D’après un récent sondage du magazine scientifique Nature, « l’idée que la main d’un créateur a façonné le cours de l’évolution » serait bien implantée sur les campus américains. Plus des trois quarts des étudiants interrogés avant leur entrée à l’université seraient convaincus que « Dieu » est pour quelque chose dans l’origine de l’homme et de la vie. Nombre de responsables républicains, dont le président George W. Bush, estiment même que le concept d’« intelligent design » – version moderne du créationnisme opposé à la théorie darwinienne de l’évolution – devrait être enseignée dans les écoles publiques [1].
Le débat idéologique suscité par ces prises de position permet d’éluder la question du sens que devrait avoir l’enseignement prodigué par l’école. Les tenants d’une instruction strictement laïque estiment que cette dernière doit se contenter de transmettre des connaissances dites objectives et fustigent la subjectivité humaine au nom de manifestations extrêmes dont ils ignorent les causes. De leur côté, les croyants sont convaincus que leur foi donne du sens à leur existence et redoutent les questionnements que provoquent les disciplines scientifiques dans l’esprit de leurs enfants.
Pourtant, si l’institution scolaire ne parvient pas à nommer le sens des connaissances qu’elle enseigne, ce n’est pas parce que les références religieuses des livres de classe ont été remplacées par celles de l’évolutionnisme darwinien. Pour se connecter à cette réalité, il faudrait qu’elle reconnaisse chez les jeunes l’expression de leur conscience spontanée et en respecte le processus de réalisation. Cet état d’esprit impliquerait que les enseignants prennent en compte l’histoire personnelle des enfants, le rapport relationnel douloureux qui leur fut imposé dès leurs premières années et les traumatismes qui en ont découlé, afin de mettre à jour les schémas comportementaux dans lesquels l’aveuglement parental les a enfermés (page 3).
Au lieu de cela, l’école justifie d’imposer à l’enfant un rapport de pouvoir qui découle d’une croyance collective en la mauvaise nature de l’homme. Terrifiés à l’idée de remettre en cause cette pensée, les enseignants maltraitent la sensibilité de l’enfant avec la conviction d’agir « pour son bien » (page 6). Dans le secondaire par exemple, le cadre ritualisé d’un conseil de classe manifeste la manière dont les adultes justifient de reproduire sur les jeunes les violences psychologiques qu’ils ont eux-mêmes subies de la part de leurs éducateurs. Impuissants à saisir le sens des comportements de leurs élèves, ils verrouillent toute possibilité de remise en cause et participent à la distribution des rôles sociaux en dépit de leurs idéaux affichés (pages 4 et 5).
Pour retrouver l’exercice de leur conscience, les jeunes auraient besoin d’entendre des adultes reconnaître les maltraitances qui leur sont infligées au nom même de leur éducation (page 8). Ils comprendraient alors qu’ils peuvent rompre la chaîne de répétition de la violence en s’interrogeant sur leur propre vécu éducatif. Peu à peu, ils s’approprieraient le sens de leur histoire personnelle et familiale, ce qui leur restituerait un sentiment d’intégrité qu’aucune idéologie ne pourrait plus dénaturer.
M.Co.
[1] « Une thèse qui séduit les étudiants », Courrier international No 761, 02.06.2005.