisonnements de ses parents lui donne une existence relationnelle. L’être humain naît avec les facultés lui permettant la reconnaissance et l’exercice de la conscience (page 7). Mais les hommes, effrayés par leurs passages à l’acte, consacrent leur énergie à tenter d’en maîtriser les conséquences, au lieu d’accueillir leur vécu refoulé et de s’en libérer.

L’équipe de rédaction

[1] Steven Kull, Clay Ramsay and Evan Lewis, “Misperceptions, The Media and the Iraq War”, Political Science Quarterly, Vol. 118, No 4, Winter 2003/2004, pp. 569-598.


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