Résumé : Mary Ann MacLeod, mère de Donald Trump, était une immigrante qui fuyait la misère de son écosse natale. Sa folie des grandeurs compensait une enfance marquée par l’isolement, les privations et la morosité. Une incursion dans le vécu occulté de la lignée maternelle du 45e président américain.
Donald Trump s’est toujours montré discret sur la personnalité de sa mère au point que des observateurs en parlent comme d’un « mystère ». En arrivant à la Maison-Blanche, c’est une photo de son père, Fred Trump, que le nouvel élu installe derrière le bureau présidentiel en mémoire de l’impact du dressage paternel sur son parcours de vie. Mary Ann Trump, au contraire, fait figure de fantôme dans ses dossiers publics une absence remarquée qu’un proche résume ainsi : « Donald était en admiration devant son père et très détaché de sa mère[1] ».
Cette ostensible indifférence est en elle-même révélatrice : n’est-ce pas d’abord dans la relation maternelle que le tout jeune enfant devrait éprouver la confiance et l’empathie lui permettant de cheminer sereinement par la suite ? S’agissant de Donald Trump, y aurait-il là un mobile à sa quête dévorante de reconnaissance, à l’expression tonitruante de ses frustrations ?
Le flambeur le plus célèbre de Manhattan
Mary Ann Trump dut sans doute se poser ces questions. En 1990, comme ce quarantenaire faisait la une des tabloïds en compagnie de sa dernière conquête, la jeune mannequin Marla Maples, elle s’en ouvrit à sa belle-fille, Ivana Trump, dont elle tenait trois petits-enfants : « Quel genre de fils est-ce que j’ai fabriqué ? » À l’époque, le Wall Street Journal estimait à 600 millions de dollars les dettes de Donald Trump, devenu en une dizaine d’années le flambeur le plus célèbre de Manhattan[1].
Issue d’une famille pauvre du Nord-Ouest de l’Écosse et le produit d’une stricte éducation presbytérienne, Mary Ann MacLeod avait débarqué seule à New York en février 1930, en quête d’une meilleure existence, avant d’épouser le promoteur immobilier Fred Trump dont elle partageait depuis le fastueux train de vie. Son penchant prononcé pour le luxe elle conduisait une Rolls-Royce rose à ses galas de charité semblait devoir compenser une enfance marquée par l’isolement, les privations et la morosité (fig. 1).
Fig. 1 : Une enfance marquée par l’isolement et les privations. Ici une famille de crofters sur l’île de Lewis au Nord-Ouest de l’Ecosse, vers 1920. (© BBC)
Une mère stricte et distante
« Je me souviens encore de ma mère, confirmera Trump dans une autobiographie, assise devant le poste de télévision à regarder le couronnement de la reine Elisabeth [en 1953] sans bouger de toute la journée. Elle était fascinée par le cérémonial, toute cette histoire de royauté et de glamour[2]. » Donald avait alors sept ans. Ses amis décrivent une femme stricte et distante, entièrement absorbée par ses œuvres de bienfaisance et rarement en interaction avec ses cinq enfants. « On voyait plus souvent la bonne ! » rapporte ainsi l’un d’eux[4].
Quatrième de sa fratrie, le jeune garçon a-t-il joui d’une relation intime avec sa mère et développé un sentiment de sécurité affective autour d’elle ? Sans doute pas et certains pensent que ses colères et ses fanfaronnades viennent de là : le manque d’une présence maternelle aimante et bienveillante. « Votre mère vous aide à identifier vos émotions et à développer une structure cognitive qui vous évite d’y réagir immédiatement, explique ainsi une thérapeute. Il est raisonnable de penser que la capacité d’empathie se développe dans la relation maternelle[5]. » Dans la bienveillance paternelle, pourrait-on rajouter.
Le sens du spectacle
Inversement et d’un commun accord, les parents Trump ont rejoué sur leurs enfants les rigueurs de leur propre éducation : les obligations qu’ils imposaient interdisaient toute expression émotionnelle. Le père ne pensait qu’à son travail, la mère s’épuisait en mondanités malgré une santé fragile. Après la naissance de leur cinquième enfant, Mary Ann subit une hystérectomie et des opérations successives qui manquèrent l’emporter. « Mon père rentra à la maison et me dit qu’on ne s’attendait pas à ce qu’elle vive, rapportera leur fille aînée, mais qu’il fallait me rendre à l’école et qu’il m’appellerait en cas d’évolution. C’est cela à l’école comme si de rien n’était[6] ! »
Cet épisode tragique, sur lequel il n’a jamais mis de mots, n’a pas manqué d’impacter le jeune Donald tout juste âgé de deux ans. Si sa mère s’est progressivement rétablie, elle reprendra son activisme et organisera désormais de grandes fêtes autour d’elle. « Après coup, j’ai réalisé avoir hérité de son goût pour la mise en scène, écrira l’intéressé. Elle a toujours eu le sens du spectacle et la folie des grandeurs[7]. » La cécité émotionnelle de son entourage le conduira à travestir pareillement l’expression de sa vie affective et relationnelle (fig. 2).
Fig. 2 : Donald Trump dit avoir hérité de sa mère son goût pour la mise en scène. (© Marina Garnier/NYP Holdings, Inc. via Getty)
Des conditions de vie misérables
Mais quel passé Mary Ann Trump tenait-elle à distance derrière cette opulence ostentatoire et ces mondanités ? Née en 1912, elle était la dernière d’une famille de dix enfants établie depuis des générations sur l’île de Lewis, tout au nord de l’Écosse. Les parents furent des crofters de petits agriculteurs qui cultivaient une maigre terre de location. Son père passait beaucoup de temps en mer, le reste de leurs revenus provenant de la vente de tourbe et d’algues dont on faisait de la potasse[8].
Les conditions de vie y étaient misérables. Sur cette terre aride et désolée, battue par les vents, le moindre tronc flottant constituait un trésor dont les habitants se servaient pour soutenir leur toit de chaume. Les maisons abritaient hommes et bêtes dans une même pièce, avec des portes si basses qu’il fallait ramper pour en sortir ; il n’était pas inhabituel que six personnes dorment dans un même lit[9]. Beaucoup ont émigré au Canada au cours du XIXe siècle, puis vers New York après la Première Guerre mondiale.
« Je vais vous évincer ! »
L’île de Lewis appartenait depuis des siècles à des seigneurs anglais ou écossais. Ses habitants étaient réduits en servitude par des métayers despotiques. Pour la moindre désobéissance, ces derniers leur lançaient : « Je vais vous évincer ! » et cette menace pesait constamment sur les familles. En cas d’éviction, elles prenaient leurs maigres possessions sur le dos et marchaient vers une nouvelle terre : tout était à reconstruire[10].
La famille maternelle de Mary Ann fut ainsi expulsée en 1826[11]. En 1844, l’île fut rachetée par un baron de l’opium, James Matheson, qui y fit rapidement construire un château. Il procéda lui aussi à l’éviction de milliers de crofters pour transformer leurs terres en fermes à moutons ou en réserve de chasse. À Lewis, on se souvient encore des pleurs des enfants que ses hommes de main forçaient à quitter leur demeure[12]. Les autochtones étaient si mécontents que plusieurs révoltes éclatèrent jusqu’en 1920.
Rêve d’ascension sociale
On peut donc se demander quelle mémoire traumatique, quel passé non résolu la mère de Donald Trump a emporté en Amérique quelques années plus tard. La première chose qui vient à l’esprit, c’est l’empreinte d’une extrême insécurité économique. En épousant Fred Trump, en 1936, elle devait prendre une revanche sur cette pauvreté et vivrait désormais dans un luxe inouï. C’était une obsession que son second fils exhiberait à l’extrême : accumuler toujours plus de richesses, compulsivement.
Un autre aspect réside dans le conflit de classe. Pendant des siècles, les habitants de Lewis ont été asservis par les seigneurs locaux. Les enfants MacLeod furent mis au travail dès leur plus jeune âge et c’est comme domestique que Mary Ann débarqua à New York. De son village natal, elle voyait le château du baron Matheson et rêvait d’accéder à cette classe bourgeoise qui se permettait tout. D’où cette aspiration maladive à l’ascension sociale, cette soif de pouvoir qu’incarne aujourd’hui Donald Trump (fig. 3).
Fig. 3 : Donald Trump incarne désormais le baron qui fascinait sa mère. Ici avec sa femme Melania et leur fils Barron dans leur suite du 68e étage (entendez le 58e !) de la Trump Tower. (© Regine Mahaux/Getty Images)
Devenir le baron qui fascinait sa mère
Un troisième point réside dans le conflit de terre. L’île de Lewis était propriété d’un baron de l’opium, le sol hors de portée depuis des siècles et les familles régulièrement expulsées. En épousant un promoteur immobilier, Mary Ann MacLeod passait de l’autre côté du miroir. Son fils Donald, qui rêvait de conquérir l’île de Manhattan, incarnerait ce baron tout puissant dont le seul nom ferait trembler New York. Il construirait en hauteur en prétendant que ses immeubles sont plus hauts que la réalité, comme s’il cherchait compulsivement une solution au conflit de terre que connurent ses ancêtres. Ainsi, la Trump Tower a 58 étages, mais la suite habitée par Trump est au 68e. Il en va de même pour la Trump World Tower, 70 étages réels contre 90 prétendus, et pour d’autres constructions.
La gestion de cette mémoire traumatique implique de multiples remises en scène souvent douloureuses. Pendant des années, Donald Trump a animé un reality show très populaire aux États-Unis, The Apprentice, dans lequel les candidats étaient invariablement congédiés par cette fameuse phrase : « You are fired ! » Vous êtes virés ! Une expression qui ramène à la menace des paysans de Lewis vivant constamment dans la peur d’être évincés. Trump incarne désormais le baron qui fascinait tant sa mère : c’est lui qui menace, c’est lui qui évince. À la télévision, comme dans les affaires. Aujourd’hui, à défaut d’avoir résolu ce douloureux héritage, il le manifeste ouvertement sur la scène internationale.
Marc-André Cotton
© M.A. Cotton – 08.2018 / regardconscient.net
Conférence : Trump et nous, une approche psychohistorique
La personnalité de Trump irrite ou fascine, son caractère imprévisible génère l’anxiété. Peut-on comprendre ce qui le motive sur un plan personnel et les réactions qu’il suscite en nous ? Y a-t-il des raisons à son irascibilité ? En revenant sur son histoire, nous verrons l’importance des traumatismes de l’enfance et le poids des héritages familiaux. Nous tenterons de comprendre les origines profondes de sa misogynie et de son inextinguible quête de pouvoir.
(04/2018)
Notes :
[1] Cité par Michael Kruse, “The Mystery of Mary Trump”, Politico Magazine, November/December 2017,
[2] Marie Brenner, “After the Gold Rush”, Vanity Fair, 01.02.1990.
[3] Donald Trump, The Art of the Deal, Ballantine Books, 1987, p. 80.
[4] Lou Droesch, interviewé par Michael Kruse, op. cit.
[5] Prudence Gourguechon, interviewée par Michael Kruse, op. cit.
[6] MaryAnn Trump, interviewée par Gwenda Blair, The Trumps, Three Generation That Built An Empire, Simon & Schuster, 2000, p. 227.
[7] Donald Trump, The Art of the Deal, Ballantine Books, 1987, p. 79.
[8] Michael Kranish et Marc Fisher, Trump Revealed, An American Journey of Ambition, Ego, Money, and Power, The Washington Post, 2016, p. 19.
[9] Donald MacDonald, Lewis, A History of the Island, Gordon Wright Publishing, 1978, pp. 57-62.
[10] Ibid, pp. 159-164.
[11] D’après le généalogiste Bill Lawson, interviewé par Steven Brocklehurst, “Donald Trump’s Mother: From A Scottish Island to New York’s Elite”, BBC News, 19.01.2017.
[12] Donald MacDonald, op. cit., p. 161.