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Le douloureux héritage de Donald John Trump (1)

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue PEPS No 21 (printemps 2018)
La seconde partie de cette étude est disponible ici


Résumé : Ce premier article dévoile de quelle manière le 45e président des États-Unis s’est construit en réaction aux humiliations de son père et ce que son personnage manifeste aujourd’hui du vécu occulté de sa lignée paternelle. Un prochain texte s’intéressera à la lignée de sa mère.


Comment peut-on être Donald John Trump ? Le personnage public nous interpelle par ses provocations incendiaires, son instabilité émotionnelle et son appétit pour le pouvoir. Dans un livre paru dernièrement, vingt-sept psychiatres américains ont posé ouvertement la question de sa dangerosité. Leur président souffrirait de graves troubles de la personnalité et serait une menace pour la sécurité nationale. « Trump est un homme profondément méchant qui fait preuve d’un narcissisme pernicieux, écrit l’un d’eux. Le pire des scénarios est désormais notre réalité[1]. »

Ses alliés tremblent aussi de voir Trump souffler le chaud et le froid sur la géopolitique mondiale. Lors d’une récente crise diplomatique avec la Corée du Nord, le dirigeant états-unien n’a-t-il pas affirmé, sur Tweeter, avoir un bouton nucléaire « beaucoup plus gros et puissant » que son rival Kim Jong-un[2] ? Un mois plus tard, le Bulletin of Atomic Scientists avançait à deux minutes avant minuit l’aiguille de son horloge de l’apocalypse, qui symbolise l’imminence d’un cataclysme planétaire – un record depuis la Guerre froide[3].


« On vous brisait la nuque ! »

On sait que Donald Trump gère un profond sentiment de vulnérabilité par cette virulence qu’il met en scène et revendique. « Lorsqu’il se sent blessé, écrit un biographe, il réagit impulsivement de manière défensive, il invente une histoire à dormir debout pour se justifier et mettre la faute sur les autres[4]. » De ce point de vue, Trump est en phase avec ses supporters qui ne savent plus comment faire entendre leurs frustrations. C’est un comportement de survie qu’il a développé très tôt en réaction aux violences de son entourage. De fait, selon des témoignages, l’ambiance relationnelle dans leur luxueuse demeure du Queens (New York) était explosive.

« Si vous prononciez le moindre gros mot dans cette maison, on vous brisait la nuque ! », rapporte un ami de la famille[5]. Un promoteur immobilier très en vue, le père Fred Trump était un tyran domestique. Lorsqu’il rentrait le soir, sa femme lui rapportait les moindres gestes de leurs cinq enfants et le despote décidait des mesures disciplinaires qu’il jugeait adaptées. Selon la gravité de leur faute, les jeunes coupables étaient privés de sortie ou fessés avec une spatule en bois. Pour tenir cette mémoire traumatique à distance, Donald a toujours eu recours à une même conduite dissociante : surpasser tous les autres et devenir le « killer » que son père attendait (Fig. 1).


Fig. 1 : Donald Trump et son père, Fred, avec une vue sur le Trump Village de Brooklyn, en 1973. Il fallait qu'il soit le « killer » que son père attendait. (www.momentmag.com)


Un fils identifié à son père

Chez les Trump, il n’y avait donc qu’un maître à bord, le père, et une priorité : la progression de sa fortune immobilière qui doublait à l’époque chaque année. Pressenti pour lui succéder, son fils aîné Fred junior, dit Freddy, va faire les frais de ses humiliations. Il sera systématiquement dévalorisé et mourra prématurément des suites d’alcoolisme. Pour ne pas subir le même sort, le jeune Donald n’a d’autre choix que d’imiter ce père cruel : il lance des pierres aux voisins et agresse ses camarades de classe ; au baseball, c’est un frappeur redouté. « Quand je me revois en première année et que je regarde qui je suis aujourd’hui, confiera-t-il candidement à un biographe, il n’y a guère de différence[6]. »

Mais le père ne voit pas chez Donald le miroir de son propre comportement. Pour dompter ce fils rebelle, il l’envoie à treize ans à la Military Academy de New York – l’internat le plus strict de la région. Son instructeur ne tolère pas le moindre sarcasme et frappe les pensionnaires désobéissants. « C’était un sacré connard, dira Trump. Il vous tabassait littéralement. Vous deviez apprendre à survivre[7]. » Suivant le mécanisme d’identification à l’agresseur, le jeune homme participe au bizutage des cadets qui sont insultés et battus dès leur arrivée. Un jour, il manque de passer l’un d’entre eux par la fenêtre lors d’une inspection des dortoirs. Derrière cette phrase prononcée par Donald Trump deux mois après la mort de Freddy, en 1981, on devine l’image terrifiante du père : « L’homme est l’animal le plus vicieux et la vie une suite de batailles qui finissent par une victoire ou une défaite. Ne laissez personne faire de vous un pigeon[8] ! »


Des origines tenues secrètes

Curieusement, c’est aussi vers treize ans que Fred Trump perdit son propre père Frederick, décédé subitement de la grippe espagnole en 1918. « Il est mort comme ça, dira l’intéressé. Cela me parut si brutal[9]. » Dur à la tâche mais largement livré à lui-même, Fred sera brièvement arrêté à New York, en 1927, pour avoir « refusé de se disperser » lors d’un défilé du Ku Klux Klan – très populaire à l’époque. Des coupures de journaux suggèrent qu’il portait une capuche et une tunique blanche[10]. Plusieurs décennies plus tard, les frasques de son fils Donald auraient-elles ravivé en lui le souvenir de cette disparition tragique et de ses conséquences, qu’il projeta inconsciemment sur l’enfant pour justifier des mesures « éducatives » disproportionnées ?

Car Fred Trump avait d’autres choses à cacher. Ses parents étaient des immigrés d’ascendance germanique nés à Kallstadt, un hameau viticole du Palatinat rhénan. Avant même que les États-Unis n’entrent en guerre contre l’Allemagne, en 1917, ces « Américains d’adoption » firent l’objet de brimades. Toute publication en langue allemande fut interdite et l’usage de l’allemand proscrit en public ; les mets à consonance allemande furent rebaptisés. Pour ne pas perdre sa clientèle, l’entrepreneur a donc menti sur ses origines, prétendant qu’elles étaient suédoises. Et son fils fit de même jusqu’à récemment[11].


Fig. 2 : Le grand-père de Donald Trump ouvrit cet hôtel à Bennett (Colombie Britannique) qui offrait nourriture et prostituées aux mineurs en route pour le Klondike. (Royal BC Museum and Archives, 1899)


Une opiniâtreté très germanique

Par un travail de mise au jour de sa lignée paternelle, Donald Trump aurait pourtant appris que son grand-père avait connu très jeune les affres de l’exil, que ce vécu familial volontairement occulté devait être à la source de son propre ressentiment envers les immigrés, clandestins notamment. Qu’il tenait de lui cette opiniâtreté très germanique à foncer en avant tête baissée, quel que soit le prix à payer. On sait qu’enfants et petits-enfants portent les silences de leurs ascendants et les mettent en scène dans leur propre existence – parfois de façon surprenante.

Le jeune Frederick Drumpf – leur nom de famille à l’époque – quitta sa terre natale à 16 ans parce qu’il n’y avait pas de place pour lui : son père était mort et le vignoble familial trop exigu. Un siècle auparavant, la région avait été dévastée par les guerres et son village réduit en cendres au moins cinq fois. Débarquant à New York en 1885, il dit s’appeler Trumpf – la carte d’atout en allemand – et y retrouve sa sœur aînée, exilée avant lui. À l’époque, un immigré allemand découvrant l’île de Manhattan déclara : « Ça y est, nous sommes en Amérique ! Maintenant, je peux marcher dans les rues et ramasser de l’or[12] ! »


Exploiter la misère des hommes

C’est ce qu’a dû penser Frederick, car il ne met pas long à rejoindre Seattle, dans l’État de Washington, où l’on a trouvé de l’or justement. Il partira plus tard pour l’Alaska et le Klondike, au Canada. Mais plutôt que de creuser lui-même, comme beaucoup de malheureux, il ouvre un restaurant, puis un autre, et nourrit une armée d’aventuriers qui piochent nuit et jour dans l’espoir de s’enrichir. On raconte qu’il leur servait la viande des mules mortes d’épuisement sur le chemin du Klondike. La biographe Gwenda Blair aura cette formule parlante : « He was mining the miners[13]. » – entendez que les mineurs étaient sa mine d’or.

Frederick fit fortune au point d’envoyer lui aussi quelques pépites à sa famille restée en Allemagne. Mais il offrait également d’autres services à ses clients. À l’arrière de son restaurant, l’Arctic (Fig. 2), il y avait de petites chambres séparées par des tentures où ces hommes esseulés retrouvaient des prostituées. Ce qui a enrichi le grand-père, c’est un modèle économique fondé sur l’exploitation de la misère des hommes, sur la valorisation de leurs fantasmes. Et l’on retrouve cette stratégie chez son petit-fils, qui vendra des appartements hors de prix en disant à ses commerciaux : « Vous leur vendez du rêve[14] ! » Un siècle plus tard, le nom de Trump sera notoirement associé à la richesse et à la réussite.


Fig. 3 : Donal Drump devant le Trump Taj Mahal d'Atlantic City (New Jersey), en 1991. Après plusieurs faillites, l'établissement a fermé en 2016 sans avoir payé les retraites de ses employés. (Robert Rosamilio /NY Daily News)


Le rêve américain version Trump

Mais terminons par un dernier exemple. L’une des caractéristiques de la personnalité de Donald Trump, on l’a vu, c’est son insécurité intérieure. Pour Tony Schwartz, le journaliste qui a écrit sa première autobiographie en 1987 : « C’est toujours un enfant terrifié[15]. » La gestion de cette terreur l’occupe entièrement : il a peur d’être faible, déficient, critiqué et finalement rejeté – comme ses aïeux. Il a passé sa vie à tenir cette souffrance à distance en prétendant être un « killer » et a construit un mythe autour de cette nécessité. Si la réalité vient contredire le mythe, il parle de « fake news ».

Son grand-père s’est enrichi de la ruée vers l’or du Klondike et Trump va faire de même en investissant dans les casinos d’Atlantic City, dans le New Jersey. En 1982, il achète un premier terrain et obtient une licence – ce sera le Trump Plaza, mais lui n’assume aucun risque. Ses partenaires investissent sur la seule promesse de son nom. Il construit un second casino, puis un troisième : le Taj-Mahal – qu’il présente comme la 8e merveille du monde (Fig. 3). L’opération lui coûterait $ 95 millions d’intérêts chaque année[16]. Côté recettes, il lui faut une masse de joueurs, pour la plupart de petites gens qui viennent par bus entiers dépenser leurs maigres dollars contre un bref frisson de richesse : c’est la contrepartie du rêve américain version Trump. Son empire est bientôt au bord de la faillite ; ses actionnaires vont perdre $ 1,5 milliards en dix ans, tout en lui versant un salaire de PDG. Le Trump Plaza fermera ses portes en 2014 et le Taj Mahal en 2016 sans que les retraites de leurs employés ne soient jamais honorées.

Ainsi, Donald Trump vend-il une chimère auquel il a dû croire lui-même. Il n’éprouve aucune honte à le faire, puisqu’il est coupé de sa sensibilité. Ce qui lui importe, c’est de sauver sa peau – il est toujours en mode survie, comme dans l’enfance. Le sens de ses entreprises, c’est de recréer l’insécurité qui a marqué ses jeunes années. Pour lui, mais aussi pour les autres. Souhaitons que ses partenaires actuels aient assez de recul pour ne pas rejouer leur propre histoire personnelle sur la scène mondiale.

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 05.2018 / www.regardconscient.net


Notes :

[1] John D. Gartner, “Donald Trump Is: A) Bad, B) Mad, C) All of the Above”, in The Dangerous Case of Donald Trump, St Martin’s Press, 2017, p. 107, http://www.nationalmemo.com/donald-trump-bad-mad/.

[2] Philippe Gélie, « Donald Trump déclare la “guerre des boutons nucléaires” », Le Figaro, 03.01.2018, http://www.lefigaro.fr/international/2018/01/03/01003-20180103ARTFIG00256-donald-trump-declare-la-guerre-des-boutons-nucleaires.php.

[3] Agence France-Presse, « Minuit moins 2 minutes, le risque nucléaire fait avancer l’horloge de l’apocalypse », Le Point, 25.01.2018, http://www.lepoint.fr/monde/le-risque-nucleaire-fait-avancer-l-horloge-de-l-apocalypse-a-2-minutes-de-minuit-25-01-2018-2189684_24.php.

[4] Tony Schwartz, “I Wrote The Art of the Deal with Donald Trump”, in The Dangerous Case of Donald Trump, op. cit, p. 69.

[5] Louis Droesch, cité par Gwenda Blair, The Trumps: Three Generations that Built an Empire, Simon & Schuster, 2000, p. 228.

[6] Michael D’Antonio, Never Enough: Donald Trump and the Pursuit of Success, St Martin’s Press, 2015, p. 40.

[7] Cité par Michael Kranish et Marc Fisher, Trump Revealed: An American Journey of Ambition, Ego, Money, and Power, The Washington Post, 2016, p. 39.

[8] Ibid, p. 94.

[9] Fred Trump, cité par Gwenda Blair, op. cit., p. 116.

[10] Mike Pearl, “All the Evidence We Could Find About Fred Trump’s Alleged Involvement with the KKK”, Vice, 10.03.2016, https://www.vice.com/en_us/article/mvke38/all-the-evidence-we-could-find-about-fred-trumps-alleged-involvement-with-the-kkk.

[11] Jennifer Hansler, “Trump’s Family Denied German Heritage for Years”, CNN Politics, 28.11.2017, https://edition.cnn.com/2017/11/28/politics/trump-family-heritage/index.html.

[12] Arnold Weiss cité par Edward Berenson, The Statue of Liberty: A Transatlantic Story, Yale University Press, 2012, p. 114, https://books.google.fr/books?id=EQ27eAFqZ2YC.

[13] Gwenda Blair, citée par Natalie Obiko Pearson, “Donald Trump’s Grandfather Friedrich Trump Ran a Restaurant, Bar, and Brothel in British Columbia”, Bloomberg Politics, 26.10.2016, https://www.bloomberg.com/features/2016-trump-family-fortune/.

[14] Donald Trump, cité par Michael Kranish et Marc Fisher, op. cit., p. 94.

[15] Tony Schwartz, “I Wrote The Art of the Deal with Donald Trump”, The Guardian, 18.01.2018, https://www.theguardian.com/global/commentisfree/2018/jan/18/fear-donald-trump-us-president-art-of-the-deal.

[16] Michael Kranish et Marc Fisher, op. cit., p. 138.