Préface à l’ouvrage de Sylvie-Béatrice Vermeulen


Le Génie de l’être
et autres écrits


par Marc-André Cotton


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Sylvie Vermeulen a consacré l’essentiel de sa vie d’adulte à ses trois enfants, qu’elle souhaitait voir grandir dans la bienveillance, et au travail sur soi. Lorsque je l’ai rencontrée, au début des années 1990, elle proposait avec son mari des semaines d’écoute intensive dans leur maison recluse de l’Aveyron. Le « travail » consistait alors à s’allonger, des heures durant, et à revenir en sa présence sur des moments de vie restés blottis dans les méandres de nos mémoires traumatiques. Dans son écoute inconditionnelle, j’ai pu reconstituer le parcours d’une enfance meurtrie par l’inconscience de mes parents et éprouver l’intensité des innombrables déchirements occasionnés par leur manque de présence et d’écoute. Fuyant sa Normandie natale, où sa famille dysfonctionnelle l’avait stigmatisée, Sylvie avait lu tous les livres de psychologie disponibles et connaissait intimement les œuvres de précurseurs comme Arthur Janov, Alice Miller ou Alexander Lowen. Hormis quelques auteurs éclairés, elle se méfiait des connaissances académiques et privilégiait son « senti ». Petite, elle avait été confrontée aux humiliations des derniers de la classe, dans un contexte de « chasse aux sorcières » qu’éprouvait plus douloureusement la fille d’un ardent militant communiste pendant la Guerre froide – d’où ses distances à l’égard des pouvoirs établis. Lors des séances avec Sylvie, je retrouvai pourtant dans son accueil la confirmation d’un vécu traumatique ignoré et l’incroyable sensation d’être aimé.

L’expérience d’une communauté thérapeutique, dont Sylvie Vermeulen fut l’inspiratrice, nous rapprocha. Ensemble, il nous fallut comprendre les dynamiques d’un groupe, dénouer les tensions entre parents et enfant, régler les conflits entre adultes. Sa proposition fondatrice était que chacun travaille son histoire. Des évidences ont alors émergé : le fait que nous rejouons nos souffrances dans nos interactions par exemple, que nous sommes saisis par des remontées émotionnelles ou que nos enfants nous renvoient à la nécessité de mettre en cause nos propres parents. Entre nous, un nouveau vocabulaire émergeait. Ce que Sylvie pressentait, c’est que nous sommes tous habités par un impératif découlant de la réflexivité de notre nature consciente : nous sommes des êtres de vérité ! Bien que nos éducations nous en aient dissociés, nous sommes déterminés à retrouver la jouissance de notre senti par le truchement d’un processus de réalisation propre à chacun, mais commun à tous. Cependant, la profondeur de nos souffrances et la rigidité de nos structures d’adaptation rendent indispensable un important travail sur soi, un chemin de retour vers soi-même pour lequel Sylvie proposait des outils de compréhension inédits.

L’ouvrage que vous tenez entre les mains retrace l’itinéraire de cette exploration singulière de l’âme humaine. Il rassemble des textes que Sylvie a publié sur notre site Regard conscient dès les années 2000, dans leur chronologie originale, enrichis d’un lexique comprenant les acceptions d’une centaine de concepts et expressions-clés tels qu’elle les concevait et les utilisait au quotidien dans l’accompagnement. À lui seul, ce supplément constitue un corpus d’une rare cohérence pour toute personne souhaitant comprendre les ressorts de nos interactions – a fortiori pour celles et ceux qui ont la vocation d’accompagner leur patientèle sur un chemin de vérité. Les plus récentes découvertes des neurosciences en ont confirmé la pertinence : je pense à la persistance, désormais reconnue, de l’activité de nos mémoires traumatiques, aux dynamiques de dissociation et de reproduction de conduites dissociantes menant à la répétition de situations traumatisantes. Dans un contexte globalisé où la réémergence de traumatismes non résolus – les actes de terrorisme, les faits de guerres et autres atteintes à notre sécurité, par exemple – menace jusqu’à l’existence de nos démocraties, il est difficile de rester insensible à la justesse des réflexions de l’auteure, à l’actualité de son propos et aux possibles transmutations portées par chacune de ses propositions thérapeutiques.


En savoir plus

Reconnaître notre processus de réalisation (première partie)
Le processus de réalisation est un processus mis en place par la vie elle-même. C’est un outil qui se développe simultanément à l’adaptation au mode de vie de nos parents. Il a son propre fonctionnement. L’effort d’analyse qu’il implique repose sur un consentement intellectuel porté par une sensation de justesse.
(06/2017)

 

La vision embrassée par Sylvie Vermeulen va cependant plus loin qu’une réconciliation avec nous-mêmes : elle est porteuse d’un autre regard sur nos enfants et les générations à venir. Dans son Génie de l’être, elle remarque que la croyance du « Mal en l’Homme », profondément enracinée dans notre mémoire collective, n’a pas pénétré l’âme enfantine. « Les être qui naissent sont contraints au terrible apprentissage du refoulement de leur conscience, constate-t-elle. L’aveuglement qui en résulte rend impossible la jouissance notre véritable nature. » Forte de ce constat, elle nous invite à mettre en cause les dissonances relationnelles que nous reproduisons encore sur nos enfants. Parmi celles-ci figurent toutes les formes d’abus et de maltraitances, les violences éducatives ordinaires, mais aussi les torsions et manipulations infligées à la conscience enfantine au nom de l’obéissance et de l’éducation au refoulement. « La sensibilité de nos enfants est la manifestation d’une conscience pleine et spontanée, poursuit-elle. Elle est la plénitude, la présence, la vérité et l’amour que nous, adultes, semblons chercher désespérément. »

Au-delà des hypothèses posées par les théoriciens de l’attachement, aujourd’hui largement acceptées, ou de la découverte plus récente du rôle des neurones miroirs dans la capacité du tout petit à éprouver de l’empathie, Sylvie nous invite donc à reconnaître en l’enfant l’expression d’une sensibilité agissante, vouée à la réalisation de sa nature consciente et à celle de son entourage. « Personne ne demande à l’enfant de nommer ce qu’il sent, déplore-t-elle, encore moins lui permettre de le faire en l’aidant à construire ses phrases. » Au lieu de cela, les adultes lui opposent leurs interprétations mensongères et une éducation au refoulement le conduisant par la suite à rejouer, notamment sur ses propres enfants, le sentiment d’avoir été utilisé. Ce mécanisme de reproduction est cependant toujours guidé par un impératif de conscience. Et c’est à la reconnaissance de ce processus de réalisation que Sylvie n’a cessé de nous inviter. « Nos aveuglements nous enchaînent dans des rôles, affirme-t-elle encore, qui évoluent entre les pôles extrêmes que constituent le personnage de persécuteur et celui de persécuté. » Ces rôles suscitent en nous de terribles sentiments d’impuissance, d’incohérence, de désespoir et nous font perdre le sens de notre vie. Mais tout au fond, nous restons plénitude, conscience, amour et vérité – et c’est sur ces dispositions naturelles que Sylvie fondait son accompagnement.

Tel qu’il transparaît dans cet ouvrage, son engagement politique a aussi de quoi surprendre. Héritage d’une enfance dévouée au militantisme de son père communiste, il l’avait conduite à faire l’école du parti et à siéger brièvement comme conseillère municipale à la mairie d’Elbeuf (Seine-Maritime) à l’âge de vingt-cinq ans. Bien que s’étant distancée de ce père terrifiant, Sylvie gardait un point de vue avisé sur les enjeux sociaux, les dynamiques historiques et les conflits de classes. J’ai été stimulé par cette dialectique à laquelle mon milieu catholique ne m’avait pas préparé. Et lorsque nous avons recomposé ensemble le puzzle de nos histoires familiales, une évidence s’est imposée : nous ne sommes pas seulement façonnés par nos éducations, mais aussi légataires d’une problématique plus vaste incluant nos lignées. Tant de fantômes vivent en nous ! Les outils de conscience qu’elle a partagés permettent de détendre ces emprises et de nous libérer des sentiments de culpabilité que nous portons encore. Je pense aux dissonances relationnelles enregistrées par le tout-petit dont la mère fut indisponible ou par l’enfant contre lequel son père s’est parfois retourné. Quel parent n’a pas senti le malaise d’avoir ainsi « mal agi » ? Réaliser que nous remettons en scène l’indisponibilité de nos propres parents, alors aux prises avec leur mémoire traumatique, permet de rendre aux véritables destinataires la charge que nous destinons trop souvent à nos enfants ou à nos proches, de sortir du carcan de la culpabilisation pour nous libérer de nos rejouements et retrouver la joie de vivre.

Je remercie vivement Bernard Giossi, notre compagnon de route, pour avoir soigneusement réactualisé avec elle l’ensemble des textes de Sylvie, ainsi que pour sa relecture attentive du lexique qui complète la présente édition. Pour la même raison, je suis reconnaissant à Marie Lamperti et à Emmanuelle Holder qui m’en ont confirmé l’importance. J’exprime aussi ma gratitude aux éditions Le Hêtre-Myriadis et à Daliborka Milovanovic pour sa résolution à publier une œuvre dont elle a saisi la portée.

Marc-André Cotton*

 

*Marc-André Cotton est le co-fondateur avec Sylvie Vermeulen du site regardconscient.net et auteur du livre Au nom du père, les années Bush et l’héritage de la violence éducative (L’Instant présent, 2014). Il est aussi président de l’International psychohistorical association (IPhA).