Backlash – Une crise mondiale de l’émergence – Épisode 1


Un monde en paix ? Quel monde en paix ?


par Robin Grille*


Cet article est paru en anglais sur le portail Substack, le 7 avril 2025.

 

 

 

Résumé : L’humanité traverse une phase de transformation profonde, à la fois périlleuse et précaire. Un nouveau paradigme de civilisation peine à émerger, bouleversant en profondeur notre rapport au vivant et à nous-mêmes. Dans sa série Backlash – une crise mondiale de l’émergence, le psychologue et psychohistorien Robin Grille explore ce basculement fondamental, dont l’issue dépend largement de réformes en faveur d’une éducation respectueuse des enfants. Ce premier épisode suggère que cette transition est non seulement possible, mais déjà en marche.

 

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En 2013, j’ai publié la seconde édition de Parenting for a Peaceful World et certains d’entre vous la connaissent peut-être. Si ce n’est pas le cas, pas de souci ! Voici l’idée principale : ce livre est une synthèse entre l’anthropologie, l’histoire de l’enfance et la neuropsychologie du développement. Il présente des recherches montrant que les pratiques éducatives sont le moteur principal de l’évolution sociale. Il démontre que l’autoritarisme politique découle de méthodes éducatives punitives et que – à l’inverse – les progrès démocratiques surgissent toujours à la suite de réformes tendant vers une éducation plus respectueuse et non-violente. Les chapitres psychohistoriques retracent deux siècles de transformations vers des formes d’éducation plus empathiques et ludiques. Partout où ces réformes éducatives prennent racine, les nouvelles générations impulsent des avancées notables en matière de démocratie, de droits humains et de justice sociale.

Ce livre se termine sur une note d’optimisme – conditionnel – après avoir retracé de grands progrès en matière de droits humains et de paix, en lien avec des évolutions positives de l’éducation à travers le monde. Il en déduit que si ces réformes éducatives continuent – et c’est un grand « si » – alors la transition d’une culture dominatrice à une culture de partenariat pourra se poursuivre de façon bénéfique. S’engager mondialement pour une enfance émotionnellement saine est fondamental pour une société plus juste, démocratique, pacifique et respectueuse de la planète.

Mais depuis la publication de cette dernière édition, plus de dix ans se sont écoulés. Il est temps de faire un petit bilan. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les événements récents ont-ils confirmé ou infirmé les perspectives annoncées dans mon livre ? De nouveaux foyers de guerre ont surgi, certains menaçant même de devenir mondiaux ou nucléaires. Beaucoup de mesures environnementales urgentes ont été ralenties, voire annulées. L’Europe, certaines régions d’Amérique du Sud et les États-Unis sont secoués par une vague nationaliste dure et réactionnaire qui ne faiblit pas. Une pandémie mondiale a révélé des divisions sociales profondes, fracturant familles et communautés. Oui, la situation semble sombre.

Ai-je été trop utopiste ? Je ne suis pas à l’abri de l’illusion, je le reconnais. Plus j’apprends l’ampleur des dégâts infligés aux écosystèmes, plus je suis inquiet pour les jeunes que j’aime, à commencer par ma fille. Quel monde leur laisse-t-on ? On pourrait me reprocher – à juste titre – de vouloir trop croire en certaines données… même si je m’efforce de rester honnête et rigoureux. Mais maintenant que vous connaissez mes intentions, à vous de juger mes paroles.

Alors : si l’évolution sociale semble en régression, pourquoi ? Si cette évolution dépend de réformes éducatives, doit-on comprendre que leur recul explique le retour à l’autoritarisme ?

Aucun doute : notre monde est en crise, et une crise grave. Mais je voudrais proposer l’idée que cette crise est une crise de croissance. Dans ma pratique de psychothérapeute comme dans l’étude de l’histoire, je n’ai jamais vu de cheminement linéaire et paisible. Les anciennes structures ne disparaissent pas sans résistance.

Notre survie dépend d’un basculement fondamental : passer de sociétés dominatrices à des sociétés de partenariat. Dit autrement : nous devons absolument évoluer d’une économie écophobe vers une économie biophile. Et les signes montrent que cette grande transition est bel et bien en cours – et même s’intensifie. C’est précisément ce changement de paradigme que cette série d’articles souhaite explorer.

Dans les prochains volets, je partagerai des exemples concrets montrant que le monde adulte commence à mieux écouter et valider les besoins émotionnels des enfants. Cela encourage chez les jeunes des instincts plus collaboratifs, un élan social plus centré sur le cœur. Ce mouvement, amorcé depuis un certain temps déjà, germe ici, pousse là, et parfois fleurit – même si les médias classiques ne le montrent pas. L’économiste Jeremy Rifkin parle d’une « civilisation empathique ». Elle se développe, discrètement mais sûrement – si l’on sait où regarder.

Comme toute naissance, cela se fait dans la douleur. Mon objectif ici est de vous présenter des exemples enthousiasmants de ce changement de paradigme, dans tous les domaines de la vie sociale. Si comme moi, vous vous sentez parfois accablé par la tournure que prennent les affaires du monde, j’espère que cette série mettra un peu de baume sur votre cœur. Il ne s’agit pas de promettre un avenir radieux, mais de proposer un élan, un appel à l’action fondé sur des signes tangibles d’un avenir plus empathique.

Pour les défenseurs de l’ordre établi, cette nouvelle société peut sembler étrange, voire menaçante. Il faut s’attendre à des retours de bâton et des régressions – cela fait partie de toute transition en profondeur.

Comme souvent dans l’histoire, les plus grands bouleversements viennent d’en bas, du terrain culturel, et non des sphères de pouvoir. Les transformations majeures apparaissent souvent après des périodes de chaos. Peut-être qu’encore une fois, un nouveau type de société est en train de naître.

Si vous portez en vous l’espoir de plus de démocratie, de justice, de paix ou d’écologie, il est essentiel de voir les victoires là où elles se produisent. Cela redonne courage et énergie, surtout si l’actualité vous accable. Comprendre cette période difficile comme un retour de flamme – un choc entre anciens et nouveaux paradigmes – peut nous éclairer sur le chemin à suivre. Et si vous avez parfois le sentiment que votre voix ne compte plus, j’espère que cette série vous redonnera confiance et pouvoir d’agir.

Rendez-vous pour le deuxième épisode de cette série, où je commencerai à décrypter les éléments de cette crise civilisationnelle sans précédent. Nous parlerons du changement de paradigme en cours, des forces sociales émergentes… et des réactions négatives qu’elles suscitent.

J’espère que vous serez là pour la suite !

Robin Grille*

 

En savoir plus

Parents porteurs de paix
Un faisceau de recherches montre aujourd’hui que la prime enfance n’est pas seulement une période sensible du développement physique et psychologique de l’être humain, mais aussi et peut-être surtout une phase au cours de laquelle devrait s’épanouir l’intelligence de nos émotions.
(01/2024)

 

*Robin Grille est psychologue (BA, Grad Dip Counselling, Dip Int Psych, MAPS) et psychohistorien. Exerçant comme psychothérapeute et formateur en parentalité depuis 30 ans, il est l’auteur de trois ouvrages : Parenting for a Peaceful World, Heart to Heart Parenting, et plus récemment Inner Child Journeys. Né en Uruguay de parents judéo-roumains, Robin vit en Australie où il développe une approche intégrative inspirée par la neuropsycholgie et les enjeux transgénérationnels. Son travail repose sur la convition que l’avenir de l’humanité dépend de notre façon d’accompagner nos enfants (voir son site). Son ouvrage Parents porteurs de paix a été récemment publié aux éditions Le Hêtre Myriadis.