L’homme rejoue son histoire dans le but d’exercer librement sa conscience. Il ne peut donc pas mettre en pratique des idéaux fondés sur le déni de cette nature consciente qui plébiscitent le refoulement des souffrances, sans chercher à manifester les causes et les conséquences de ce déni. Dans le premier article de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, il est écrit : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Par nature, les enfants naissent « libres et égaux » : libres parce qu’ils ne sont pas encore entravés par les empreintes traumatiques de l’éducation et égaux parce qu’ils jouissent tous des mêmes facultés humaines. Mais les parents ne reconnaissent pas ces dernières comme étant les fidèles intermédiaires de leur propre aptitude à se réaliser. Ils ordonnent à l’enfant de les dominer et de les exploiter pour se soumettre à leurs exigences. À l’école, l’enfant n’a plus la possibilité de s’exprimer librement puisque son jugement personnel a été saboté lorsqu’il prit position face aux comportements névrotiques de ses parents. Au lieu de concourir à la libération de cette expression en participant à la mise à jour des causes de sa répression, les enseignants entérinent le rapport de domination, notamment en introduisant la notion de droit qui n’a été érigée que sur les conséquences extrêmes de ce rapport.
Respecter les convenances
Le massacre de la conscience de l’enfant engendre des comportements qui servent de prétexte à la construction de ces idéaux. L’éducation que celui-ci subit est d’abord la connaissance des usages du monde névrotique et des égards que les hommes s’imposent en société. L’apprentissage de ce « savoir-vivre » se construit sur l’humiliation faite à la méconnaissance qu’a l’enfant de la gestion des névroses individuelle et collective, qu’il découvre à ses dépends. Il doit respecter les convenances liées à la structuration de cette gestion d’adultes, et ceci au détriment de l’expression de sa nature humaine spontanée : non accueil et répression de ses pleurs, de sa colère, de sa sincérité, de sa vérité et de ses refus ; déconnection de leurs causes réelles et donc mépris de l’existence des chaînes de causalité ; récupération de sa joie de vivre au profit de la société de consommation ; répression de ses tentatives de nommer autre chose que ce que l’on veut l’entendre dire. Dans ce contexte, l’enfant doit acquérir une « culture générale » faite de mensonges, puisque celle-ci a été bâtie sur des rapports humains humiliant la nature de l’être, notamment par la valorisation des handicaps relationnels que sont la domination de soi, la compétition et la concurrence. Le concept d’égalité des chances défie alors toute logique.
Gestion de la névrose collective
La première tâche assignée aux enseignants de la République est donc d’insuffler un rapport hiérarchique au sein des nouvelles générations, sur le modèle de celui auquel ils se soumettent eux-mêmes. Ce rapport, qui contraint les relations humaines, ne peut être éliminé, tout au plus supplanté par un autre, car sa raison d’être est la gestion de la névrose collective. Cette dernière nécessite pouvoir et maîtrise. Mais par une torsion de sens, les adultes, terrorisés par l’idée même de changement, imposent cette nécessité à l’enfant sur la base de l’interprétation qu’ils font de son comportement. Ils ont peur de reconnaître que l’être humain naît conscient, aimant et responsable, et que c’est l’adaptation aux rapports subis dans l’enfance qui dicte leurs comportements d’adulte. Ce sont ces comportements qui, dans l’attente d’une résolution, nécessitent pouvoir et maîtrise.
Prenant la relève des parents, les enseignants présentent aux enfants le rapport de pouvoir comme inhérent à la communauté humaine par le simple fait que la structure hiérarchique est posée depuis des siècles comme un tronc commun à l’ensemble des relations. Ainsi, ils scellent l’interdit de réaliser que la structure hiérarchique est la conséquence de la croyance en une mauvaise nature qui serait inhérente à l’homme.
Programmation relationnelle
Convaincus de leur mauvaise nature et donc de la nécessité d’une autodiscipline subordonnée à l’ordre établi, les enseignants maltraitent la sensibilité consciente des enfants tout en croyant agir pour leur bien. Terrifiés à l’idée même de se pencher sur ce que cache ce concept, ils s’accrochent plus encore à leur propre adaptation. Dès lors, beaucoup d’entre eux militent aux côtés des industriels pour que l’apprentissage scolaire commence dès deux ans sous un prétexte fallacieux de socialisation.
La programmation relationnelle préscolaire impose à l’enfant d’obéir à ses parents afin qu’il accepte aisément les consignes de la maîtresse, malgré un sentiment profond d’insécurité. De la soumission de l’enfant dépend le maintien de l’ordre social à venir.
Mais l’enseignant obéit à un ordre qui n’est pas celui du sens de la Vie. Il suit les consignes qui ordonnent de ne pas prendre en compte l’histoire de chacun et ses conséquences, un ensemble constitué des souffrances refoulées, des handicaps relationnels occasionnés, des chaînes de causalité déconnectées des agissements présents et de leurs conséquences, par exemple la traumatisante adaptation que l’enfant dut opérer s’il fut livré à la crèche. L’enseignant sabote ainsi le temps dont l’enfant a besoin pour nommer précisément ce qu’il vit ou ce qui l’entrave. La découverte du monde est alors réduite à un produit de consommation nommé instruction, avec pour conséquence de privilégier la gestion des souffrances au détriment de leur résolution.
Nommer le monde
L’enfant a besoin de la présence consciente de sa mère et de son père pour rester dans la joie de la découverte et dans la sécurité d’une paix intérieure qui, vécue par ceux qui l’entourent, assure la jouissance d’être ensemble. Comme c’est rarement le cas, il serait alors impératif que l’enfant jouisse à l’école d’un climat relationnel basé sur la confiance, la sécurité et le respect de sa condition d’être conscient. Mais les enseignants ignorent leur capacité à accueillir ce que vit l’enfant et à satisfaire ses besoins réels. Ceci justifie qu’ils continuent à canaliser sévèrement le langage de l’enfant, bien que celui-ci soit entièrement consacré à la réalisation de sa conscience.
Au lieu de nommer le monde infini de la sensibilité humaine en constante interaction avec son environnement, les adultes utilisent les mots pour l’emmurer vivante dans un corps qui en devient malade. Chaque mot porte l’interdit de nommer en vérité. Les adultes se réservent le droit de desserrer leur emprise psychologique pourvu que cet acte soit vécu par l’enfant avec soumission et reconnaissance, puisqu’il n’est pas question que celui-ci les remettre en cause.
L’enseignant responsable
L’implication de l’enfant dans la gestion névrotique parentale et sociale est un drame humain et c’est pourquoi l’enseignant responsable, porté à transmettre son savoir, ose se remettre en cause. Il accepte de reconnaître que ses propres tensions influent sur l’ambiance de la classe, que le ton de sa voix peut paralyser, terroriser et humilier, que ses colères scandalisent les enfants et qu’il rejoue avec son administration et avec «ses élèves» la base relationnelle que ses parents ont établie avec lui. Il reconnaît les artifices utilisés pour que les enfants acceptent la situation scolaire et se mettent au service des exigences du pouvoir. Il réalise que tous ses collègues sont pris dans des schémas comportementaux similaires qu’ils justifient de la même façon.
En revendiquant des droits pour solutionner les conséquences d’un rapport relationnel dramatique, les gens compensent le manque de reconnaissance de l’inhérence de leur conscience. Ils luttent contre « le manque de liberté » sans réaliser qu’ils refoulent alors un manque d’une autre nature: celui de la libre expression de cette conscience. Ils font de même avec « le manque d’égalité », pour refouler l’insécurité qu’engendre la perte du sentiment d’être ensemble.
Sylvie Vermeulen
© S. Vermeulen 09.2005 / www.regardconscient.net
Lien rompu
La fondation Avenir Suisse, un groupe de pression néolibéral créé par quatorze multinationales suisses, veut imposer la journée continue à l’école. Selon l’auteur du « guide » qu’elle a édité et envoyé à quelque 2800 communes suisses, la formule « présente tellement d’avantages que ce modèle devrait devenir la règle. » (ATS, 5.7.05) La « journée continue de l’écolier » implique une prise en charge globale des enfants dès 7h00 du matin, incluant le repas de midi et les activités parascolaires, « permettant de mieux concilier vie professionnelle des parents et épanouissement des enfants. » (Hebdo, 15.9.05)
Derrière un positivisme trompeur, les milieux économiques recherchent la disponibilité totale des « salariés » et l’implication des nouvelles générations par la manipulation des souffrances que provoque la rupture du lien entre l’enfant et ses parents. Le lien est porteur du sens de l’existence de l’enfant. Sans une confirmation constante de ce sens, ce dernier est livré à ce qu’il y a de plus performant aujourd’hui en matière de gestion de la névrose collective: les démocraties capitalistes.
Quand l’enfant naît, ses jeunes parents ont un problème de conscience. Ils ne sont pas libérés de leur aveuglement et sont donc terrorisés à l’idée de mal faire. Dans son discours, la fondation Avenir Suisse canalise cette culpabilité en posant les parents comme victimes d’une surcharge d’activités. Elle semble ne pas les condamner, mais c’est pourtant sur la peur que suscite sa condamnation implicite des comportements parentaux qu’elle espère imposer un modèle de société favorable aux intérêts économiques de ses promoteurs.
S. V.