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Calvaire démocratique

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 18 (novembre 2004)


Résumé : Les marchandages qui ont entouré l’adoption du projet suisse de congé maternité montrent le mépris des milieux politiques pour les besoins naturels et légitimes des enfants.


Lors des votations du 26 septembre dernier, la Suisse a adopté, à une courte majorité, des dispositions législatives permettant le financement d’un congé maternité de 14 semaines pour les femmes salariées. Il aura fallu près de soixante ans pour que le principe d’une « assurance maternité » - pourtant inscrit dans la Constitution helvétique depuis 1945 - trouve une issue acceptable auprès des partenaires sociaux, après trois échecs successifs en votation populaire. Qualifié de « politiquement viable » (Le Temps, 27.09.2004), ce projet minimaliste permettra aux entreprises d’économiser environ 100 millions de francs par an, en reportant la moitié des cotisations sur l’ensemble des travailleurs.


Femmes « actives »

Le congé maternité suisse n’est donc pas, loin s’en faut, le fruit d’une reconnaissance de l’importance, pour l’enfant, d’une relation pleine et entière avec sa mère. Pour les décideurs économiques, il doit au contraire permettre « d’accroître encore la participation des femmes à la vie active » (L’Hebdo, 26.08.2004) afin d’assurer la croissance économique et le financement des institutions sociales. Dans cette logique productiviste, le congé maternité devrait favoriser la reprise d’une activité professionnelle, 41% des femmes renonçant actuellement à travailler après une première naissance et 60% après une seconde, et donc inciter plus efficacement les mères à se séparer de leurs enfants. À Genève, les milieux patronaux ont d’ailleurs clairement fait savoir que la loi cantonale, qui comprend déjà 16 semaines d’indemnisation, devrait être alignée à la baisse sur la législation nationale (Le Courrier, 27.09.2004). Cet attentisme politique hypocrite et revanchard impose un calvaire aux nourrissons qui, placés et gardés dans des conditions de stress incompatibles avec leur épanouissement, font les frais de l’inconscience parentale et sociale.


Campagne

La détresse du bébé est détournée de son sens pour servir le jeu de tergiversations politiques incompatibles avec l’épanouissement de l’enfant.

(Affiche de votation populaire, 26.09.2004)


Séparation maternelle

Aujourd’hui, de nombreuses études démontrent, si besoin est, que les souffrances relationnelles précoces altèrent gravement les facultés naturelles de l’enfant à être en lien avec son environnement social. D’après la psychothérapeute Sue Gerhardt, les nourrissons ne peuvent faire face à une séparation maternelle sans voir leur équilibre émotionnel perturbé. « Les études les plus catégoriques, dit-elle, prouvent que les enfants placés en crèche à temps plein au cours des deux premières années de leur vie ont plus tard des problèmes de comportement. Ils manifestent de l’agressivité à l’égard des autres enfants, sont moins coopératifs et plus intolérants face aux contrariétés. » (1) Ce dont ces enfants ont manqué, c’est de la présence de mères disponibles, qui les allaitent sans retenue, les prennent dans leurs bras et les regardent avec amour. Au lieu de cela, ils furent confiés à des prestataires de services, pour lesquelles ils n’étaient guère que des nourrissons parmi d’autres, et durent refouler l’indicible souffrance de perdre – même temporairement – le lien affectif le plus essentiel.

Ces vérités ne sont pas celles que de nombreux parents ou responsables politiques voudraient entendre, car elles font resurgir la détresse d’avoir eux-mêmes vécu ce calvaire et dû refouler les conséquences d’une relation défaillante de la mère.

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 11.2004 / www.regardconscient.net

Note :

(1) Sue Gerhart, Cradle of civilisation, The Guardian, 24.07.2004. Sue Gerhart est l’auteure du livre Why Love Matters: How Affection Shapes a Baby’s Brain, Brunner-Routledge, 2004.