Résumé : Dans Beyond Belief, Cults, Healers, Mystics and Gurus – Why We Believe, un livre publié un an avant sa mort et non traduit en français, le Dr Arthur Janov examine les motivations inconscientes qui nous poussent à suivre les mystiques, les guérisseurs et les gourous – et plus globalement, les impulsions qui nous poussent à croire. Il aborde cette thématique inédite en s’appuyant sur de nombreux témoignages de patients, sur le modèle du cerveau triunique de MacLean et sur ses propres recherches en thérapie primale.
Mots-clés : Croyance, sectes, leaders, manipulation, gestion de la souffrance, modèle du cerveau triunique, développement du cerveau, tronc cérébral, système limbique, néocortex, thérapie primale, traumatisme, SSPT, sentiments, idéation, conscience.
Décédé en 2017, Arthur Janov était un thérapeute charismatique et controversé qui a introduit la thérapie primale dans les années 1960. Pour lui, la non-satisfaction de besoins fondamentaux dans l’enfance et la petite enfance engendre des souffrances si intenses qu’elles actionnent des mécanismes de répression à l’origine de névroses. Par la thérapie primale, les patients sont peu à peu amenés à ressentir ces souffrances refoulées et à accéder à leurs besoins d’enfants, renversant ainsi le processus névrotique. À bien des égards, cette approche reflétait les attitudes et les tendances dominantes de l’époque. Dans le contexte de l’incertitude de l’après-guerre et de l’émergence de la contre-culture hippie, la recherche du bonheur et l’avènement du mouvement du potentiel humain offraient des perspectives d’épanouissement personnel et de réalisation. Publié en 1970, son premier livre The Primal Scream devint rapidement un emblème de cette mouvance et plusieurs célébrités, dont le chanteur John Lennon et sa femme Yoko Ono, ont publiquement soutenu la thérapie primale du Dr Janov.
Le Dr Janov était un écrivain et un penseur prolifique, mais il a été critiqué pour avoir prétendument tenté de s’entourer de disciples. Dès le début, des psychologues ont contesté la véracité de ses affirmations, citant le manque de preuves empiriques pour étayer l’existence de la souffrance primale et l’absence d’études indépendantes démontrant l’efficacité de sa thérapie. Mais l’auteur du Primal Scream ne s’est pas découragé pour autant et a continué à écrire avec passion sur le pouvoir de la thérapie primale pour traiter non seulement les problèmes mentaux et physiques, mais aussi divers enjeux de société. À son apogée, le Primal Institute recevait une centaine d’appels par jour de patients potentiels et avait des succursales à New York et à Paris. Si la thérapie primale n’a pas rendu les autres formes de psychothérapie obsolètes, elle a conservé sa pertinence en tant qu’option thérapeutique bien au-delà du tournant du millénaire.
Au-delà de nos croyances, le livre
Dans son dernier livre Beyond Belief, publié en 2016, le Dr Janov examine les motivations inconscientes qui nous poussent à suivre des mystiques, des guérisseurs et des gourous – et plus globalement, les impulsions qui nous engagent à croire. Il aborde cette thématique en s’appuyant sur de nombreux témoignages de patients, sur le fonctionnement de la structure cérébrale et sur la recherche en neurosciences. L’utilisation abondante par Janov d’études de cas d’adeptes ayant été affecté·e·s par leur implication dans divers mouvements religieux offre une perspective inédite sur la manière dont un système de croyances peut s’implanter et façonner l’expérience d’une personne. Son analyse des leaders de sectes montre également que ces individus ont souffert de graves carences affectives dans leur enfance, suggérant que des compensations symboliques de besoins précoces non comblés entraînent tant les adeptes que leurs guides spirituels dans une forme de psychose commune. Janov écrit (Janov, 2016, p. 291) :
« L’adepte en souffrance se nourrit littéralement de son leader, dont le besoin inassouvi est probablement encore plus intense que celui du membre le plus humble de sa congrégation. Ce n’est pas un hasard si nombre de despotes et de démagogues de ce monde sont les produits d’enfances brisées et déformées, tout comme le sont leurs disciples les plus dévoués. »
La croyance peut se manifester de la manière la plus terrible qui soit, de l’ascension d’Adolf Hitler au suicide collectif de Jonestown en 1979, ou au meurtre de civils innocents par des djihadistes islamistes, mais aussi sous la forme de systèmes de croyances dominants qui nous maintiennent dans un certain confort psychologique. L’un des aspects les plus convaincants de Beyond Belief est l’exploration par l’auteur des processus neurobiologiques qui nous aident à faire face à des sentiments d’impuissance vécus très précocement dans l’existence, par le biais d’idées et d’idéations. Janov explique (Janov, 2016, p. 80) :
« Le mental qui doit faire face à la souffrance ne se repose jamais. Il s’active pendant que nous essayons de nous endormir et stimule le cortex préfrontal, le même cortex qui s’occupe des systèmes de croyances pendant la journée, générant des ruminations et des pensées compulsives. Ici, les empreintes de niveau inférieur génèrent une activité de niveau supérieur. C’est une autre façon de voir comment des souffrances profondément inscrites peuvent galvaniser notre cerveau pensant. »
À la lumière de plusieurs recherches, dont les siennes, Janov souligne l’importance d’examiner les mécanismes impliqués dans la gestion de la souffrance, en particulier la capacité de notre néocortex à répondre par l’idéation à des besoins précoces inassouvis. Par exemple, le fait de croire dans la soumission à une autorité supérieure facilite la production d’analgésiques permettant de retrouver un certain calme intérieur. Cette dynamique de refoulement commence dès avant la naissance et se renforce au fil du temps lorsque l’enfant est contraint de se plier au bon-vouloir de ses parents. Plus tard, elle peut se transformer en une foi dans une religion qui exige obéissance et loyauté ou, sous des formes plus subtiles, en une allégeance à une autorité morale en laquelle on place une confiance absolue.
Dans une étude pionnière, Price et Gardner soulignent que les racines de la soumission sont déjà présentes au niveau le plus profond du cerveau – le tronc cérébral – selon le modèle du cerveau triunique de MacLean (Price et Gardner, 2016). La tendance animale fondamentale consistant à se soumettre à une autorité supérieure permet d’éviter de nouvelles agressions et favorise une sorte d’équilibre au sein du groupe, où chacun connaît son rôle. Les auteurs questionnent l’affirmation de certains groupes religieux contemporains selon laquelle la soumission à leurs divinités respectives atténuerait la dépression et l’anxiété, favorisant ainsi la paix intérieure et même la joie. Ils citent l’exemple de deux héros antiques qui, dans un premier temps, refusèrent de se soumettre à leurs dieux, mais qui par la suite virent leurs symptômes s’atténuer. Ces preuves suggèrent que la soumission volontaire à une entité surnaturelle peut effectivement entraîner un soulagement de l’humeur dépressive.
Selon Janov cependant, les personnes souffrant de dépression ne s’abandonnent pas à une divinité, mais plutôt à leurs propres empreintes en cessant de résister. À sa naissance, le nouveau-né peut en effet rester bloqué à un stade parasympathique où toute lutte met sa vie en danger. Cette sensation corporelle équivaut à une forme de sidération au niveau de son tronc cérébral et peut être à la base physiologique d’une dépression sévère plus tard dans sa vie. Se référant également au modèle du cerveau triunique de MacLean, il souligne que des événements contemporains sont susceptibles de raviver ce ressenti primal de désespoir et d’impuissance. Il explique (Janov, 2016, p. 107) :
« Le problème, c’est que le mécanisme de base de la névrose nous amène à croire que nous pouvons penser pour en sortir. Nous produisons donc des pensées plus nombreuses et meilleures qui nous aident à détourner la souffrance. Et lorsque nous faiblissons, lorsque nous commençons à être harcelés par ces tourments indéfinis qui vivent en nous, nous avons recours à l’alcool, aux drogues, au culturisme, au dernier régime magique, à une nouvelle aventure dans la nature, à un “ami spécial” qui “canalise” les informations cosmiques et nous convainc (pour l’instant, du moins) de nous aimer et d’avoir de l’espoir. »
La physiologie de la croyance
Janov compare la souffrance primale à des lignes de faille géologiques qui s’inscrivent dans notre subconscient dès notre plus jeune âge. Pour contrer et atténuer cette souffrance, nous sommes enclins à nous raccrocher à des idées qui ne sont peut-être pas toujours pertinentes ou réalistes. Ce qui compte, c’est la manière dont elles peuvent nous aider à libérer, canaliser et absorber l’énergie de la souffrance. Il suggère (Janov, 2016, p. 73) :
« L’espoir fonctionne comme un analgésique. Plus précisément, le désespoir précoce de ne pas recevoir d’amour suscite la production de son contraire – l’espoir – par la sécrétion de substances chimiques répressives telles que la sérotonine et les endorphines. »
Lorsqu’un nouveau-né est laissé seul pendant une période prolongée dans une couveuse ou n’est pas allaité de manière adéquate au cours des premiers mois de sa vie, et plus généralement lorsque ses besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits par un soignant aimant et attentif, la solitude qui en résulte peut avoir un impact significatif et potentiellement mortel sur la physiologie du nourrisson. L’intensité de ce stress massif pour son cerveau encore vulnérable est si grande que les défenses naturelles du corps sont déclenchées pour supprimer la souffrance. Janov illustre encore (Janov, 2016, 81) :
« Si quelqu’un critique votre ville ou votre pays, vos défenses s’élèvent comme si vous étiez personnellement attaqué, car votre sens civique ou votre patriotisme servent à vous défendre contre un sentiment de non-appartenance. Au lieu de se sentir seul, on se sent membre à part entière d’un groupe. C’est pour cette raison que certaines personnes rejoignent des sectes. »
En effet, Janov affirme que les enfants privés de soins et d’attention deviennent souvent des adultes enclins à la détresse émotionnelle. Cet amour s’exprime notamment par le biais du contact physique, de la tendresse du regard, du ton de la voix ou encore de l’allaitement qui contribuent à fonder ce sentiment. Lorsqu’il exprime des émotions, l’enfant a aussi besoin de parents capables de les accueillir sans les juger. Si ces besoins essentiels ne sont pas satisfaits, il est probable qu’il développera par la suite des croyances – qu’il existe par exemple une divinité lui promettant la protection, l’épanouissement, voire la pleine conscience. L’une des explications biochimiques de ce phénomène est que le sentiment d’être aimé augmente la sécrétion d’ocytocine et de sérotonine, deux endorphines qui atténuent la douleur et favorisent l’attachement. En d’autres termes, un manque d’amour est corrélé à une insuffisance de ces substances biochimiques, à une intensification de la souffrance et en fin de compte, à la formation de croyances destinées à compenser les conséquences du déni de ces besoins précoces. Janov poursuit (Janov, 2016, p. 116) :
« L’une des façons dont les systèmes de croyances défensives se mettent en place, même assez tôt dans la vie d’un enfant, c’est lorsqu’on lui apprend à ne pas exprimer ses sentiments, à ne pas exprimer des pensées inacceptables, à ne pas exprimer de ressentiment, de jalousie ou d’autres pensées négatives, à ne pas dire du mal des autres, et à ne jamais exprimer ce qu’il a sur le cœur. Une fois installé, le processus de censure se poursuit automatiquement, et l’enfant en vient plus tard à substituer des idées à ce qu’il ressent réellement. Avoir des idées irréelles à l’âge adulte n’est que le prolongement logique de ce qui s’est passé dans la petite enfance. »
Dr Ludwig Janus : l’expérience périnatale et le devenir de l’adulte
Il n’est pas rare que des souvenirs précoces émergent à la faveur des circonstances de l’existence et nous surprennent par leur intensité. Nous confronter alors aux sensations de dépendance et d’impuissance que nous avons vécues bébés n’est guère chose aisée. Le Dr Ludwig Janus, éminent spécialiste de la psychologie périnatale, a bien voulu répondre à nos questions.
(10/2015)
Comment les sentiments se transposent en idées
À l’origine, sensations et sentiments suivent l’évolution du fœtus, puis du bébé et de l’enfant, passant des premières mémoires de survie du tronc cérébral à la connexion et à l’intégration du cortex préfrontal. À mesure que ce dernier entre en jeu, l’activité des zones inférieures du système limbique, comprenant l’amygdale et l’hippocampe, diminue. Ces cerveaux sensoriel, émotionnel et pensant – que Janov qualifie respectivement de premier, deuxième et troisième niveaux de conscience – sont des stades de développement spécifiques avec des calendriers de maturation distincts qui se renforcent mutuellement et permettent une prise de conscience accrue des environnements interne et externe. Mais lorsqu’un traumatisme survient très tôt dans la vie, il entraîne une déviation des structures-clés du cerveau. Un système de contrôle – ou gating – se met en place entre le tronc cérébral et le système limbique – c’est-à-dire les premier et deuxième niveaux – ainsi que, au troisième niveau de conscience, entre l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche du néocortex, qui comprennent respectivement la visualisation des sentiments et l’idéation. Janov poursuit (Janov, 2016, p. 146) :
« Lorsque l’empreinte traumatique a une certaine force ou une certaine ampleur, elle peut conduire à l’activation du système de contrôle [ou gating] et à l’arrêt consécutif de la sensation. La dissociation est l’expression la plus courante pour décrire cette situation. Ce mécanisme ne répond pas seulement à des événements traumatiques spécifiques, mais aussi à la souffrance accumulée par manque d’amour au fil du temps. »
Bien que ce mécanisme de contrôle bloque la souffrance qui ne peut être intégrée, le sentiment n’est qu’enfermé et ne disparaît pas. Et comme le système a des capacités limitées, les sentiments s’infiltrent dans les niveaux supérieurs et génèrent des attitudes et des croyances. Nous pouvons être angoissés ou avoir des crises de panique parce qu’une terreur affleure sans relâche jusqu’au troisième niveau de conscience, où nous ne soupçonnons plus son origine. En tant qu’adultes, nous avons un cerveau mature qui nous permet d’avoir des sentiments et des pensées, et nous utilisons ces outils pour gérer notre quotidien. Mais le cerveau supérieur ne peut résoudre la surcharge de souffrance qui a été générée lorsque le tronc cérébral et son langage sensoriel constituait le principal système nerveux fonctionnel. Selon Janov, l’incapacité à comprendre la souffrance à ce niveau, à y réfléchir clairement et à la résoudre, est ce qui nous rend littéralement fous. Il en va de même pour la surcharge de souffrance qui survient au cours de la deuxième phase critique du développement.
Les événements traumatiques qui surviennent au cours des deux premiers stades de développement du cerveau ont leur propre langage. Ils peuvent être inaccessibles au troisième niveau de conscience, à savoir notre néocortex. Les souvenirs peuvent être si bien cachés sous des couches de répression que les croyances semblent avoir une vie propre, sans aucun lien avec quoi que ce soit d’autre. C’est le processus par lequel le contrôle de la souffrance se produit et la manière dont les sentiments sont détournés et transformés en croyances. Janov insiste (Janov, 2016, p. 150) :
« Permettez-moi de le répéter : la base de l’idéation peut se trouver dans l’expérience préverbale, qui se mêle à l’expérience ultérieure dans l’enfance, et qui finit par s’exprimer des décennies plus tard. Et en effet, ce que j’ai constaté, c’est que les croyants les plus fervents ont le plus souvent eu des enfances catastrophiques. Une mère qui était malade juste après la naissance et qui n’a pas pu voir son bébé pendant des semaines, ce genre de choses. »
Le cerveau gauche et le cerveau droit
Une autre étude révolutionnaire rapportée par Wagner a montré que la foi en un placebo est corrélée à une diminution de l’activité dans les zones du cerveau qui réagissent à la douleur (Wagner, 2004). Simultanément, l’analgésie par placebo augmente l’activité préfrontale en prévision d’un choc douloureux, ce qui suggère que la perspective d’un soulagement agit comme médiateur de l’expérience de la douleur en déclenchant la libération d’opioïdes dans le mésencéphale. En d’autres termes, nos pensées sont désormais à l’origine de sécrétions d’analgésiques et peuvent même faire disparaître les ressentis d’expériences négatives dans l’enfance. Janov suggère que ceux qui adoptent des systèmes de croyances névrotiques ou rejoignent des cultes s’auto-injectent des tranquillisants pour se couper de cette réalité intérieure. Il avertit cependant (Janov, 2016, p. 154) :
« Mais ne croyez pas que les souffrances de l’enfance ne soient pas agissantes en-dessous. La “paix” que nous trouvons dans le mantra est fallacieuse. Nous avons des plaies qui saignent et des blessures ouvertes depuis l’enfance, mais nous ne ressentons rien. C’est ce que les croyances peuvent faire pour nous. Nous commençons maintenant à comprendre comment des gens comme Hitler arrivent au pouvoir. Leurs paroles sont des tranquillisants stricto sensu dont les adeptes deviennent dépendants. »
En effet, la réalité de nos souffrances d’enfance peut être insupportable et le néocortex est là pour la bloquer. Certaines personnes se sentent si malheureuses que leur système de croyances ne suffit plus à contenir leur mal-être, ce qui conduit des groupes sectaires à concevoir le sacrifice ultime comme un moyen radical d’éviter de souffrir davantage. En général, plus la croyance est bizarre, plus elle est ancrée profondément dans le cerveau, et c’est de là qu’émerge une terreur de la mort qui se concrétisera par un passage à l’acte. Dans ce cas, le cortex frontal droit est totalement impliqué dans la gestion de la souffrance et l’hémisphère gauche ne peut rien y opposer, explique Janov.
Mais comment les deux côtés du cerveau fonctionnent-ils et interagissent-ils ? En termes très simplifiés, le côté droit est l’hémisphère émotionnel et créatif, tandis que le côté gauche est plus verbal, analytique et organisé. Le cerveau droit a également des liens profonds avec le centre des émotions du système limbique et se développe plus tôt, entre les trois derniers mois de la grossesse et la fin de la deuxième année de vie. Entre les deux hémisphères se trouve le corps calleux, un câble neurologique qui transmet plus de 80 % de toutes les émotions émanant du cortex frontal droit. Lorsque cette connexion est altérée par un traumatisme précoce, les messages empruntent des voies détournées, ce qui engendre des informations erronées, des délires et des idées bizarres.
Dans les premières semaines de la vie, une mère aimante façonne littéralement le cerveau de son enfant en le tenant, en le caressant, en le regardant chaleureusement et en prêtant attention à ses émotions, comme le souligne Allan Schore dans un recueil de recherches sur les effets d’un attachement sécure sur le développement du cerveau droit et du système limbique (Schore, 2001). Selon Schore, la mère contribue à établir les niveaux de base de diverses hormones chez le bébé et, à l’inverse, un manque d’amour entraîne des niveaux plus élevés de sécrétion de cortisol et de stress. Janov ajoute (Janov, 2016, p. 177) :
« Il existe une forte corrélation entre l’amour et l’absence de stress intérieur, et ce tout au long de la vie. Et quand il y a de l’amour, il y a une quantité optimale de dopamine sécrétée. Cette substance chimique est souvent connue comme étant celle de la récompense. Elle est très faible chez les toxicomanes par exemple. »
Une fracture dans la conscience
Janov s’attache alors à examiner les différentes formes d’organisations sectaires afin d’identifier des dynamiques communes : un leader charismatique, des promesses d’amour et de paradis pour ses adeptes, une mission à remplir – et une paranoïa qui s’installe lorsque la mission échoue. Bien que les sectes se présentent sous de nombreuses formes, la dynamique ne change jamais et peut être étendue à la politique, lorsqu’un gouvernement dirigé par une élite arrogante prétend savoir ce qui est le mieux pour tout le monde par exemple. L’armée est également une organisation qui dicte comment s’habiller, comment se comporter ou quand partir en permission. Elle forme des recrues obéissantes de la même manière que les sectes, et se concentre toujours sur l’ennemi extérieur et non sur les souffrances des soldats.
Un autre exemple : tout comme l’impuissance et le désespoir sont au cœur de la dépression, la croyance en une renaissance vient à l’esprit quand l’existence n’a plus de sens. Pour tenir à distance les angoisses de sa petite enfance, la personne invente l’idée qu’un dieu la sauvera si elle se conforme à ses règles, alors qu’en réalité elle est le jouet de ses sentiments refoulés. C’est une représentation symbolique du véritable traumatisme de la naissance sous-jacent à de nombreux cas d’alcoolisme et de toxicomanie. Au cours de la thérapie primale, les niveaux de cortisol et d’hormones de stress chutent de manière significative après un revécu du traumatisme de la naissance, ce qui suggère que la souffrance initiale d’un nouveau-né, coincé dans le canal de naissance de sa mère et privé d’oxygène, est en effet insupportable. Elle peut alimenter l’espoir de renaître des décennies plus tard, afin de libérer le système du traumatisme initial. Janov explique (Janov, 2016, p. 189) :
« Nous mesurons systématiquement les signes vitaux de chaque patient avant et après une séance. Les dépressifs se présentent généralement avec une tension artérielle, un rythme cardiaque et une température corporelle très bas : cela s’accompagne d’une idéation spécifique. […] Toutes les valeurs basses se normalisent après la séance. Et les idées prennent un ton moins dépressif. Cela ne se produit pas avec des pleurs ou des cris hors contexte. »
Selon Janov, un épisode de psychose pourrait également être compris comme un accès par trop direct à des souffrances profondément inscrites dans le cerveau. Dans un tel cas, le système de contrôle s’effondre et la personne est submergée par son passé non résolu. Par exemple, la croyance dans le channeling reflète une réalité neurologique dans laquelle le traumatisme préverbal inonde littéralement le néocortex par le bas, alimentant toutes sortes d’idéations symboliques. Le thalamus, qui se situe en position médiane entre le cortex et le tronc cérébral et fonctionne normalement comme un relais rempli de récepteurs d’opiacés, est alors submergé et ne peut freiner un flux d’idées exubérantes et obsessionnelles. Le fait de penser que l’on a vécu des vies antérieures peut refléter une difficulté à ressentir des souffrances liées à la présente existence, à sauter par-dessus cette réalité douloureuse pour atterrir quelques siècles plus tôt. Ces personnes glissent de leur propre expérience de la souffrance à une croyance conçue pour s’en défendre. Mais cette réalité ne peut pas être effacée, même si nous disposons d’un système biologique de survie conçu pour atténuer cette charge émotionnelle afin que nous puissions vaquer à nos occupations quotidiennes.
Janov poursuit en explorant les raisons pour lesquelles certains individus qui se présentent comme profondément religieux sont susceptibles de souscrire à des politiques dites de droite et à des comportements qui violent les droits humains. Si nous ne sommes pas guidés par nos sentiments, explique-t-il, nous pouvons être séduits par un système de croyances qui implique de renoncer à nos besoins fondamentaux et n’a pas d’autre cadre de référence que celui de l’autorité (Janov, 2016, pp. 197-198) :
« La vie devient un rituel, un catéchisme auquel il faut obéir. C’est aussi ainsi que fonctionne l’armée – l’obéissance aveugle vise à habituer les soldats à marcher et à suivre les ordres, de sorte que la soumission soit ancrée dans les esprits. Il n’y a pas de remise en question, pas d’idées indépendantes, juste la volonté d’être “bon”. […] C’est ce que le vrai croyant, le militaire et le religieux ont en commun : des règles, des lois et une loyauté sans faille. »
Violences religieuse : une réalité paradoxale ?
Le phénomène inquiète jusqu’aux plus hautes instances de l’Organisation des Nations unies qui dénonce un débordement de violences fondées sur la religion. Les dynamiques psychotraumatiques conduisant à de tels extrêmes restent pourtant mal comprises. Elles sont ancrées dans le déni de la sensibilité naturelle des enfants, soumis dès leur naissance à la rigueur d’un carcan doctrinal qui les détourne de leur nature profonde.
(09/2021)
Croyances empruntées à l’Orient
Nous avons vu que le néocortex produit des croyances par lesquelles nous pouvons éviter la réalité de nos souffrances passées par le biais de symboles, de projections, de mystifications ou de dénis systématiques. Aujourd’hui, la prolifération de nouveaux systèmes de croyances et la résurgence du fondamentalisme religieux reflètent les anxiétés générées par l’évolution déroutante de nos sociétés, confrontées à des difficultés sans précédent. Cette mutation a débuté dans les années 1960, lorsque les valeurs traditionnelles de la famille, de la religion dominante et des institutions politiques ont cessé de séduire les nouvelles générations. Insensibles aux charmes du rêve américain qui avaient enchanté leurs parents, elles ont donné naissance à une contre-culture qui les a détournées d’une réalité sociale impitoyable pour s’orienter vers l’exploration d’un monde intérieur sur lequel nos connaissances étaient maigres, voire inexistantes.
L’assortiment de nouvelles croyances susceptibles d’apaiser ces anxiétés incluait par exemple le recours à des psychotropes tels que le LSD ou à diverses pratiques tirées de traditions mystiques orientales, tandis que la musique populaire ajoutait une saveur particulière à cette magie, remodelant le paysage intérieur de millions de personnes. Une kyrielle de représentations à caractère magique furent incorporées dans un langage New Age d’auras, de chakras, de prāna et d’énergie vitale universelle. Mais au lieu d’intégrer leurs ressentis en conscience, en descendant péniblement vers les niveaux inférieurs où résident les traumatismes, ces explorateurs finirent par avaler des théologies fantaisistes essentiellement empruntées à l’Orient. Janov observe (Janov, 2016, p. 204) :
« Avec une facilité regrettable, ils proclament leur objectif de fusionner l’ātman, l’unité ultime de la psyché, avec le brahman, la cristallisation divine de l’énergie positive. En fait, le recours à des abstractions religieuses orientales pour expliquer nos névroses fait partie de ce que j’appelle le recul de la raison, une partie de notre réponse défensive à une souffrance de grande intensité. »
La Société internationale pour la conscience de Krishna (ISKON) – connue du public sous le nom de Hare Krishna – illustre de manière frappante ce processus inconscient. Au sein de ce groupe religieux, les règles à retenir semblent infinies, limitées uniquement par l’imagination des dirigeants et jamais remises en question par les adeptes. Sur le plan neurologique, elles ont une fonction dissociative, parce que le cerveau gauche est alors entièrement absorbé par la production de raisonnements destinés à contenir les sentiments. Une disciple nommée Joan témoigne (Janov, 2016, pp. 219-220) :
« J’étais mécontente du manque de sommeil et de nourriture. Des années plus tard, j’ai découvert que cela faisait partie de la technique de lavage de cerveau utilisée par toutes les sectes. […] Ils avaient d’autres règles, comme l’interdiction de sortir des livres, de la télévision ou de la musique. On n’était exposé qu’aux peintures de Krishna et des incarnations de Krishna dans la salle du temple. Pas d’art extérieur. Rien à l’extérieur. […] La nourriture était offerte à Krishna, Radha et Krishna dans le cadre d’un service cérémoniel quotidien. »
Le père de cette disciple, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique, menaçait régulièrement de tuer ses enfants et les rendit ensuite responsables de la mort de leur mère. Joan avait été violée par son père et témoin de violences domestiques. Adolescente, elle rencontra des anarchistes d’une vingtaine d’années qui lui témoignèrent une bienveillance qu’elle n’avait jamais connue venant d’adultes. Finalement, elle rejoignit le mouvement des Flower Child et rencontra des Hare Krishna au sein desquels elle trouva une famille de substitution. Le seul message qu’elle avait intériorisé de son père était qu’il la détestait et qu’il voulait la voir morte – le désespoir absolu pour une petite enfant. Joan était désormais prisonnière de sa souffrance et de besoins fondamentaux non satisfaits, et sa quête au sein du mouvement ISKON avait un caractère désespéré.
Dans un enregistrement des archives du People’s Temple où Jim Jones parle de sa jeunesse, le chef de la secte et messie autoproclamé se souvient également d’une enfance très violente. Comme Joan, son père était un ancien combattant traumatisé et un sympathisant du KKK qui avait tenté de tuer son fils qu’il considérait comme une racaille. Profondément déséquilibré dès l’enfance, Jones était prêt à tuer pour surmonter sa peur de l’abandon. Des décennies plus tard, croyant que son empire s’effondrait et que ses adeptes étaient sur le point de le quitter, il organisa un suicide collectif montrant qu’il préférait la mort à l’accueil de ses souffrances (Janov, 2016, p. 226) :
« Joan et Jones pourraient tous deux parler des privations qu’ils ont subies dans leurs premières années de vie. Leurs histoires reflètent la façon dont des expériences similaires vécues dans l’enfance créent souvent des leaders. Elles illustrent également la manière dont nos vies s’éloignent de la réalité et se rapprochent d’un monde qui n’est pas connecté au présent. […] Nous sommes prisonniers de notre enfance et réagissons à des réalités qui n’existent plus […]. Nous pouvons toujours croire au karma, nous engager dans des thérapies par la parole, discuter de nos traumatismes passés et recruter d’autres âmes déshéritées dans notre exaltation sans jamais redescendre dans les niveaux de conscience inférieures où bouillonnent nos empreintes profondes. »
Marchands d’espoir
Dans Beyond Belief, Janov jette également un éclairage novateur sur les télévangélistes contemporains, les conseillers spirituels, les guérisseurs psychiques et autres gourous des affaires qui font fortune à mesure que le marché de l’espoir se diversifie. Depuis son siège en Californie, le télévangéliste et chrétien du renouveau, Benny Hinn, prêche la Bible en cajolant son auditoire, en criant, en versant des larmes stratégiques devant un public captivé : « N’oubliez pas que Jésus vous aime ! » Dans son best-seller The Secret, Rhonda Byrne, scénariste et productrice de télévision australienne, affirme que selon la loi de l’attraction vos rêves peuvent se réaliser si vous y pensez suffisamment. Le prophète canadien Raël a formé un groupe religieux qui prétend que des scientifiques venus d’une autre planète ont créé la vie sur terre et qu’ils vont bientôt s’en retourner pour réaliser un clonage d’êtres humains, ses adeptes ayant fait don de leurs ovules. Shirley MacLaine, sage du New Age, ou J. Z. Knight qui fut cadre de l’industrie télévisuelle, ont même utilisé le channeling pour attirer un public désespéré. La première a contacté un ancien esprit désincarné, et le second une guerrière de trente-cinq mille ans qui a utilisé son corps pour promouvoir un message d’amour et d’espoir incluant la connaissance d’une présence extraterrestre sur notre planète. À propos de cette liste apparemment sans fin d’idées proposées par des personnalités charismatiques extravagantes, Janov conclut (Janov, 2016, p. 266) :
« Les personnes traumatisées ont désormais un large choix sur le marché de l’espoir. Si vous ne voulez plus consommer d’alcool ou de drogues pour atténuer vos souffrances, il vous suffit de suivre l’un de ces joueurs de flûte. Ces marchands d’espoir se mettent au service de notre système dissociatif et, plutôt que de nous guérir, nous détournent de notre mal, nous transportent dans des mondes éloignés de nos vrais sentiments. Leur musique nous emporte loin de nos souffrances. »
Lecture essentielle et contribution unique à la compréhension de nos convictions et de nos pathos les plus intimes, Beyond Belief jette une lumière crue sur les manipulations trompeuses que nous nous imposons pour tenir nos souffrances à distance. Mais dès lors que la vérité de nos enfances douloureuses n’est plus déniée, il n’est plus nécessaire de chercher un sens à notre existence, car nos sentiments refoulés sont retrouvés et reconnus. Et avec eux revient la capacité de ressentir joie et amour.
Marc-André Cotton*
Collaboration Emma Perrot
© M.A. Cotton – 12.2024 / regardconscient.net
La dépression ou l’art de se leurrer
La dépression est la conséquence de l’évitement de toutes les émotions reliées aux blessures de l’enfance. Dans une société qui fonctionne sur le déni de ces souffrances et se tient toujours du côté des parents, il est rare de trouver une personne éclairée pour confirmer l’importance de ce vécu précoce.
(05/2005)
*Marc-André Cotton est le co-fondateur avec Sylvie Vermeulen du site regardconscient.net et auteur du livre Au nom du père, les années Bush et l’héritage de la violence éducative (L’Instant présent, 2014). Il est aussi président de l’International psychohistorical association (IPhA).
Références :
Fox, Margalit, “Arthur Janov, 93, Dies ; Psychologist Caught World’s Attention With ‘Primal Scream’”, The New York Times, 2 octobre 2017.
Janov, Arthur, “Beyond Belief, Cults, Healers, Mystics and Gurus—Why We Believe”, Reputation Books, 2016.
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