Résumé : Une société qui prône la séparation de la mère et de l’enfant s’expose à de funestes conséquences. La fronde antifiscale qui gronde en France est là pour rappeler que le système de protection sociale n’a pas pour vocation de compenser une insécurité relationnelle vécue dans la prime enfance.
Dans plusieurs ouvrages, l’obstétricien Michel Odent a montré l’incidence d’un vécu primal de satisfaction sur l’épanouissement de l’enfant et sur la personnalité de l’adulte[1]. Au cours d’un accouchement naturel, la sécrétion d’endorphines favorise l’établissement du lien entre la mère et son nouveau-né, le désir d’allaiter et de prodiguer au bébé la sécurité affective dont il a besoin autant d’éléments essentiels à son équilibre psychoaffectif et à sa capacité ultérieure à établir des relations nourrissantes avec son entourage.
À l’inverse, une société qui perturbe ces processus physiologiques et prône la séparation de la mère et de l’enfant s’expose à de funestes conséquences sanitaires et sociales. Celles-ci comprennent des troubles aussi variés que la criminalité ou le suicide des jeunes, la toxicomanie, l’anorexie ou l’autisme[2]. Par transfert, les carences psychoaffectives vécues jadis dans la relation aux parents conduisent nombre de nos contemporains à exiger d’autres prestataires qu’ils compensent ces besoins à jamais inassouvis. L’énergie dévolue à la gestion collective de ces souffrances non reconnues absorbe ainsi une part non négligeable du budget de l’État.
Promouvoir le lien mère-enfant
De ce point de vue, quelle est la situation française ? On sait par exemple que l’Organisation mondiale de la santé recommande aux mères du monde entier l’allaitement exclusif de leur nourrisson pendant les six premiers mois de la vie. D’après une étude récente, la pratique de l’allaitement maternel reste, en France, très en deçà de cette indication et bien inférieure à celle d’autres pays européens. Si 74 % des nourrissons reçoivent du lait maternel à la maternité, ils ne sont que 46 % à être allaités à un mois, et seulement 28 % de façon exclusive. À titre de comparaison, la quasi totalité des mères norvégiennes, comme celles d’autres pays nordiques, allaitent leur enfant dès la naissance et elles sont encore 89 % à le faire après trois mois (chiffres 2006-2007)[3].
L’étude confirme que les mères qui ont eu un contact peau à peau avec leur bébé dans l’heure qui suit l’accouchement sont plus nombreuses à allaiter et le font plus longtemps, de même que celles dont le conjoint a une perception favorable de l’allaitement. Si celui-ci réprouve au contraire la mise au sein du nourrisson, les mères ne sont que 35,7 % à allaiter à la maternité et 8,3 % après trois mois. Les prochains résultats permettront de connaître l’évolution de ces taux jusqu’au premier anniversaire de l’enfant, mais les auteurs insistent déjà sur l’importance d’une meilleure promotion de l’allaitement maternel en France.
Il y a une vingtaine d’années, un médecin estimait à quelque 170 millions d’euros par an le coût de l’abandon de l’allaitement maternel pour la Sécurité sociale, soit 1,116 milliards de francs de l’époque. D’après ses calculs, une augmentation de 5 % du taux d’allaitement représentait une économie potentielle de 2,69 millions d’euros sur les dépenses de santé[4]. Évidemment, la qualité du lien qui se tisse entre la mère et son enfant au cours de l’allaitement ne saurait être chiffrée. Ni la richesse qu’incarne pour la collectivité un jeune adulte « bien dans sa tête » parce qu’il a connu, enfant, le bonheur d’un maternage bienveillant.
Déshumanisation croissante
Des questions commencent pourtant à être posées. On s’interroge par exemple sur l’efficacité des systèmes de protection sociale dans les pays nordiques sans toutefois mettre en rapport la qualité de la relation à l’enfant que ces pays encouragent. Le « miracle » scandinave associe en effet un taux de syndicalisation très élevé à une culture nationale du dialogue social, de l’égalité et de la solidarité. Les synergies existant entre les secteurs public et privé, et la qualité des services publics ont permis d’établir une confiance à long terme entre l’État et les citoyens[5].
Nous en sommes loin en France où l’épanouissement du lien mère-enfant préoccupe encore peu les pouvoirs publics. La fermeture d’un nombre important de petites maternités et la concentration des naissances dans de grands établissements hospitaliers ont conduit à une déshumanisation croissante des accouchements. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français a même récemment reconnu un « risque iatrogène de la surmédicalisation et du surtraitement » dans les maternités françaises[6].
Quelles conséquences à long terme ce manque de maternage a-t-il sur la société française ? À l’inverse des pays scandinaves, notre pays est souvent critiqué pour ses conflits sociaux et l’incapacité des pouvoirs publics à répondre judicieusement aux attentes des citoyens. L’insécurité relationnelle vécue dans la prime enfance est alors remise en scène sur le plan collectif sans que les acteurs de ces conflits n’en perçoivent les enjeux inconscients. La virulence des attaques portées de part et d’autre témoigne d’ailleurs de l’intensité des souffrances ainsi ranimées.
Un oui timide aux maisons de naissance
Une proposition de loi autorisant l’expérimentation de maisons de naissance a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 28 novembre dernier. Elle vise à permettre « à titre expérimental et pour une durée de deux ans » la création de structures peu médicalisées où des sages-femmes accouchent les femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse. Ces maisons de naissance devront cependant être adossées à un établissement hospitalier permettant notamment le transfert rapide des parturientes en cas de complication.
D’abord opposé au projet, le Collège national des gynécologues et obstétriciens a récemment changé d’avis, notamment pour pallier « la frustration de certaines patientes qui estiment qu’elles auraient peut-être pu accoucher plus simplement. » La dernière enquête périnatale française (2010) montre en effet que 82 % d’entre elles accouchent sous péridurale et 21 % par césarienne. À titre de comparaison, la proportion de femmes ayant recours à une péridurale aux Pays-Bas est inférieure à 10 %[7].
Ce texte est cependant le fruit d’un compromis. Car si les parlementaires médecins l’ont bien soutenu, c’est en échange d’un lien très étroit entre ces nouvelles structures et les établissements hospitaliers existants. L’idée que les maisons de naissances puissent constituer une alternative à la fermeture des petites maternités a donc été abandonnée.
MCo
« La France est en 1788 ! »
En Bretagne, des agriculteurs sont en guerre contre l’écotaxe et ses « portiques » évoquant l’octroi qui tarifait l’entrée des villes. Confiée à une société étrangère, sa gestion ravive le souvenir des fermiers généraux qui prélevaient l’impôt au nom du roi. Le mouvement breton s’inspire d’ailleurs de la révolte des Bonnets rouges une autre fronde antifiscale menée en 1675 contre les abus des seigneurs de l’époque.
Escomptant un sursaut populaire, l’opposition de gauche convoque aussi l’Histoire. « La France est en 1788, affirme Jean-Luc Mélenchon. Le système d’impôt est rejeté par tout le monde car tous savent qu’il protège les privilégiés fortunés[8]. » Dénonçant les indemnités de retraite du président de PSA-Citroën et de cinq de ses cadres, il note que leur montant correspond au « cadeau » dont le gouvernement a gratifié cette entreprise, par le biais d’une hausse de la TVA à la charge des ménages.
Le Monde relève que le taux de prélèvements obligatoires n’a jamais été aussi élevé et titre encore : « Pluie d’impôts sur la France. » Entre 2011 et 2013, quatre-vingt-quatre nouveaux impôts ont été introduits par les présidents Sarkozy et Hollande, exacerbant un sentiment d’injustice[9]. D’après une enquête Ipsos, 47 % des Français estiment que les inégalités sociales ont « fortement » progressé ces dernières années et beaucoup mettent en cause la politique fiscale de la majorité socialiste[10].
Le sein et la brioche
Quels rapports les citoyens entretiennent-ils donc avec cet « État-providence » tant décrié et pourtant nécessaire ? Dans une chronique précédente, j’ai souligné que les adultes remettent en scène dans la sphère politique les conséquences de leurs histoires familiales non résolues[11]. Du temps de Louis XVI, la noblesse compensait par ses privilèges les séquelles d’une éducation particulièrement humiliante. Tout en souffrant du mépris posé sur sa condition, le peuple, lui, attendait de son roi qu’il joue le rôle d’un parent nourricier.
En témoigne cette réplique cruelle que la rumeur publique attribuait à Marie-Antoinette : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! » Bien qu’aucune source n’atteste qu’elle ait jamais tenu de tels propos, la souveraine incarnait l’arrogance d’un pouvoir insensible aux souffrances des miséreux[12]. « Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron ! » chantèrent en retour les insurgés en escortant vers Paris le couple royal et le dauphin, lors des journées révolutionnaires d’octobre 1789.
Par transfert, les sentiments d’extrême indigence que géraient tant bien que mal les petites gens dès leur plus tendre enfance s’exprimaient ainsi violemment contre le roi et sa cour, accusés d’affamer la population en protégeant leurs privilèges. Après tout, cette aristocratie n’allait-elle pas jusqu’à ôter au peuple le sein de la bouche en payant des nourrices pour allaiter sa descendance ?
Bien des choses ont changé depuis la Révolution française. Cependant rares sont les adultes qui reconnaissent aujourd’hui l’importance de répondre pleinement aux besoins d’un enfant et cela dès sa naissance. Dans l’attente d’une prise de conscience collective de cette nécessité, des revendications issues d’un manque de maternage et des dénis « éducatifs » qui s’ensuivent continuent de se manifester dans le champ politique.
La récente adoption par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi autorisant l’expérimentation de maisons de naissance (lire notre encadré) va certes dans le bon sens. Mais la promotion publique d’une relation nourrissante entre les mères et leurs jeunes enfants exigerait des mesures plus volontaires. Gageons qu’à moyen terme, notre société française s’en trouverait apaisée.
Marc-André Cotton
© M.A. Cotton 04.2014 / regardconscient.net
Le lien meurtri de l’attachement
L’enfant vit dans une continuité de conscience. C’est la perte de l’attachement qui l’en sépare durablement et l’enferme peu à peu dans la névrose.
(11/2011)
Notes :
[1] Lire notamment Michel Odent, Le bébé est un mammifère, éditions l’Instant Présent, 2011.
[2] Voir la présentation de la banque de données en santé primale sur « Santé primale : cette période cruciale de l’enfantement », Regard conscient, janvier 2003.
[3] Benoît Salanave et al., « Durée de l’allaitement maternel en France (Épifane, 2012-2013) ».
[4] Dr Pierre Bitoun, « Valeur économique de l’allaitement », Dossiers de l’Obstétrique, 1994; 216:10-13.
[5] Lire notamment Ariane Fontenelle, « Les modèles scandinaves de protection sociale », Pour la Solidarité, janvier 2008.
[6] Francis Puech et Bernard Hédon, « Entre sécurité et intimité de la naissance », Communiqué de presse du CNGOF, 05.12.2012.
[7] Muguette Dini, « Proposition de loi autorisant l’expérimentation des maisons de naissance », Rapport No 368 (2012-2013), Commission des affaires sociales du Sénat, 20.02.2013.
[8] « Jean-Luc Mélenchon : La France est en 1788 », Le Parisien, 30.11.2013.
[9] Lire Patrick Roger, « L’œil du “Monde” : pluie d’impôts sur la France », Le Monde, 03.09.2013. Les prélèvements obligatoires sont l’ensemble des impôts et cotisations sociales prélevés sur les ménages et les entreprises. Ils représentent 46,3 % du Produit intérieur brut en 2013, contre 34 % au milieu des années 1970.
[10] Geoffroy Clavel, « Ras-le-bol fiscal : 64 % des Français frappés par les hausses d’impôts, 81 % jugent le système injuste », Huffington Post, 14.11.2013.
[11] Marc-André Cotton, « Moraliser la vie politique ? Une affaire de famille ! », Peps No 5, automne 2013.
[12] Lire Véronique Campion-Vincent et Christine Shojaei Kawan, « Marie-Antoinette et son célèbre dire », in Annales historiques de la Révolution française, No 327, 2002, pp. 29-56.